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06/02/2018

La transmission d’entreprise, un outil de modernisation de l’économie ? Trois questions à Frédéric Coirier

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La transmission d’entreprise, un outil de modernisation de l’économie ? Trois questions à Frédéric Coirier
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Le projet de loi "Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises", ou PACTE, sera présenté au printemps. Il portera notamment sur les questions de transmission. L’objectif est clair : "faire grandir nos entreprises pour leur permettre d’innover, d’exporter et créer des emplois". En quoi s’agit-il d’un levier d’action majeur pour la compétitivité de notre économie ? Décryptage par Frédéric Coirier, président du directoire de Poujoulat, entreprise familiale de deuxième génération, et co-président du METI.

La transmission d’entreprise constitue l’un des axes structurants du PACTE. Quelle est votre vision de ces enjeux pour ce qui concerne la France ?

La transmission d’entreprise répond à deux enjeux majeurs de politique économique :

  1. d’une part, fixer les centres de décision sur notre territoire : transmettre une entreprise, c’est d’abord assurer la pérennité de l’activité et de l’emploi par un passage de relais. Pour faire face à la volatilité du capital, la stabilité des blocs actionnariaux constitue un enjeu fondamental. C’est particulièrement vrai dans l’industrie, où les besoins en capitaux sont importants et les temps de retour sur investissements souvent très longs ;
     
  2. d’autre part, accélérer le renouvellement générationnel : transmettre une entreprise, c’est également permettre à de jeunes talents d’arriver aux postes clés de direction. À l’heure où l’ensemble de notre tissu productif se transforme sous l’effet de la révolution numérique et où les échanges internationaux s’accélèrent, il est vital de donner à nos entreprises les moyens de moderniser leurs visions stratégiques.

Or, force est de constater que la France accuse un retard sur ses principaux voisins européens en matière de transmission. On estime ainsi le taux de transmissions intrafamiliales à 17 % dans l’Hexagone, contre 56 % en Allemagne ou 69 % en Italie. Il s’agit pourtant d’un enjeu stratégique en matière de politique économique pour les années à venir, notamment pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) : une ETI sur deux sera amenée à se transmettre dans les dix ans. 1,5 million d’emplois sont en jeu.

Quels sont les facteurs qui expliquent ce retard sur la question de la transmission ?

Le premier élément de blocage que l’on peut identifier est le coût de la transmission d’entreprise, et notamment pour ce qui concerne les droits de succession. En France, en régime normal, ces droits avoisinent les 11 % de la valeur de l’entreprise transmise, alors qu’ils sont nuls en Allemagne, en Italie ou encore au Royaume-Uni. 

Certes, une première étape décisive a été franchie avec la loi de finances pour 2018 : d’une part, le remplacement de l’ISF par l’IFI va permettre de stabiliser l’actionnariat de long terme ; d’autre part, la mise en place du prélèvement forfaitaire unique, ou "flat tax" à 30 % va réduire la facture des transmissions. Dans la mesure où le paiement de la transmission des ETI s’opère par le versement de dividendes, l’allègement de la fiscalité des dividendes va conduire à réduire le coût global de la transmission.

Le second élément qui freine la transmission d’entreprises relève de la complexité des procédures administratives à mettre en œuvre. Cette complexité, outre le fait qu’elle rallonge souvent le processus de transmission, induit également des "coûts cachés". En effet, les dirigeants d’entreprise ont souvent recours à des prestations d’accompagnement onéreuses afin de réaliser la transmission de l’entreprise. 

Si les ETI atteignent souvent la taille critique qui leur permet de supporter de telles charges additionnelles, c’est beaucoup plus difficile pour les TPE et les PME. Par conséquent, si l’on souhaite embarquer l’ensemble du tissu économique dans le projet de loi, il est nécessaire de simplifier les dispositifs existants afin de ne pas créer de barrière à l’entrée pour la transmission.

Concrètement, quelles sont les actions à entreprendre aujourd’hui qui pourraient accélérer la transmission d’entreprise selon vous ?

Un dispositif existe déjà qui permet de diminuer significativement les coûts de transmission, c’est ce qu’on appelle le "pacte Dutreil". Concrètement, il s’agit d’une exonération fiscale de 75 % sur les coûts de transmission. Cet abattement est assorti d’une condition sur la durée de détention des titres transmis de six ans. Mais ce dispositif, mis en place en 2003, doit aujourd’hui être à la fois renforcé et modernisé.

Comme proposé dans le rapport ETI : taille intermédiaire, gros potentiel, il s’agit avant tout de simplifier ce dispositif, par exemple en permettant toute forme de consolidation actionnariale au sein des actionnaires d’un pacte. Afin de rendre ce dispositif encore plus attractif pour les dirigeants d’entreprise qui souhaitent s’engager sur le temps long, on pourrait également augmenter l’abattement pour le porter à 95 % des coûts de transmission : cela ramènerait ainsi les coûts de transmission sous la barre des 5 %, soit un taux aligné sur la moyenne européenne. En contrepartie, la durée de détention serait portée à huit ans au lieu de six.

Mais il faut également moderniser ce dispositif, en élargissant les pactes Dutreil au-delà des problématiques de transmission intrafamiliales. Il serait ainsi intéressant d’ouvrir les pactes aux salariés qui souhaitent poursuivre l’aventure entrepreneuriale afin de mieux les associer à la pérennisation de l’entreprise. En somme, il s’agit, quinze ans après sa création, d’adapter ce dispositif à la réalité sociale et économique de notre pays.

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