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16/06/2021

Réforme des retraites : sortir de l’impasse 

Réforme des retraites : sortir de l’impasse 
 Victor Poirier
Auteur
Ancien directeur des publications

Plusieurs lectures peuvent être faites du dernier rapport du Conseil d’Orientation des Retraites, publié le 10 juin dernier. Certaines se veulent optimistes et rassurantes ; d’autres sont plus réalistes, et appellent à une réforme du système de retraites, indispensable pour assurer sa pérennité et son caractère redistributif.

Partons d’abord des chiffres : la part des dépenses de retraite dans le PIB a atteint 14,7 % de la richesse nationale en 2020, un niveau (très élevé), notamment du fait de la crise économique et sanitaire. Cette part sera de 13,7 % en 2022, un niveau similaire à celui de l’avant-crise, et devrait descendre entre 11,3 et 13,0 % d’ici à 2070. 

Toujours les chiffres : le déficit du système de retraites a atteint 18 milliards d’euros en 2020, soit 0,8 % du PIB. Le solde varierait en 2070 entre -0,7 % du PIB et +2,1 % selon le scénario retenu.

Encore, les chiffres : le ratio entre le nombre de personnes de 20 à 50 ans et celui des personnes de 60 ans et plus passerait de 1,9 en 2020 à 1,3 en 2070.

Maintenant, la "traduction", c’est-à-dire les deux interprétations possibles des chiffres du COR. 

La première consiste à déduire de ces observations qu’il n’y aurait pas, à terme, de problème de financement du système des retraites. La plupart des scénarios tendraient à un surplus des recettes du système de retraites (et non à un déficit), les dépenses baisseraient en part du PIB. Tous les voyants seraient au vert.

Les plus jeunes seraient à la fois pénalisés par des taux de cotisation plus élevés et un montant moyen de pension plus faible relativement au revenu d’activité moyen.

La seconde, plus réaliste et pragmatique, consiste à étudier en particulier l’évolution des pensions qui continueront de croître en euros constants, mais qui chuteront relativement au revenu brut (entre 31,6 % et 36,5 % du revenu brut moyen en 2070, contre 50,1 % actuellement). Cette situation représente, in fine, une rupture d’équité générationnelle, puisque les plus jeunes seraient à la fois pénalisés par des taux de cotisation plus élevés et un montant moyen de pension plus faible relativement au revenu d’activité moyen.

Sans parler de bombe à retardement, évoquer l’équilibre financier du système à long terme sans tenir compte de l’appauvrissement relatif des retraités équivaudrait à passer à côté d’un problème majeur.

Cette deuxième interprétation doit nous amener à réfléchir : certes, un recul de l’âge de départ est une mesure globalement impopulaire (7 Français sur 10 s’y opposent selon de récents sondages). Mais l’impopularité de cette solution doit-elle prendre le pas sur la situation bien plus difficile à laquelle notre système de retraite est promis, et dont les conséquences seraient bien plus importantes pour les générations concernées ?

Aux deux options simplistes que sont nier le moindre problème financier du système, ou dramatiser la situation actuelle, une troisième voie existe et doit être privilégiée : celle de la pédagogie et de la rationalité pour faire du débat autour de la réforme des retraites un moment d’échange intergénérationnel et de valorisation de la place des seniors dans notre société

Pour ce faire, il convient de rappeler que la France fait figure aujourd’hui de cas particulier : son taux d’emploi des seniors (54,3 % des 55-64 ans contre 60,7 % pour la moyenne OCDE) et son âge moyen de départ à la retraite (autour de 60 ans, contre plus de 65 ans pour tous les grands pays industrialisés), sont parmi les plus bas de l’ensemble des pays développés. 

Une réforme visant à augmenter l’âge de départ à la retraite ne doit pas être un simple calcul comptable. En encourageant un maintien à l’emploi des seniors, ces derniers voient leur protection sociale renforcée et le risque de précarisation réduit, alors que l’espérance de vie augmente.

Une troisième voie existe et doit être privilégiée : celle de la pédagogie et de la rationalité.

Le maintien en activité répond à des enjeux clés de bien-être : les seniors qui restent en emploi se sentent en moyenne plus intégrés dans la société et sont en meilleure santé que ceux qui, au même âge, sont déjà partis à la retraite.

Cette situation bénéficierait par ailleurs à l’État qui assurerait la pérennité financière du système de retraite, et aux entreprises françaises, qui subissent encore trop aujourd’hui la perte de savoir-faire et de l’expérience des seniors, engendrant indirectement des conséquences sur leur croissance.

Une autre particularité française pourrait - devrait - aussi être intégrée à la prochaine réforme des retraites. Aujourd’hui, les régimes spéciaux - 42 régimes au total - sont l’antithèse du fameux jardin à la française qui fait habituellement pâlir nos voisins. Pourquoi un tel éparpillement ? Les règles des régimes spéciaux sont-elles globalement plus favorables que celles du secteur privé ? Il n’y a pas de consensus sur ce sujet, mais surtout, là n’est pas la question. En effet, soit les différences de règles public-privé sont réelles et leur maintien ne se justifie pas ; soit elles ne le sont pas, et alors l’alignement s’impose tout autant (et devrait être de surcroît plus aisé à atteindre). Les différences de règles alimentent la suspicion, brouillent la transparence de la situation des régimes et, surtout, constituent un frein à l’acceptation des efforts nécessaires au redressement des régimes par l’ensemble de la population.

Il convient donc de ne succomber ni aux sirènes alarmistes, ni aux discours simplistes. La France bénéficie d’un système de retraites parmi les plus généreux du monde. Un recul d’un ou deux ans de l’âge de départ à la retraite ne le rendra pas moins enviable au regard de ceux de ses voisins. Une réforme des retraites post-Covid devra s’articuler autour de deux chantiers majeurs : l’équité, qui suppose d’agir sur l’un des deux paramètres de durée à disposition (l’âge de départ ou le nombre de trimestres nécessaire pour une retraite à taux plein) et la transparence, à travers une simplification trop souvent écartée sans raison. Le tout pour garantir la pérennité d’un système à répartition qui peut - et doit - faire la fierté de notre pays. 

 

Avec l’aimable autorisation du JDD (publié le 17/06/2021)

Copyright : Ludovic MARIN / AFP

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