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08/02/2019

Présidence égyptienne de l’Union africaine : une opportunité réciproque ?

Trois Questions à Dalila Berritane

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Présidence égyptienne de l’Union africaine : une opportunité réciproque ?
 Dalila Berritane
Contributrice sur les questions africaines

A l’issue du sommet de l’Union africaine, à Addis Abeba, le 10 février 2019, l’Egypte assumera la présidence de l’Union pour un an, prenant ainsi le relais du Rwanda. Souvent considéré comme étant plus proche du Moyen-Orient que de l’Afrique, l’Egypte, qui se situe au carrefour des deux régions, a néanmoins annoncé entendre profiter de cette présidence pour se rapprocher de ses partenaires africains. Le Président Sissi reprendra le flambeau de son homologue rwandais, Paul Kagamé, dont la présidence de l’organisation continentale a été marquée par des réformes - ou du moins, une volonté de réforme - inédites. Quel bilan tirer de la présidence de Paul Kagamé ? Qu’attendre de la présidence égyptienne ? Dalila Berritane, founder & CEO de Nedjma Consulting et rapporteure du groupe de travail de l’Institut Montaigne Prêts pour l’Afrique d’aujourd’hui ?, nous livre son analyse.

Quel bilan tirer de la présidence rwandaise de l'Union africaine ?

Tout dépend de quel point de vue on se place, et si l’on regarde la trajectoire ou les résultats. Il est certain que le Président du Rwanda, Paul Kagamé, a souhaité marquer de son empreinte la présidence de l’Union africaine. Il a lancé un certain nombre de chantiers, certains avec succès et d’autres avec des résultats beaucoup plus mitigés.

Dans son discours de clôture lors du sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA) en novembre dernier à Addis Abeba, le Président Kagamé a estimé qu’il avait fait sa part du travail. Mieux, que son travail allait continuer à produire des effets des décennies après lui : "Nous avons fait notre part de travail pour poursuivre le voyage et je m’attends à ce que le prochain président de l’UA poursuive sur la même lancée et avec les mêmes progrès".

Dans son discours de clôture lors du sommet extraordinaire de l’Union africaine (UA) en novembre dernier à Addis Abeba, le Président Kagamé a estimé qu’il avait fait sa part du travail.

La réforme sur les moyens internes alloués au fonctionnement de l’Union africaine a été adoptée durant sa présidence, même si elle est loin encore de produire ses effets. Il s’agit pour les Etats africains de financer le fonctionnement de l’Union africaine en lui allouant une taxe sur les importations de l’ordre de 0,2 %. Si la moitié des 54 Etats de l’Union africaine ont adopté la mesure, le Président Kagamé n’a pas réussi à convaincre un poids lourd comme l’Afrique du Sud, qui traîne des pieds.

Concernant les processus électoraux, le Président Kagamé a essuyé un échec cuisant. Le mois dernier, il a convoqué une réunion de l’UA sur la situation en République Démocratique du Congo, et a souhaité imposer à Kinshasa un recomptage des voix de l’élection présidentielle, ce qu’il n’a pas réussi à obtenir. Pire, le Président Kagamé qui devait conduire une délégation à Kinshasa a dû renoncer à sa mission en raison de la proclamation officielle des résultats de l’élection présidentielle. Et du peu d’empressement, c’est le moins que l’on puisse dire, de la SADC, la région d’Afrique australe présidée par l’Afrique du Sud, à approuver sa démarche. La SADC a simplement appelé au calme en RDC considérant de fait la démarche du Président Kagamé comme nulle et non avenue.

Personne n’oublie au sein de l’Union africaine les inimitiés entre Paul Kagamé et son ancien protégé, Joseph Kabila, ainsi que son rôle dans la déstabilisation du Congo. A Kinshasa, y compris dans les rangs de l’opposition au Président Kabila, on a ironisé sur le fait que le Président Kagamé, réélu trois fois de suite avec des scores à la soviétique, avec le droit de se représenter jusqu’en 2034, puisse encore faire et défaire l’élection présidentielle en RDC.

Concernant la force de maintien de la paix panafricaine souhaitée par Kagamé, celle-ci est certes lancée mais nécessite des moyens financiers et humains considérables. Le président de la Commission de l’Union africaine, le tchadien Moussa Faki Mahamat, considéré comme proche du Président Kagamé, a lancé un fond de 400 millions de dollars pour gérer les conflits. A ce jour, 60 millions auraient déjà été récoltés.

Enfin, Paul Kagamé a échoué à renforcer les pouvoirs de la Commission de l’UA, même s’il a réussi à rationaliser son fonctionnement en réduisant le nombre de commissions, qui est passé de 8 à 6.

Le Premier ministre égyptien, Mustapha Madbouli, a insisté sur la nécessité pour l'Egypte d'exploiter sa présidence de l'UA pour se rapprocher des pays africains. Quel est l'état actuel de cette relation ?

Il faut se souvenir qu’un peu plus d’un an après la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), l’ancêtre de l’Union africaine, c’est Le Caire qui accueillait en 1964 le tout premier sommet de l’OUA. L’Egypte a donc joué un rôle majeur dans la création de l’OUA avant de s’en éloigner durant les années Moubarak, après la tentative d’attentat contre le chef de l’Etat égyptien en 1995 alors qu’il arrivait à Addis Abeba pour participer au sommet de l’OUA. Aujourd’hui, l’Egypte, qui prend la présidence de l’Union africaine, devra démontrer son ancrage en Afrique, tout en maintenant une politique étrangère très forte vers le Proche et le Moyen-Orient.

L’Egypte a donc joué un rôle majeur dans la création de l’Organisation de l'unité africaine avant de s’en éloigner durant les années Moubarak

Dans un contexte de tensions politiques dans la région et sur le plan international, Le Caire a tout intérêt à choyer ses relations de voisinage avec les autres pays africains. En effet, à ses frontières, des bouleversements majeurs s’opèrent. Dans la Corne de l’Afrique, un rapprochement inédit entre l’Erythrée et l’Ethiopie intéresse au premier chef l’Egypte, qui surveille de près l’usage qui est fait des eaux du Nil, à la suite de la construction du gigantesque barrage éthiopien sur le fleuve. Le Soudan est également une source d’inquiétude, après les contestations contre le régime de Béchir. Le Caire entretient en effet des relations en dents de scie avec Khartoum en raison d’un conflit sur une île du triangle frontalier, dit de Halayeb, que se disputent les deux pays.

Et puis n’oublions pas que l’Egypte accueillera cet été la CAN 2019, la Coupe d’Afrique des nations, qui est un très grand moment de football et de festivité pour l’Afrique.

Que peut-on attendre de la présidence égyptienne, qui débutera le 10 février prochain, notamment au sujet des réformes de l'UA initiées par Paul Kagamé pendant la présidence rwandaise ?

Néanmoins, il n’est pas certain que l’Egypte reprenne à son compte la volonté du Président Kagamé de renforcer les pouvoirs de la Commission de l’Union africaine.

L’une des priorités de la présidence égyptienne à la tête de l’Union africaine sera avant tout sécuritaire et le combat contre ce que Le Caire qualifie de terrorisme. Le développement économique est également annoncé comme un axe de travail par les autorités égyptiennes. À cet effet, les entreprises égyptiennes vont sans doute être poussées à davantage investir dans les autres pays d’Afrique. Les jeunes entrepreneurs qui, semble-t-il, seraient plus enclins à renouer avec leurs racines africaines, vont être fortement sollicités, notamment lors du sommet que l’Egypte organisera cette année à Assouan entre les jeunesses arabes et africaines. Le Caire souhaite également relancer son tourisme en mettant en avant un certain nombre de projets culturels panafricains.

Enfin sur le plan des réformes de l’UA, l’Egypte va pousser les pays membres qui ne l’ont pas déjà fait à ratifier la zone de libre-échange continentale (ZLEC), la zone économique panafricaine. En cela, le Président Sissi reprendra bien le flambeau de son homologue rwandais, Paul Kagamé. Néanmoins, il n’est pas certain que l’Egypte reprenne à son compte la volonté du Président Kagamé de renforcer les pouvoirs de la Commission de l’Union africaine. En effet, l’Egypte, au lendemain du coup d’Etat du maréchal Sissi en 2013, avait été suspendue de l’Union africaine. Une décision qui serait, selon le Caire, l’oeuvre de la Commission de l’UA. En cela, Le Caire sera certainement suivi par un grand nombre de chefs d’Etats qui refusent de déposer leurs pouvoirs de souveraineté entre les mains de la Commission de l’UA.

 

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