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11/10/2023

Conflit en Israël : quelles cordes de rappel internationales ?

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Conflit en Israël : quelles cordes de rappel internationales ?
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Face à l’horreur de l’attaque menée par le Hamas à l’aube du samedi 7 octobre et au chaos qui s'ensuit, comment garder une lucidité politique ? Michel Duclos, dans son analyse, nous offre des clefs : réfléchir aux erreurs stratégiques du gouvernement de Benjamin Netanyahou - et non pas seulement aux défaillances techniques de l’armée -, considérer les reconfigurations régionales susceptibles de s’opérer, constater ce que la forte incertitude qui obère l’avenir a d’inédit, envisager les conséquences que comporteront l’assaut du Hamas et la réponse israélienne sur les relations internationales et enfin, questionner la possible révision des priorités par Washington.

"Équivalent israélien du 11 septembre, incroyable défaillance du renseignement israélien, nécessité maintenant pour Israël de rétablir sa capacité de dissuasion" … tout cela est vrai, et ne fait pas oublier le caractère monstrueux des méthodes utilisées par le Hamas vis-à-vis des civils, au point que l’on hésite à utiliser le mot "guerre" pour décrire l’attaque du mouvement terroriste palestinien. 

Trois points cependant sont peut-être insuffisamment mis en relief dans les commentaires que suscite la confrontation à laquelle Israël est contrainte. 

Incapacité technique, défaillance stratégique

Tout d’abord, lorsque l’on parle de "défaillance du renseignement", on pense surtout à l’incapacité du système de détection technique que déployait l’appareil de sécurité israélien, pourtant très perfectionné, à observer les prémisses de l’attaque.

Derrière l’aspect technique du sujet cependant, on doit s’interroger sur l’étonnant défaut d’anticipation politique, peut-être encore plus surprenant, dont on fait preuve les autorités israéliennes : l’impasse dans laquelle se trouvait le Hamas, la baisse de sa popularité dans la population de Gaza, le risque pour lui de se trouver marginalisé par le rapprochement en cours entre Israël et l’Arabie Saoudite, tous ces facteurs, auquel s’ajoute bien sûr l’intérêt pour le parrain iranien du Hamas à faire dérailler la dynamique des "accords d’Abraham", auraient dû inciter les dirigeants israéliens à une particulière vigilance. 

La réorientation de l’action de Tsahal vers la protection des colons de Cisjordanie peut être un élément d’explication de l’impréparation israélienne.

La réorientation de l’action de Tsahal vers la protection des colons de Cisjordanie, produit de l’idéologie des éléments d’extrême droite du gouvernement israélien actuel, peut être un élément d’explication de l’impréparation israélienne. À vrai dire, ce facteur rendait encore plus tentant pour le mouvement islamiste de tenter sa chance.

Il a fallu la confiance aveugle des Israéliens dans l’efficacité de leurs capteurs techniques pour ne pas s’en rendre compte. D’autres explications doivent sans doute être explorées : les gouvernement israélien a peut-être cru qu’en multipliant les "contrats de travail" pour les Palestiniens venus de Gaza, il "achetait la paix" dans l’enclave, en escomptant que le Hamas avait moins intérêt qu’auparavant à renverser la situation. Il paraissait d’ailleurs établi que le Hamas faisait porter tous ses efforts de déstabilisation en Cisjordanie. 

Une escalade aux conséquences imprévisibles

Seconde remarque : il est difficile à ce stade de prévoir où va s’arrêter l’enchaînement des événements déclenché par l’attaque du Hamas. 

Si l’on se reporte aux précédents, il est vraisemblable qu’Israël va de nouveau l’emporter et terrasser le Hamas. Il est possible que nous assistions dans quelques semaines à un "retour à la normale" - si dangereuse soit en réalité cette très instable "normalité". En ce sens, le grand journaliste Anshel Pfeffer a sans doute raison d’indiquer dans Haaretz qu’"à la différence de 1967, l’existence du pays n’est pas en jeu". On ne peut exclure cependant un autre scénario. Sentant les Israéliens affaiblis, et si la contre-offensive israélienne contre le Hamas se prolonge, avec son cortège inévitable d’horreurs, les groupes militants palestiniens peuvent susciter des troubles encore plus graves en Cisjordanie - et surtout le Hezbollah peut juger nécessaire d’entrer à son tour dans la danse (il s’est contenté jusqu’ici de faire de la figuration). 

Israël aurait alors à se battre sur trois fronts. Si c’était le cas, se trouverait démenti un autre dogme de la politique régionale, selon lequel le Hezbollah constitue pour les Iraniens un instrument à ne mettre en œuvre contre Israël que si ce dernier s’en prend directement et massivement au territoire iranien.

Il est difficile à ce stade de prévoir où va s’arrêter l’enchaînement des événements déclenché par l’attaque du Hamas.

Derrière le Hezbollah, il y a en effet l’Iran, que les observateurs soupçonnent d’avoir aidé le Hamas - voire de l’avoir incité à agir. Les Israéliens comme les Américains s’abstiennent d’ailleurs de mettre ouvertement en cause Téhéran pour ne pas jeter de l’huile sur le feu - même si les États-Unis déploient à titre dissuasif un porte-avion aux larges du Liban. Inversement, le Hamas paraît décidé à prolonger ses massacres, comme pour entraîner la région dans une escalade. 

États-Unis, Sud global, pays arabes, Iran : les retombées internationales

Nous en arrivons ainsi à un troisième point : les retombées internationales de la crise en cours peuvent aller s’élargissant. 

On y a déjà fait allusion, les équilibres régionaux se trouvent dès maintenant affectés par cette guerre. Et cela même si finalement une explosion générale peut être évitée. En particulier bien sûr, il sera plus difficile pour les Saoudiens de poursuivre la normalisation envisagée sous les auspices américaines avec Israël. Les Émiriens et d’autres rencontreront aussi des difficultés à approfondir le processus des accords d’Abraham. Pour combien de temps ? C’est impossible à dire et cela dépendra sans doute de l’impact des événements en cours dans les opinions arabes. De même, quelles vont être les conséquences sur la Turquie, qui fait preuve jusqu’ici d’une certaine prudence mais avait engagé un processus de réconciliation avec Israël ? 

Certains prévoient un réengagement américain dans la région, d’autant que les élections présidentielles approchent aux États-Unis.

Certains prévoient un réengagement américain dans la région, d’autant que les élections présidentielles approchent aux États-Unis. La crise en cours montre en tout cas les limites du poids régional de la Chine. Inversement les Chinois peuvent voir avec satisfaction les Américains s’engager dans une "deuxième crise" alors que l’Ukraine les occupe déjà beaucoup et gène leur "pivot vers l’Asie".

Les Russes ne pèsent pas non plus énormément dans les événements en cours. Ils s’efforcent de maintenir un équilibre entre leurs bonnes relations avec les Arabes, y compris les organisations palestiniennes, leur relation stratégique avec l’Iran, dont ils ont besoin pour leur guerre en Ukraine et leur bonne entente avec Israël. 

Du point de vue russe, le principal enjeu du conflit en Israël se situe aujourd’hui ailleurs : la possibilité existe que ce conflit rende encore plus aléatoire le soutien dans la durée de Washington à l’Ukraine. La nécessité d’un arbitrage dans les ressources à affecter à l’Ukraine et à Israël - en termes de munitions notamment - risque de se poser. Plus généralement, nous savons depuis les années 1990 que même les États-Unis parviennent difficilement à gérer plus de deux crises à la fois. Aujourd’hui, le risque pour Kiev est que la classe politique américaine donne la priorité aux sujets les plus consensuels aux États-Unis : la défense d’Israël et la rivalité avec la Chine. M. Zelenski a bien senti le danger et a été parmi les premiers à appeler M. Netanyahou. Il espère à la fois faire pencher en sa faveur Israël, jusqu’ici réticent à se couper de la Russie, et se montrer bon élève vis-à-vis de Washington.

Sur un plan encore plus large, la différence de sensibilité apparaît une fois de plus entre l’Occident, totalement solidaire d’Israël, et un Sud Global beaucoup plus mesuré, appelant tout au plus à la désescalade des deux côtés (avec l’exception de l’Inde toutefois). 

Là encore, la Russie - et la Chine, sans compter l’Iran - ne peuvent qu’engranger avec satisfaction ce qui sera perçu dans le Sud Global comme une piqûre de rappel : l’impression que les Occidentaux pratiquent une politique de "deux poids deux mesures". 

C’est ce qui nous paraît le plus significatif du contexte international de la crise actuelle : les risques d’escalade, au moins régionale, sont élevés, les freins qui existaient jadis à une telle escalade paraissent beaucoup plus faibles aujourd’hui. 

Le principal enjeu [russe est aujourd'hui] la possibilité que ce conflit rende encore plus aléatoire le soutien de Washington à l’Ukraine.

Quid de l’Europe ? Son impuissance semble d’autant plus criante qu’elle est quasiment absente depuis des années sur le dossier du règlement de paix au Proche-Orient. La France elle-même, sous M. Macron, a donné l’impression de croire que tout engagement trop prononcé était vain. Naturellement, un plus grand activisme de l’Union européenne et des États-Membres n’aurait sans doute pas modifié la courbe des événements : il aurait cependant au moins donné voix au chapitre, à l’heure des périls, à des Européens aujourd’hui plus marginalisés que jamais. 

Copyright Image : MAHMUD HAMS / AFP

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