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05/12/2023

[À contrevoix] - Faut-il des statistiques ethniques en France ?

[À contrevoix] - Faut-il des statistiques ethniques en France ?
 Patrick Calvar
Auteur
Expert Associé - Sécurité
 Bruno Tertrais
Auteur
Expert Associé - Géopolitique, Relations Internationales et Démographie

"La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion" : c’est l’article premier de notre Constitution. 

Pourtant, s’égrènent aussi, à travers la douloureuse succession des attentats terroristes dont nous avons eu un très récent exemple, les preuves des limites de nos politiques d'intégration, que l’indifférenciée mention "de nationalité française" ne saurait faire disparaître. Dans ce contexte, à des fins de connaissance, que ce soit pour la lutte contre la criminalité ou contre la discrimination, la question des statistiques ethniques est régulièrement remise sur la table, suscitant des débats houleux, trop souvent écartelés par la "tenaille identitaire" qui confisque la réflexion.
 
En France, par dérogation de la CNIL, des enquêtes peuvent donner accès au pays d’origine mais contrairement à certains pays, le référentiel racial n’est presque jamais utilisé ("Blanc", "Noir", "Asiatique", termes que le Royaume-Uni et l’Irlande ont adoptés) et ces informations ne peuvent être intégrées aux fichiers de gestion qui règlent le sort des personnes (salariés, locataires, élèves, etc.). 
 
Faut-il aménager la législation actuelle ? De quelle sorte de statistiques ethniques la France pourrait-elle avoir besoin, et pour mesurer quoi ? Faut-il choisir entre le risque d’accentuer la communautarisation de la société française et celui de se priver de moyens indispensables pour faire face à la criminalité et assurer la sécurité sans laquelle la démocratie n’est pas possible ?
 
Depuis leur expérience respective, le politologue et expert en géopolitique Bruno Tertrais et l’ancien directeur général de la sécurité intérieure Patrick Calvar échangent dans ce premier entretien À contrevoix. 

Pour commencer, qu’entend-on par "statistiques ethniques" ? 

Bruno Tertrais : Ce débat, on le sait, est un véritable champ de mines, et le vocable est piégé parce qu’on confond souvent, derrière "statistiques ethniques", plusieurs types de sujets. Ceux qui évoquent les statistiques ethniques se réfèrent tantôt à des critères objectifs tels que les origines nationales, tantôt à des critères subjectifs tels que l’appartenance à une communauté. On parle alors de statistiques ethno-raciales. Personne n’imagine que la République va se mettre à catégoriser d’autorité les personnes en fonction d’une "appartenance ethnique" réelle ou supposée. Ce sont donc les statistiques déclaratives qui sont en débat. Ces critères subjectifs peuvent être le "ressenti d’appartenance" : je me sens Blanc, Noir, Arabe, Asiatique… Dans sa décision de 2007, le Conseil constitutionnel autorisait le recueil de données subjectives telles que ce "ressenti d’appartenance". Cela peut être encore le ressenti d’appartenance projetée : "on me renvoie l’image d’appartenance à telle ou telle catégorie", ce que l’on appelle "l’auto-hétéro-perception". Ce qui pose problème, à mon sens, ce sont ces critères subjectifs. Les statistiques ethniques "déclaratives" me semblent inutiles et contre-productives.

Patrick Calvar : Deux remarques, si vous le permettez. La première est qu'en raison de mes fonctions passées, je restreindrai le débat à la question de la délinquance et de son traitement. La seconde est qu'il ne s'agit en aucun cas de relancer une polémique sur les questions migratoires, la plupart des personnes concernées étant de nationalité française.

Patrick Calvar : De quoi s’agit-il ? D’avoir le courage de poser un diagnostic et de se doter d'outils supplémentaires afin de mieux lutter contre la délinquance. 

De quoi s’agit-il ? D’avoir le courage de poser un diagnostic et de se doter d'outils supplémentaires afin de mieux lutter contre la délinquance. De disposer de données précises de nature à favoriser l'élaboration de politiques publiques et de se donner les moyens d’agir afin que la sécurité ne repose pas exclusivement sur les forces de l’ordre mais bien sur l'ensemble des ministères et collectivités concernées, notamment au niveau territorial : éducation, santé, sport, etc… Voir les choses nettement, c’est pouvoir agir plus efficacement.

Ceci posé, donc, voilà ce que j’entends par statistiques ethniques : connaître l'origine des personnes impliquées dans la commission de crimes ou délits parce que des origines ethniques différentes induisent souvent des cultures et des comportements différents.

Bruno Tertrais : Nous sommes d’accord sur l’objectif d’assurer au mieux la sécurité des Français. Mais, dans ce débat, certains ont d’autres objectifs. Et on ne peut pas balayer les réflexions autour du sujet au prétexte qu’elles seraient de l’idéologie ou de la philosophie. On touche en effet à quelque chose qui est au cœur de l’identité française et de l’essence de la République. La réalité sociétale se construit tous les jours. Les statistiques déclaratives, avec leur injonction à choisir son identité, font courir le risque de communautariser encore plus la société française. Donc l’objectif sécuritaire ne peut être la seule focale du débat. 

Pour quels types de besoins pourrait-on réclamer la mise en place de statistiques ethniques  ?

Patrick Calvar : Cela aurait déjà le mérite d'éviter les fantasmes, de part et d'autre, et d'avoir une image très précise des acteurs de la délinquance. Couplées à d'autres données, comme les lieux de domiciliation, la situation familiale ou la situation sociale des délinquants, les statistiques ethniques sont indispensables. Les réponses doivent varier d'un endroit à l'autre et non être similaires sur l'ensemble du territoire : il faut qu’elles prennent en compte les sociologies différentes, les modes opératoires variables. Nous n'obtiendrons pas de meilleurs résultats en matière de sécurité si nous acceptons de rester indéfiniment aveugles à la réalité quotidienne. On ne peut en outre pas considérer que la sécurité relève de la seule responsabilité des forces de l'ordre. Toutes les autres grandes institutions doivent s'impliquer. Pour cela, il faut que nous partagions le diagnostic, afin, ensuite, d'agir de manière coordonnée, chacun dans son périmètre. Police et Gendarmerie se sentent aujourd'hui bien seules à devoir répondre à un problème de société global qui les dépasse largement.

Si les politiques d’intégration n’ont pas marché, pourquoi ? Pourquoi ces délinquants ne se sentent-ils plus dans la République ? C’est ça, la vraie question. J’ai le point de vue de quelqu’un qui vient de la sécurité, c’est un point de vue évidemment différent de celui des sociologues ou des universitaires, mais ce point de vue, légitime, ne saurait être écarté d’emblée du débat au risque d’appauvrir la réflexion. Les origines ethniques induisent des cultures et des comportements parfois différents : comment lutter contre la délinquance, j'ajouterai même contre le terrorisme dérive de la radicalisation, si on ne sait pas poser un diagnostic sur la nature du mal contre lequel on doit agir ? 

Bruno Tertrais : Oui, j’écoute l’homme d’expérience et de terrain, préoccupé par la hausse de la criminalité. Mais, concrètement, qu’est-ce que les statistiques ethno-raciales changeraient ? Et de quel type d’outil faudrait-il disposer précisément ? Il me semble que nous avons, déjà, suffisamment d’outils pour mesurer ce dont nous avons besoin. Aujourd’hui, la statistique française est, heureusement, aveugle à la couleur mais certes pas aveugle à l’origine. Le recensement repère le pays de naissance et, depuis 1962, la nationalité antérieure si elle existe. Le Ministère de l’intérieur publie des statistiques de la délinquance et de la criminalité détaillées qui permettent de différencier les auteurs de tels actes par nationalité. 

Bruno Tertrais : Il me semble que nous avons, déjà, suffisamment d’outils pour mesurer ce dont nous avons besoin.

On peut y voir, par exemple, que les personnes qui ont la nationalité d’un pays africain y sont surreprésentées. Bien sûr, l’interprétation est alors ouverte: est-ce parce qu’elles sont plus pauvres, ou alors socialement défavorisées, ou alors culturellement prédisposées à s’affranchir de la loi, etc. ? Mais c’est un autre sujet. Le point reste : on connaît la nationalité des délinquants et criminels. Quant au ressenti des discriminations, il peut et doit être mesuré, y compris par pays d’origine, et cela ne pose aucun problème. Dans son rapport de 2007, la CNIL se prononçait en faveur des enquêtes sur le ressenti des discriminations sans passer par la case "appartenance ethnique supposée ou perçue". C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les Enquêtes Trajectoires et Origines (TeO) conduites par l’INSEE et l’INED en 2008-2009 et en 2019-2020. 

Si on instaurait des statistiques ethniques, quelles en seraient les conséquences politiques? 

Bruno Tertrais : Je le répète, les statistiques ethniques déclaratives seraient surtout, selon moi, contre-productives. Dans le champ politique, elles sont réclamées essentiellement par les extrêmes : la gauche radicale et la droite radicale. La première au nom de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la seconde, au nom de la lutte contre la délinquance et la criminalité. Toutes deux relèvent de logiques identitaires. C’est ce que le préfet Gilles Clavreul a appelé la "tenaille identitaire". De telles statistiques élargiraient la brèche déjà bien ouverte de la communautarisation de la société française. On rétorquera que "bien des pays le font". Ce n’est pas une raison en soi ! Veut-on imiter ceux qui, tels la Chine ou la Birmanie, mentionnent "l’ethnie d’appartenance" sur les documents d’identité ? Probablement pas… Ceux qui défendent de telles statistiques se réfèrent souvent aux pays anglo-saxons. Une tradition d’ailleurs pas si ancienne que cela, puisque nos amis britanniques, par exemple, ne posent des questions relatives à l’appartenance ethno-raciale que depuis le début des années 1990. Avec une escalade constante, et presque cocasse, au fil du temps, dans le nombre de catégories définies… Êtes-vous plutôt un athée pakistanais ? Un sikh breton ? On voit où cela mènerait ! Il faut savoir ce que nous voulons comme modèle de société. 

Patrick Calvar : Je le répète : nommer les choses, poser les diagnostics ! Je suis frappé que l'on ne veuille jamais se doter des outils nécessaires à une meilleure action publique au risque de favoriser l'émergence des fantasmes, au risque de nourrir les complotismes et, à terme, de se couper encore plus d'une partie de la population qui, déjà, ne croit plus guère en la parole publique. On n'hésite pas à désigner certaines parties du territoire et leurs populations comme criminogènes sans que cela ne fasse réagir personne, hormis les populations concernées qui ne comprennent pas la stigmatisation. De même, on n'hésite pas à considérer ces zones comme des zones particulières demandant un traitement différent (politique, institutionnel, économique, social..) Les grands principes doivent gouverner nos démocraties mais est-ce contraire à la démocratie que de vouloir plus de sécurité et, dès lors, de se doter des moyens nécessaires ? Le Royaume-Uni est-il moins une démocratie que la France ? Je constate que le Premier Ministre anglais est issu d'une minorité ethnique !

Patrick Calvar : Les services de sécurité sont une sorte de SAMU, qui gère les urgences de la criminalité. Mais quelles sont les causes de cette criminalité ?

Il faudrait pouvoir disposer d’éléments objectifs qui ne sont pour l’instant pas présents dans les enquêtes, comme la nationalité d’origine, celle des parents ou la double-nationalité si elle existe. Est-ce que faire cela changerait notre vision de la société ? Je ne le pense pas. Encore une fois, les services de sécurité sont une sorte de SAMU, qui gère les urgences de la criminalité. Mais quelles sont les causes de cette criminalité ? Comment mieux les connaître pour mieux les traiter ? Pourquoi refuser de disposer de toutes les données qui nous aideraient à élaborer des politiques publiques préventives efficaces ? 

Bruno Tertrais : En effet, aujourd’hui, un bi-national n’est pas tenu de déclarer sa double nationalité. Néanmoins, cela va changer. Il semble que le CNIS (Conseil de l'information statistique) ait donné son accord pour que l’Insee intègre une question à ce sujet lors de la refonte de son enquête de recensement en 2025 : on demanderait à la population de répondre à la question : "Quelle(s) est (sont) votre (vos) Nationalités ?"

Comment mettre en pratique la collecte de statistiques ethniques ? 

Patrick Calvar : Nombre de pays disposent de statistiques ethniques, il suffit de nous inspirer de leur modèle. C'est le cas des pays anglo-saxons, qui prévoient différentes catégories allant des populations caucasiennes aux différentes autres communautés classées par continent d'origine. J'ai vécu le vote de la loi Renseignement en juillet 2015 : au début, personne n'imaginait le vote d'un texte que beaucoup considérait comme liberticide.

Fait-il encore débat ? Non. De même, la vidéosurveillance était fortement combattue au prétexte d'atteintes aux libertés individuelles. Aujourd'hui, chacun la réclame. Vous verrez que bientôt la question de l'interconnexion des fichiers, le plus souvent interdite, sera réglée. Plus de sécurité ? Plus de libertés ? Il y a toujours un équilibre à trouver, même si le risque zéro n'existera jamais. 

Patrick Calvar : Nombre de pays disposent de statistiques ethniques, il suffit de nous inspirer de leur modèle.

Bruno Tertrais : L’argument le moins convaincant est celui du "thermomètre" : il faudrait mesurer l’existant, nous dit-on. Mais c’est une erreur épistémologique grave. Avec des statistiques déclaratives, on ne se contente pas de mesurer, on favorise la création d’une nouvelle réalité sociale et culturelle. Remplir la case "Blanc", "Noir", "Arabe" ou "Asiatique", etc., c’est subir une injonction à se définir. Même la catégorie "Métis" n’a pas beaucoup de sens, en tout cas sur le plan biologique, car elle suppose l’existence de races distinctes, ce qui est totalement rejeté par la science. Mais c’est pour cela que certaines associations et mouvements politiques - appartenant surtout à ce que l’on pourrait appeler la gauche non républicaine - veulent des statistiques ethno-raciales ! Si je crée le "Mouvement des Noirs de France", je veux pouvoir dire "combien nous sommes", "combien nous pesons", etc. 

Bruno Tertrais : Avec des statistiques déclaratives, on ne se contente pas de mesurer, on favorise la création d’une nouvelle réalité sociale et culturelle.

Il reste le fantasme des "fichiers" : on s’inquiète parfois de ce qu’un gouvernement autoritaire pourrait faire de la liste des individus appartenant à une communauté réelle ou supposée. Je ne crois pas que ce soit un danger en France, mais on ne peut écarter d’un revers de main ce sujet, car il est un motif de crispation supplémentaire à l’heure où nous cherchons au contraire davantage d’intégration et davantage d’égalité devant la loi. 

Notre modèle, qui refuse ces statistiques, dispose-t'il d'alternatives convaincantes ou d'exceptions suffisantes ? 

Bruno Tertrais : Premièrement, on pourrait améliorer nos connaissances sur la société française à l’aide de statistiques purement objectives. Par exemple, il semble concevable de demander, lors des recensements, quel est le pays de naissance des parents et leur nationalité. Et peut-être rendre obligatoire la mention de toute nationalité antérieure à la nationalité française, s’il y a lieu, concernant les individus et leurs parents.

Deuxièmement, il serait bon de rénover l’appareil statistique français. Je connais la difficulté de l’exercice : se renseigner sur l’immigration contraint à consulter l’INSEE, la base de données AGDREF du Ministère de l’intérieur - qui recense les titres de séjour et les autorisations provisoires de séjour - et, pour les demandes d’asile, les statistiques de l’OFII et de l'OFPRA… Troisièmement, plutôt que de chercher de fausses solutions qui masquent souvent des agendas idéologiques, on peut réprimer plus durement et plus efficacement les discriminations raciales… 

Bruno Tertrais : Plutôt que de chercher de fausses solutions qui masquent souvent des agendas idéologiques, on peut réprimer plus durement et plus efficacement les discriminations raciales… 

Patrick Calvar : Vous l'avez dit, la loi interdit pour l'heure ce type de statistiques afin de lutter contre la délinquance. N'existe que le seul critère de la nationalité : français ou étranger. Permettez-moi d'élargir un peu le débat. Nous sommes avant tout une société de normes qui court après un progrès technologique en constante évolution. Ne serait-il pas plus opportun de connaître les nouvelles facilités qu'il offre puis de raisonner afin de l'encadrer ? Un exemple : les interceptions téléphoniques avaient été prévues par une loi de 1991 à un moment où la téléphonie mobile prenait naissance, nous avons dû attendre une adaptation constante de la jurisprudence de la Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité pour pouvoir agir. Mais c'est la loi Renseignement de 2015 qui enfin a donné un cadre légal à l'action des services en tenant compte des progrès technologiques dont nos adversaires usaient et abusaient dans leurs activités délinquantes. Regardez le poids de l'utilisation des réseaux sociaux cryptés par les trafiquants de drogues mais aussi par les terroristes. La loi de 2015 a précisé les techniques que les services pouvaient mettre en œuvre. Elles sont aujourd'hui pour partie obsolètes. N'aurait-il pas mieux valu définir les atteintes aux libertés admissibles et leur contrôle plutôt que de devoir une nouvelle fois courir après le progrès en adaptant en permanence la législation sur fond de polémiques systématiques ? Ma conviction est que les statistiques ethniques seront autorisées car la réalité de leur utilité finira par s'imposer.

Comment font les autres pays ? 

Patrick Calvar : J'ai été le premier attaché de police affecté au Royaume-Uni et j'ai pu étudier son système et son fonctionnement. Première leçon : la sécurité relève de la responsabilité de tous, du citoyen aux différents acteurs concernés (État, Police, Justice, autres ministères, collectivités territoriales etc...). La sécurité est une œuvre collective ! Pourquoi les Britanniques ont-ils jugé nécessaire d'avoir cet outil à leur disposition ? Pour plus d'efficacité, car, encore une fois, on ne lutte pas de la même manière contre certaines formes de délinquance commises par certaines catégories de population vivant dans certaines zones géographiques et soumises à certaines contraintes économiques et sociales. Racisme ?

Patrick Calvar : Pourquoi les Britanniques ont-ils jugé nécessaire d'avoir cet outil à leur disposition ? Pour plus d'efficacité.

Prenez les statistiques de la population carcérale en juin 2023 en Angleterre et au Pays de Galles : 72 % des personnes détenues étaient des "blancs" ! En conclusion, sortons de l'idéologie, ouvrons le débat, il en entraînera d'autres comme la décentralisation en matière de sécurité, celui des polices municipales, de leurs compétences et de leur interaction avec les forces nationales, sans oublier celui des nouvelles technologies afin d'être plus efficaces pour lutter contre la délinquance ...

Conclusions : resserrer le débat, poser les diagnostics et mieux agir

Bruno Tertrais : L’intérêt de cette discussion est de désidéologiser le débat au maximum. Une fois que nous avons redéfini précisément le cadre de notre échange, nous ne sommes pas en désaccord : si vous souhaitez recenser des éléments objectifs pour mieux connaître le profil des mis en cause, tels que l’origine, celle des parents ou la double nationalité, afin d’apporter une réponse multiscalaire aux enjeux de délinquance et de criminalité et d’aider les services de sécurité à faire leur travail, je ne peux qu’approuver. Dès lors qu’il ne s’agit donc pas de mettre en place le recensement des ressentis d’appartenance, avec toutes les conséquences délétères que cela implique (créer et figer des catégories identitaires clivantes, communautariser la nation).

Patrick Calvar : Oui, il s’agit de pouvoir recueillir des données objectives sur les mis en cause afin de développer des politiques publiques préventives et de ne pas juste laisser les forces de sécurité réagir dans l’urgence. Encore une fois, je ne parle pas de déclaratif, mais de ce qui sort des enquêtes : origine des parents, bi-nationaux. Il ne s’agit pas de mettre les gens dans des cases mais de recueillir les données utiles et nécessaires et ce, uniquement concernant les mis en cause. Le reste de la population, ça ne m’intéresse pas. 

Bruno Tertrais : Pour récapituler, le débat autour des statistiques ethniques recouvre deux champs différents : celui des critères objectifs et des critères subjectifs. Et il y a deux approches possibles : celle qui se concentre sur les interpellés, dans le but d’affiner les réponses sécuritaires, mais aussi celle qui concerne la connaissance de l’ensemble de la société française. Car ce débat, qu’on le veuille ou non, est mis à l’agenda des forces radicales : la gauche radicale, dans un but prétendu de lutte contre le racisme et les discriminations, la droite radicale, avec l’obsession de disposer de chiffres pour quantifier le nombre d’Africains, de Musulmans, de Noirs ou d’Arabes en France. Avec des objectifs opposés, ces deux pôles politiques défendent la même idée. On retrouve la "tenaille identitaire" évoquée. 

Bruno Tertrais : Nous ne sommes pas en désaccord : si vous souhaitez recenser des éléments objectifs pour mieux connaître le profil des mis en cause [...], je ne peux qu’approuver.

Patrick Calvar : Nous devons nous donner des outils pour offrir une réponse qui ne soit pas uniquement sécuritaire, mais aussi éducative, sociale, économique ! Il faut poser un diagnostic et ces statistiques ethniques concernant les mis en cause sont indispensables. 

Bruno Tertrais : Il reste à étudier comment cela pourrait se concrétiser dans le cadre légal actuel. 

Copyright image : JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

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