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15/04/2024

Après la riposte iranienne contre Israël

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Après la riposte iranienne contre Israël
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Dans la nuit du 13 au 14 avril 2024, plusieurs centaines de drones et de missiles ont été lancés par l’Iran vers le territoire israélien. Première attaque directe de l’Iran vers Israël, cette opération marque un tournant inédit dans l’histoire des relations conflictuelles entre les deux pays, mais aussi dans la guerre qui fait rage entre Israël et le Hamas depuis l’attaque du 7 octobre 2023. Michel Duclos, conseiller spécial à l’Institut Montaigne, nous livre son analyse de la situation.

Les événements se bousculent au Proche-Orient : les Iraniens ont lancé dans la nuit du 13 au 14 avril une série d’attaques contre le territoire d’Israël, en riposte à l’attaque israélienne du 1er avril sur le consulat iranien à Damas, le Hamas a rejeté la trêve humanitaire sur laquelle les Américains et les Égyptiens travaillaient depuis des semaines, le président Biden appelle maintenant Jérusalem à ne pas se lancer dans une riposte à la riposte iranienne. Sur ce dernier point, Israël a déjà indiqué qu'il procéderait à des rétorsions.  

Une attaque iranienne calibrée ?

Partons peut-être de cette dernière piste. Les Iraniens avaient-ils calibré soigneusement leur attaque (plus de trois cents véhicules de croisière, drones et missiles) ou celle-ci a-t-elle simplement échoué en raison de la force des capacités défensives israéliennes (99 % des engins iraniens interceptés) ?

Ils étaient cette fois décidés à "venger" les responsables des Gardiens de la Révolution tués lors de la frappe sur le consulat d’Iran à Damas.

Nous soutiendrons plutôt la première branche de l’alternative, car Téhéran devait avoir anticipé les capacités d’interception d’Israël. Les dirigeants iraniens avaient d’ailleurs soigneusement prévenu par divers intermédiaires les autorités israéliennes. Ils étaient cette fois décidés à "venger" les responsables des Gardiens de la Révolution tués lors de la frappe sur le consulat d’Iran à Damas.

Ils ont dû soigneusement examiner leurs options, en sachant que leur crédibilité vis-à-vis de leurs alliés régionaux exigeait une rétorsion, mais que jouer l’escalade risquait de faire le jeu des courants en Israël qui eux-mêmes souhaitent l’embrasement du conflit ; ces courants peuvent nourrir deux objectifs possibles : au minimum, réduire la "menace du Nord" et donc le Hezbollah, et au maximum s’en prendre aux capacités nucléaires iraniennes, sur le territoire iranien donc.

Une solution pour les Iraniens aurait pu être de viser des intérêts israéliens à l’étranger, en procédant par exemple à un attentat sur une ambassade. Téhéran a choisi l’"option haute", c’est-à-dire attaquer le territoire israélien ou contrôlé par Israël (le Golan, la Cisjordanie), ce qui est sans précédent. L’image d’engins iraniens dans le ciel au-dessus du Dôme du Rocher était spectaculaire. Au passage, le commandant en chef des Gardiens de la Révolution a indiqué que son pays répliquerait désormais sur le sol israélien à des attaques israéliennes sur des intérêts iraniens. Dans ce contexte, l’attaque du 13 avril était "calibrée" en ce sens qu’un pas a été franchi – le territoire d’Israël n’est plus tabou - mais si Israël veut contre-attaquer, c’est à lui qu'il incombe éventuellement de franchir un échelon supplémentaire dans l’escalade régionale. C’est ce dont Washington ne veut pas et le Président Biden a déjà indiqué à M. Netanyahu qu’il souhaitait qu’Israël en reste là.

Quelles perspectives ?

La seconde leçon que l’on retiendra de cet épisode a trait à l’attitude des puissances extérieures. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont participé à l’interception des engins iraniens mais aussi la Jordanie, et peut-être d’autres États de la région. La France a aussi intercepté des missiles iraniens survolant des positions militaires françaises en Jordanie et peut-être en Irak. Les gouvernements arabes, en se rangeant aux côtés d’Israël, ont pris un risque notable vis-à-vis de leurs opinions autant que vis-à-vis de l’Iran. Quelles étaient leurs motivations ? Ont-ils été sollicités par les États-Unis et, si tel est le cas, quels ont été les arguments américains pour convaincre leurs gouvernements ? Une hypothèse serait que les États-Unis se sont engagés à faire pression sur Israël pour faire avancer l’obtention d’un État pour les Palestiniens ou en tout cas des progrès dans le règlement de la question palestinienne. S’agissant des Américains eux-mêmes, n’ont-ils pas été d’autant plus résolus dans la solidarité avec Israël qu’ils comptent maintenant obtenir de celui-ci des concessions sur le traitement du problème palestinien et une retenue de Jérusalem dans sa confrontation avec Téhéran ?

Ainsi, l’inconnue sur ce que va être la "contre-riposte" israélienne se double d’une seconde inconnue sur ce que vont être maintenant les contours de la stratégie américaine. Il est clair que M. Biden souhaite un partenaire israélien plus disposé à négocier. On sait qu’il ne veut pas utiliser vis-à-vis des Israéliens le levier des transferts d’armement; il n’envisage pas à ce stade de les suspendre. Il peut en revanche isoler le Premier ministre israélien en cultivant les autres forces politiques d’Israël et en conjuguant ses efforts avec ceux des puissances régionales.

Ainsi, l’inconnue sur ce que va être la "contre-riposte" israélienne se double d’une seconde inconnue sur ce que vont être maintenant les contours de la stratégie américaine.

Jusqu’où peut-il aller dans cette direction, alors même que sur le plan intérieur il affronte les électeurs dans quelques mois ?

Troisième leçon : s’il y a dans les événements qui viennent de se produire des gagnants et des perdants, nous serions partisans de les répartir de la manière suivante. D’abord Israël et l’Iran font jeu égal au temps T où nous écrivons. Les vainqueurs sont les Russes et les Chinois qui peuvent se réjouir de voir leurs adversaires occidentaux concentrer leur attention et leurs forces sur le Proche-Orient plutôt que sur l’Ukraine ou sur l’Indopacifique. L’Ukraine apparaît clairement comme une victime collatérale des tensions grandissantes au Proche-Orient. Vis-à-vis des pays de ce que l’on appelle le Sud global, les Occidentaux ont fait une nouvelle démonstration de leur "deux poids deux mesures" : ils condamnent l’attaque iranienne alors qu’ils n'avaient pas dénoncé la frappe israélienne contre le consulat iranien de Damas.

Pour certains observateurs, le gouvernement de M. Netanyahu a retrouvé un peu d’espace, en déplaçant le combat sur le front de la lutte contre l’Iran et les islamistes; c’est un front sur lequel il retrouve des alliés, y compris dans la région. Nous soutiendrions plutôt une autre lecture : il nous semble que les options d’Israël sont en train de devenir à la fois plus restreintes et plus difficiles. Il peut sortir de l’épisode actuel avec Téhéran sans dommage s’il s’arrête là, selon le vœux des Américains et d’autres, mais l’Iran ne se sentirait-il pas alors conforté dans sa stratégie, y compris dans son avancée vers une bombe nucléaire ? Quand et comment, pour les Israéliens, relancer l’offensive contre le Hamas, avec un allié américain de moins en moins disposé à poursuivre l’aventure ? Comment gérer le "front Nord" (la menace venant du Hezbollah) alors que depuis des mois la pression contre l’organisation chiite libanaise n'a pas permis de desserrer l’étau ?

C'est pour trancher ces différents dilemmes - et répondre aux voeux d'une partie de l'opinion public au moins - que le gouvernement israélien a d'ores et déjà décidé de procéder à de nouvelles rétorsions en réponse à l'attaque iranienne. Jusqu'où iront ces rétorsions et quelle sera l'attitude du gouvernement de Washington ? Nous sommes ramenés aux deux inconnues que l'on soulignait plus haut. À noter que pour le gouvernement américain, plus la tension monte dans la région, plus il est obligé de renforcer sa présence militaire, ne serait-ce que pour protéger ses bases contre des attaques de l'Iran ou de ses alliés locaux. 

Copyrights images : Atta KENARE / AFP

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