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27/11/2014

Pour encourager la philanthropie, refondre le droit ancestral des successions

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Pour encourager la philanthropie, refondre le droit ancestral des successions
 Claude Bébéar
Auteur
Président d'honneur, Fondateur


Interview de Claude Bébéar, président de l'Institut Montaigne parue dans
l'Opinion, le 27 novembre 2014.

Avec l'Institut Montaigne, think tank libéral dont il a été le fondateur, Claude Bébéar propose une réforme du droit successoral. Elle permettrait à Bill Gates ou à Warren Buffet, à l'origine d'une vaste opération philanthropique aux États-Unis, de faire des émules en France. Pour lui, les self-made-men, dont les biens n'ont d'autre origine que leur travail et leur talent, devraient pouvoir donner à des oeuvres listées par le Conseil d'État, toute la fortune qu'ils ont amassée pendant leur vie. Celle dont ils ont hérité de leur lignée resterait transmise à leurs héritiers.

L’ex-patron d’AXA a été reçu par François Hollande et Christiane Taubira, la garde des Sceaux, mais jusqu’ici rien n’a bougé. Dommage ! Car cette réforme consiste à faciliter, encourager, promouvoir toutes les générosités privées au service de l’intérêt général ; elle permettrait de dégager de nombreux financements à l’heure où l’État n’a plus les moyens d’être un généreux donateur.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé au droit des successions  ?


Tout est parti de l’initiative de Bill Gates et de Warren Buffett. En juin 2010, ils ont lancé une campagne auprès des personnalités américaines les plus riches, les invitant à se délester d’une partie de leur fortune. Baptisée "The Giving Pledge", l’initiative consiste à enregistrer l’engagement moral de milliardaires acceptant de céder plus de la moitié de leur fortune. Dès décembre 2010, 57 milliardaires philanthropes avaient répondu à leur appel ! Cela m’avait beaucoup intéressé à l’époque car je suis frappé par le fait, qu’aujourd’hui, des fortunes colossales peuvent se faire en une vie, en une seule génération. J’ai ensuite lu un article d’un journaliste français sur le sujet qui concluait que "vraiment, chez nous, les patrons n’étaient pas généreux". Il semblait ignorer qu’en France, on ne peut pas faire ce que l’on veut en matière de successions. Les possibilités de dons sont limitées par la quotité disponible : quand vous avez trois enfants par exemple, vous ne pouvez disposer que d’un quart de votre patrimoine.

Comment êtes-vous arrivé à cette proposition d’un "double régime" de succession  ?


Nous nous sommes dit qu’il faudrait modifier les textes français pour rendre possible ce système de "pledge", mais qu’il ne fallait pas copier complètement le système américain car il existe, en France, une tradition très solidement ancrée de la transmission familiale. Donc, nous proposons un système à deux niveaux. Si vous recevez quelque chose de votre lignée, parents ou grands-parents, vous êtes dans l’obligation de le transmettre à vos héritiers selon le système actuel. En revanche, ce que vous avez gagné durant votre vie, le fruit de votre activité, vous pouvez en disposer comme bon vous semble. J’ai bien conscience que lorsqu’on évoque cette possibilité, les Français voient tout de suite le mourant sur son lit, à côté duquel se trouve quelqu’un prêt à lui faire signer un papier pour hériter de sa fortune ! En fait, ce n’est pas du tout cela. Dans notre système, vous pouvez donner cette richesse accumulée pendant votre vie à un certain nombre d’œuvres publiques, de charités ou autres, dont la liste est établie par le Conseil d’État. C’est d’ailleurs le même principe aux États-Unis.

Quel accueil a reçu cette proposition  ?


Nous avons discuté avec des dirigeants politiques qui trouvaient cela très bien et avec des notaires qui, eux, trouvaient le système… compliqué. Marie-Hélène des Esgaulx, sénatrice UMP, a même déposé une proposition de loi en juillet 2011. Elle reprenait notre proposition en des termes très clairs, rappelant que s’il est essentiel que le régime successoral reflète l’esprit de famille que Tocqueville définissait comme l’association entre un lignage et un patrimoine, il n’est pas moins essentiel qu’il permette au self-made-man de disposer de ce qu’il a librement acquis. Ajoutant qu’il devait pour cela disposer de ses biens pour en faire bénéficier une institution philanthropique. Après cette proposition de loi, j’avais été reçu par François Hollande à l’Elysée. Il m’avait écouté, pris des notes dans un petit carnet noir, puis conseillé d’aller en parler avec sa ministre de la Justice. Christiane Taubira m’a très bien reçu, nous en avons discuté pendant une heure. Et depuis, cela fait quand même plus de deux ans, plus aucune nouvelle.

Comment expliquez-vous ce silence  ?


Je m’en étonne car, après tout, on peut considérer que c’est une idée de gauche qui doit permettre d’accélérer la redistribution des biens. Une forme de blocage a dû se produire au niveau des services. Je pense en effet que Christiane Taubira a dû passer le dossier à ses services, qui ne sont pas vraiment modernes. C’est dommage car l’idée politique de base, c’est de dire qu’aujourd’hui on peut accumuler des richesses à une vitesse fulgurante, dans les nouvelles technologies, comme Bill Gates, ou sur les marchés, comme Warren Buffett. Il faut donc prévoir de nouveaux mécanismes de distribution, qui ne soient pas fiscaux, car ce serait alors de la spoliation, mais qui permettent à des gens qui ont fait une fortune professionnelle en une génération d’en rendre une partie à la collectivité ou de s’inscrire dans le temps.

En France, l’idée ne risque-t-elle pas de paraître trop libérale  ?


Elle devrait plaire à droite comme à gauche, car elle n’est pas idéologique. Mais c’est vrai qu’elle peut aussi susciter un rejet chez ceux qui, dans les deux camps, sont colbertistes ! Ceux-là préfèrent que le donateur soit obligé de rendre de l’argent à l’État, qui redistribuera, plutôt que le donner à tel ou tel. Les amis du libéralisme, eux, estiment qu’il vaut mieux que les gens soient libres de leurs choix. Mais à l’heure où il y a une concurrence fiscale intracommunautaire pour attirer les capitaux, à un moment ou un autre, la liberté de tester peut faire aussi partie des plans de gens qui se projettent à très long terme. Elle peut donc devenir un critère parmi d’autres déclencheurs ou accélérateurs de départs. De plus, dans le contexte actuel, on assiste à un tel assèchement des financements publics, qu’il va forcément falloir recourir à des financements privés.

Votre mesure ne risque-t-elle pas d’introduire une rupture d’égalité entre les héritiers d’empires familiaux et les enfants de self-made-men ?

Si vous voulez que tout soit égal, vous n’avez qu’à tout piquer à tout le monde, et ce sera réglé ! Notre système instaurerait la liberté de tester, pas l’obligation de le faire ! Ce n’est pas comme une rupture de l’égalité devant l’impôt. Une vraie objection consiste à dire que l’État pourrait y perdre pour des raisons fiscales. Mais lors de mon entretien avec François Hollande, celui-ci avait affirmé que "le jeu en valait la chandelle." Notre solution pourrait, en revanche, avoir un autre effet positif, qu’avait relevé Denis Kessler [actuel PDG du groupe Scor], toujours provocateur ! Il avait écrit un article sur le thème "au lieu de construire des maisons de retraites, vidons-les". Pour cela, un moyen très simple : instaurons la liberté de tester et, comme cela, tous les gens qui ne seront plus sûrs d’être héritiers de la fortune ne leurs parents, vont certainement mieux les traiter et les sortir des maisons de retraite !

Combien de patrons seraient-ils prêts à vous suivre  ?


En tout cas, beaucoup ne sont pas des héritiers, comme Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Xavier Niel, Jacques-Antoine Granjon, Marc Simoncini, Patrick Drahi, pour ne citer que les plus connus. Mais en France, il y a beaucoup de gens dont on ne parle pas et qui ont des fortunes considérables. Malheureusement, à cause de la fiscalité, beaucoup de ceux-là sont partis ou sont en train de quitter la France et le mouvement s’accélère. Les Américains payent pas mal d’impôts aussi, les droits de succession y sont par exemple de 60 % ; ils passent donc par des fondations. Dans ce cas, vous donnez votre fortune et vous n’avez plus aucun droit dessus. Dans les statuts de la fondation, il est prévu, en revanche, de servir une rente aux enfants. Les Américains n’ont pas honte d’être riches, ils parlent de leurs fondations, et le "Giving Pledge" est un moyen d’afficher leur générosité ! En France, je connais pas mal de patrons qui ont aussi créé leurs fondations, certes beaucoup plus modestes qu’aux États-Unis. Ils ne le disent pas, et c’est bien dommage. Je pense que notre système pourrait leur permettre de le mettre davantage en valeur s’ils le souhaitent.

Propos recueillis par Rémi Godeau et Irène Inchauspé   

Lire la Note - ''Pourquoi Bill Gates et Warren Buffet ne peuvent pas faire d'émules en France ...''

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