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09/04/2024

Israël - Palestine : le risque d’une prolongation du conflit

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Israël - Palestine : le risque d’une prolongation du conflit
 Michel Duclos
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie

Après six mois de guerre, le chef d’État-major israélien, Herzi Halevi, a annoncé le retrait des troupes de Khan Younès, dans le sud de l’enclave de Gaza. Est-ce une première étape vers la trêve et un signe envoyé au Hamas dans les négociations en cours pour le retour des otages ? Ou une simple mesure dilatoire, qu’il serait illusoire d’interpréter comme l'amorce de la fin des opérations ? Les raisons d’espérer ne sont-elles pas contrebalancées par un risque grandissant d'escalade régionale ? Analyse de Michel Duclos.

Gaza : des raisons d’espérer ?

Enfin quelques signes d’espoir nous viennent du Proche-Orient : ainsi l’armée israélienne s’est retirée le dimanche 7 avril du Sud de Gaza, se préservant cependant l’option d’interventions au cas par cas et laissant au nord de l’enclave au moins une brigade.

L’administration Biden avait durci le ton vis-à-vis d’Israël, allant même jusqu’à laisser passer au Conseil de sécurité des Nations-Unie une résolution appelant à un cessez-le-feu.

Depuis plusieurs jours, l’administration Biden avait durci le ton vis-à-vis d’Israël, allant même jusqu’à laisser passer au Conseil de sécurité des Nations-Unie une résolution appelant à un cessez-le-feu ; elle envisage de conditionner les transferts d’armes à des mesures précises obligeant Israël à respecter la vie des civils gazaouis ; elle a entrepris de procéder à une aide humanitaire directe dans certaines zones de Gaza.

Point important : le retrait de l’armée israélienne du sud de Gaza correspond à une exigence du Hamas dans les négociation en cours sur une trêve humanitaire, qui permettrait un nouvel échange d’otages israéliens contre des prisonniers palestiniens ; ce retrait pourrait donc présager que l’on se rapproche d’un accord sur une trêve, même s’il faut rester très prudents sur cette perspective.

Quels sont les facteurs qui pourraient expliquer une attitude plus souple de Jérusalem ? Deux séries d’éléments y contribuent certainement. Du côté américain, l’aile gauche du parti démocrate mais aussi désormais une partie grandissante de l’opinion reproche au gouvernement de M. Biden un soutien trop appuyé au gouvernement Netanyahou. La multiplication des bavures de Tsahal – la dernière en date étant la mort le 5 avril de sept travailleurs humanitaires de l’organisation World Central Kitchen (dont 3 Britanniques et un Australien) - rend plus difficile une défense inconditionnelle des actions israéliennes. Du côté israélien, il se trouve que l’armée n’est pas pour l’instant techniquement prête à passer à l’assaut de Rafah, sa cible principale désormais, comme le gouvernement israélien veut le faire depuis des semaines. Sans doute aussi, cette fois, Washington a-t-il trouvé les bons leviers pour se faire entendre. De surcroît, les manifestations contre le gouvernement israélien prennent de l‘ampleur à Jérusalem et dans l’ensemble des villes du pays.

Vers une extension du conflit ?

A côté des raisons d’espérer, d’autres facteurs vont cependant dans le sens d’une prolongation, voire d’une extension du conflit.
En premier lieu, on ne peut exclure que le retrait d’une partie de Gaza soit destiné à donner à l’armée israélienne une forme de répit stratégique lui permettant de poursuivre pendant des mois, voire des années, une pression militaire sur l’enclave palestinienne. Il s’agirait en quelque sorte de choisir une attitude « profil bas » pour mieux maintenir l’état de guerre dans la durée. Le choix d’un conflit prolongé correspondrait à deux impératifs pour Benjamin Netanyahou : éviter le plus longtemps possible de nouvelles élections, attendre le retour éventuel de Donald Trump à la Maison Blanche. Ce sont surtout des considérations tactiques qui guident monsieur Netanyahou : à peine annoncé ce retrait, et en réaction aux critiques de ses deux ministres d'extrême-droite Itamar Ben Gvir (Sécurité nationale) et  Bezalel Smotrich (Finances), il en minimisait immédiatement la portée, annonçant que cela ne remettait pas en cause sa détermination à mener ultérieurement une offensive à Rafah.

On ne peut exclure que le retrait d’une partie de Gaza soit destiné à donner à l’armée israélienne une forme de répit stratégique lui permettant de poursuivre pendant des mois, voire des années, une pression militaire sur l’enclave palestinienne.

Dans le même ordre d’idées, le gouvernement qu’il dirige n’a pas fondamentalement renoncé à ce qui serait l’ "état final recherché" idéal pour lui, c’est-à-dire un départ de la population de Gaza et sans doute d’une partie des Palestiniens de Cisjordanie. Les Américains ne les ont pas soutenus sur ce point pour le moment mais il pourrait en aller différemment dans l’hypothèse d’une Administration Trump II.

En second lieu, il faut constater un durcissement de la confrontation Israël-Hezbollah-Iran. L’élimination, dans une frappe sur le consulat iranien à Damas dimanche 1er avril – en violation des règles du droit international - de deux hauts cadres des Gardiens de la Révolution, constitue un camouflet pour le régime de Téhéran. Comment l’Iran va-t-il réagir ? Il se trouve dans ces circonstances face à un dilemme : il n’est sans doute pas assez sûr de ses forces  pour envisager d’un cœur léger une escalade avec Israël ; si toutefois il ne réplique pas, il risque de perdre une partie de  sa crédibilité dans la région, dans les opinions comme  auprès des groupes armés qui lui font allégeance ; et par ailleurs, l’attitude  jusqu’ici relativement prudente de l’Iran dans le conflit – beaucoup de menaces, une mobilisation des proxies, mais pas d’action directe contre l’État juif – ne lui épargne pas une agressivité de plus en plus forte d’Israël, qui ne cesse notamment de s’en prendre aux positions iraniennes en Syrie.

On ne peut complètement écarter le scénario dans lequel les stratèges israéliens envisagent de réduire les opérations à Gaza pour mieux se retourner contre le Liban, en pratique contre le Hezbollah, conformément à ce qui était leur objectif au départ. Du point de vue des dirigeants israéliens, c’est en effet la "menace du Nord" qui reste la plus sérieuse pour la sécurité du pays.

En arrière-plan, et même si Netanyahou atteint des sommets d’impopularité, l’opinion israélienne reste traumatisée par les meurtres du 7 octobre ; elle n’est pas prête à écouter les rares partisans d’une paix avec les Palestiniens. Les hommes politiques israéliens les moins hostiles à une solution négociée redoutent d’endosser une posture qui paraîtrait "récompenser le Hamas". Quant à ce dernier, il est probablement conscient qu’il dispose encore, dans ce paysage, de cartes sérieuses ; si Israël n’est pas parvenu à une victoire décisive dans les six mois écoulés, les chefs du Hamas peuvent espérer disposer d’une capacité de résistance résiduelle pour encore longtemps.

Dans une situation aussi incertaine, quelle peut être l’attitude de la France et de ses partenaires européens ?

L’impératif immédiat reste de pousser à une trêve permettant des libérations d’otages et la sauvegarde de la vie de milliers de personnes, plus éventuellement un chemin vers un cessez-le-feu prolongé.

L’impératif immédiat reste de pousser à une trêve permettant des libérations d’otages et la sauvegarde de la vie de milliers de personnes, plus éventuellement un chemin vers un cessez-le-feu prolongé.

La résolution que la diplomatie française a déposée au Conseil de sécurité pour appeler à un cessez-le-feu peut trouver tout son sens dans un contexte où une trêve interviendrait. Un autre axe d’action serait de contribuer à limiter le risque d’escalade régionale : un émissaire pourrait être dépêché à Téhéran, en plus des contacts à poursuivre en Israël, au Liban et dans la région. Sur le plan humanitaire, d’autres initiatives sont nécessaires pour s’adapter à la nouvelle géographie du conflit et pour ne pas laisser se créer la perception que là aussi les Américains sont les seuls, du côté occidental, à vraiment agir.

 

Enfin, on peut comprendre que les Européens, conscients de leur impuissance actuelle, se réfugient dans l’idée qu’ils pourront se rendre utiles dans "le jour d’après" ; or, nul ne sait si nous nous rapprochons vraiment d’une fin du conflit, et à vrai dire les éléments d’analyse qui précèdent n’incitent pas à le penser. La priorité doit donc être d'accroître maintenant les moyens d’influence de l’Europe – ou en tout cas des Européens les plus engagés - pour peser auprès d’Israël et des autres parties concernées afin que cesse le massacre en cours.

Copyright image : AFP

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