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09/03/2018

La logique de la nouvelle dynastie chinoise

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La logique de la nouvelle dynastie chinoise
 Eric Chaney
Auteur
Expert Associé - Économie

Après s’être assuré que son nom rejoigne ceux de Karl Marx, Mao Tsétoung et Deng Xiaoping au panthéon de la pensée socialiste dans le préambule de la constitution chinoise, le président Xi Jinping propose de supprimer la clause de non renouvelabilité de sa fonction après deux quinquennats, comme Philippe Le Corre l’a expliqué et analysé dans un récent article sur le blog de l’Institut. Il n’en faut pas plus pour qu’on affuble Xi Jinping du sobriquet de "nouvel empereur", ou de dictateur à vie. Si la comparaison avec les dynasties impériales du passé a du sens, il ne faudrait pas pour autant assimiler cette évolution à la consécration d’un "néo-maoïsme", à l’image du "néo-ottomanisme" auquel le président turc Erdogan se réfère sans vergogne, depuis que, lui aussi, a fait modifier la constitution en sa faveur. 

Xi n’est pas néo-maoïste

D’abord, comme les Chinois le font remarquer, ni la fonction de secrétaire général du Parti, ni celle de la commission militaire centrale, n’ont de limites temporelles. Comme l’a montré l’exemple de Deng, qui n’était "que" président de la commission militaire centrale lorsqu’il dirigea son pays vers l’économie de marché, il n’est pas nécessaire d’être le président pour diriger la Chine. Ensuite, la révolution culturelle a vacciné Xi Jinping contre les dérives maoïstes. Parce que son père était proche de Deng, Xi passa son adolescence dans une commune rurale troglodyte et connut même les délices des camps de travail maoïstes pour avoir voulu s’en échapper. Parmi les dirigeants chinois de sa génération, il est l’un des mieux à même de comprendre l’intérêt de règles visant à prévenir une dérive autocratique au sein du Parti. Si, pourtant, il a souhaité s’en affranchir, c’est, semble-t-il, que l’opposition aux réformes, dont la lutte contre la corruption et le frein à l’endettement des entreprises sont deux faces d’un même objectif, est plus importante qu’on ne le pense, y compris de la part des néo-maoïstes.

Plus fondamentalement encore, la montée en puissance de Xi confirme que les dirigeants chinois ont bien l’intention de poursuivre les réformes économiques sans, comme on l’a rêvé en occident, aller vers la libéralisation politique, bien au contraire. Souvenons-nous comme, il y a moins d’un an, la mort dans une cellule d'hôpital du prix Nobel de la Paix Liu Xiaobo nous avait rappelé que la Chine de Xi est toujours celle du massacre de Tienanmen.

"La Chine en eaux profondes"

Et pourtant, que de chemin parcouru depuis 1989 ! Qui aurait imaginé alors qu’après l’émergence d’internet, medium libertaire si l’en est un, une société chinoise, Baidu, soit classée 4ème des sites internet mondiaux, entre Facebook et Wikipedia ? Qui aurait anticipé qu’une transmission d’information quantique, donc instantanée malgré les objections d'Einstein, soit rendue possible sur une grande distance grâce à un satellite chinois ? Qui aurait osé prédire que les obligations d'état chinoises seraient émises en renminbi sur la place financière de Londres ? Pour tenter d’y voir plus clair et ne pas tomber dans des raccourcis trompeurs, il est intéressant de relire le livre de Sylvie Bermann, La Chine en eaux profondes, paru chez Stock en mars 2017.

Madame Bermann, aujourd’hui ambassadeur de France à Moscou, mais qui occupa cette fonction à Pékin de 2011 à 2014, n'avait pas plus prévu ces extraordinaires développements que les experts attitrés, et pourtant, à la lecture de son livre, on en est moins étonné, et l’on se prépare à bien plus encore.

En poste à Hong Kong avec le titre de Vice-Consul qu’elle affectionnait en souvenir de Marguerite Duras, Sylvie Bermann n’hésita pas à emprunter des chemins de traverse lors de la prise de pouvoir par la bande des quatre après la mort de Mao. Elle fut témoin du grand virage opéré par Deng Xiaoping, pour qui restaurer la grandeur de la Chine passait d’abord par l’enrichissement de sa population, et donc par le capitalisme. En 1979, on lui fit visiter une zone marécageuse présentée comme la future vitrine de la Chine moderne. Habituée à l’hyperbole communiste, elle fut néanmoins intriguée par ce projet dans le district de Shenzhen, où l'on comptait alors trente mille habitants. A la place du marécage, se dressent aujourd’hui les immenses usines du groupe Foxconn, d’où sortent les composants qui équipent pratiquement tous les smartphones et tablettes vendus dans le monde. Et Shenzhen a aujourd'hui plus de dix millions d'habitants.

La nouvelle dynastie : le parti communiste chinois

Fine connaisseuse de la culture et de l’histoire de la Chine, ayant partagé avec les Chinois la formidable évolution de leur pays depuis le désastre de la Révolution culturelle, l’ambassadrice put recueillir les confidences de dirigeants, d'universitaires, d’écrivains et d’artistes pas toujours en odeur de sainteté. Au risque de simplifier, son message se résume ainsi : une nouvelle dynastie dirige l’empire du Milieu, le Parti Communiste Chinois. Devenue seconde puissance économique mondiale et principal créancier des Etats-Unis, la Chine, obsédée par les hauts et les bas de son histoire quadri-millénaire, a finalement surmonté l’humiliation du sac et de l'incendie du Palais d’été par les troupes anglaises et françaises, dont Victor Hugo dénonça la barbarie.

Jusqu'à la crise financière de 2008, suivre la stratégie de Deng Xiaoping était clair, sinon aisé. Il s'agissait de rattraper les pays avancés en important leur savoir-faire et en adaptant leur système économique. La route était balisée. Mais, s'approchant du but, la Chine est devenue si puissante que ses décisions, économiques ou politiques, influent le reste du monde et, par ricochet sa propre économie. Sur cette nouvelle dynamique, les cartes du passé sont muettes, qu'elles soient empruntées à l'étranger ou puisées dans son histoire.

La double stratégie de Xi Jinping

La Chine est désormais "entrée en eaux profondes", et la route qu'elle suivra sera la sienne, pas celle de l'Occident, nous a averti Sylvie Bermann. Si Deng Xiaoping conseillait la modestie dans la communication interne et externe, c’était par pragmatisme, pas par principe : il ne fallait pas susciter l’hostilité de l’Occident au moment où la Chine en avait tant besoin. Les objectifs de Deng ont été atteints, au-delà de ses propres espérances, mais la partie n’est pas gagnée pour autant. La population active a commencé à diminuer, le niveau de vie et d’éducation dans les campagnes –encore 40 % de la population— est très inférieur à celui des villes, le développement effréné a causé des catastrophes écologiques, et la rapide montée de l’endettement après 2009 est allée de pair avec une corruption à grande échelle des échelons intermédiaires et supérieurs du parti. Pour la classe dirigeante, le risque d’un enlisement des réformes économiques est redoutable, car c’est celui de la ‘trappe du développement intermédiaire’, un état bien identifié par les économistes du développement, qu’on exprime plus crûment en Chine par "devenir vieux avant d’être riche".

D’où la double stratégie de Xi Jinping. D’un côté, maintenir le cap des réformes, ce qui veut dire poursuivre l’ouverture sous contrôle des marchés de capitaux, restructurer les entreprises d’état souvent moribondes sans provoquer de désastre social, réduire l’addiction à l’endettement des entreprises et des collectivités, et son corolaire, la corruption. De l’autre, flatter le sentiment nationaliste de la population par l’affirmation de la place de la Chine sur la scène mondiale, ce qui passe par son hégémonie régionale, en mer de Chine du sud par exemple.

Pour atteindre ces ambitieux objectifs, Xi comme Deng et ses successeurs, met sans vergogne les ressorts puissants de l’économie capitaliste de marché au service du "modèle socialiste chinois", mais y ajoute un investissement massif en sciences et technologies, depuis l’éducation jusqu’à la recherche fondamentale et appliquée, tout particulièrement en informatique, des supercalculateurs de classe exa-flops au calcul quantique, en passant par l’intelligence artificielle, où l’effort des géants chinois comme Baidu est soutenu par l’état. Ce faisant, il pense atteindre plusieurs objectifs d’un même coup : sauter des étapes dans le développement économique, cultiver la fierté nationale ("notre supercalculateur est plus puissant que celui des américains"), et … mieux contrôler la population, dont la partie urbaine est hautement connectée.

Leçons pour l’Europe

Faut-il s’alarmer du renforcement du pouvoir de Xi Jinping et de ses partisans ? Si l’on espérait voir la Chine évoluer vers une forme de démocratie occidentale, certainement. Mais si l’on renonce à cette illusion et que l’on réfléchit aux scenarios alternatifs, dont celui d’une prise de pouvoir par des néo-maoïstes prêts à marcher dans les pas de l’empereur Qin, unificateur de la Chine mais aussi bâtisseur de la grande muraille, on sera tenté de suspendre son jugement.

Et si l’Europe veut se montrer à la hauteur, qu’elle se protège lucidement des acquisitions chinoises dans les domaines sensibles de la technologie, certes, mais, avant tout, qu’elle aussi investisse sans barguigner dans l’innovation scientifique et technique. Notre retard est très inquiétant : en 2017, 48 % des fonds levés sur les marchés d’actions pour l’intelligence artificielle l’ont été en Chine, 38 % aux Etats-Unis, et environ 10 % en Europe. Il est temps que les écailles tombent de nos yeux.

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