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04/09/2020

"France Relance" : un plan à la hauteur de la crise ?

Entretien avec Eric Chaney

 Eric Chaney
Expert Associé - Économie

Ce jeudi 3 septembre, le Premier ministre Jean Castex a détaillé l’intégralité du plan de relance français, intitulé "France Relance". Ce sont ainsi 100 milliards d’euros qui vont être débloqués entre 2021 et 2022, à travers 70 mesures réparties en trois piliers : transition énergétique, relocalisation industrielle, cohésion sociale et territoriale. Au-delà des grandes masses en jeu, que peut-on attendre de ce plan de relance ? Saura-t-il restaurer la confiance nécessaire chez les acteurs économiques pour retrouver le niveau de croissance d’avant-crise ? Les 30 milliards d’euros dédiés à la transition énergétique auront-ils l’impact escompté ? Eric Chaney, conseiller économique de l’Institut Montaigne, répond à nos questions.

Le plan de relance de 100 Mds d’euros présenté par le Premier ministre est-il sans précédent ?

L’enveloppe totale indiquée par le gouvernement est importante : 100 Mds d’euros, cela représente 4,9 % du PIB annuel, mesuré au moment de son annonce (le PIB du 2e trimestre annualisé était de 2 044 Mds d’euros selon l’Insee). L’ampleur du plan serait inédite si ces fonds étaient injectés dans l’économie à court terme, disons dans les 6 mois à venir. La réalité sera un peu différente. Tout d’abord, il semble qu’une partie des 100 Mds, de l’ordre de 20 Mds, viendra de la Banque publique d’investissement (Bpifrance) et de la Caisse des Dépôts sous forme de prêts ou de garanties. Par ailleurs, le plan présenté le 3 septembre comporte des mesures d’aide à l’emploi ("bouclier anti-chômage" par exemple) et de soutien aux entreprises (renforcement des fonds propres) qui ont déjà été annoncées et sont partiellement mises en œuvre.

Il n’empêche, la taille du plan reste respectable, d’autant plus qu’il vient s’ajouter aux dépenses déjà engagées par le gouvernement depuis le début de la crise, que ce soit sous forme de dépenses directes, ou de baisse "automatique" de recettes fiscales. Tous plans confondus, et sans compter les soutiens massifs octroyés par la BCE et la Banque de France, la relance budgétaire française est probablement de l’ordre de 7 à 8 % du PIB de la mi-2020, ce qui est véritablement spectaculaire.

Mais est-il pour autant à la hauteur des défis de la crise ?

Tous plans confondus, la relance budgétaire française est probablement de l’ordre de 7 à 8 % du PIB de la mi-2020, ce qui est véritablement spectaculaire.

Si la crise était due à une brusque chute de la demande, comme ce fut le cas à la fin de 2008 avec l’effondrement du commerce international et la liquidation des stocks par les entreprises, la masse budgétaire mise en jeu serait à la hauteur de la situation macroéconomique – une baisse du PIB de l’ordre de 10 % en année pleine. Mais la situation économique créée par l’épidémie de Covid-19 est très particulière. Comme je le notais dans mon article Leçons de l’été avant une rentrée sous surveillance, ni les ménages ni les entreprises ne souffrent d’un manque de liquidités s’il s’agit de dépenser.

Le taux d’épargne financière des ménages est passé de 4,6 % du revenu fin 2019 à 19,5 % fin juin, du jamais vu, tandis que les actifs liquides des entreprises non financières (numéraire et dépôts) ont augmenté de 41 Mds d’euros au cours du premier trimestre (+317 % en un an), alimentés par d’abondants crédits bancaires. Le choc initial est avant tout un choc d’offre, qui, progressivement, entraîne un déficit de demande, non pas faute de revenu, mais en raison d’anticipations sombres de la part des entreprises et des ménages et d’un degré très élevé d’incertitude, bref, d’un déficit massif du facteur "confiance".

C’est à cette aune qu’il faut juger le plan de relance : contribuera-t-il à rétablir la confiance des entreprises et des ménages ?

Commençons par les ménages. Leurs principaux sujets d’inquiétude sont l’emploi et, fait surprenant révélé par l’enquête ménages de l’Insee, la crainte d’une envolée des prix (inflation). Le plan de relance devrait atténuer les craintes sur l’emploi, puisqu’une partie significative est allouée à la subvention du chômage partiel et à l’incitation à l’embauche des jeunes (14,3 Mds), et que les diverses aides et subventions ciblées aux entreprises, comme les subventions à la rénovation des bâtiments (6,7 Mds) ou les subventions aux technologies vertes (9 Mds) devraient aboutir à des créations d’emploi, comme le rappelait Jean Castex dans sa conférence de presse. Mais soyons réalistes : les ménages français ne seront véritablement rassurés sur l’emploi que lorsqu’ils percevront que l’activité économique revient sans ambiguïté à la normale. De ce point de vue, ce ne sont pas les 30 Mds précédents qui changeront grand-chose. Quant à la crainte d’une flambée des prix exprimée par les ménages, on ne voit pas bien ce qui l’apaisera. En baissant temporairement le taux de TVA, le gouvernement allemand s’est montré bien plus offensif : non seulement la baisse éteint la crainte de l’inflation, mais, puisqu’elle est temporaire (jusqu’à fin décembre), c’est une forte incitation à consommer précisément au moment où il faut relancer la machine. Il serait d’ailleurs possible d’aboutir à un résultat similaire sans débourser un sou, par exemple en autorisant une période de soldes exceptionnelles jusqu’à la fin de l’année, ce que le gouvernement n’a pas jugé utile de faire.

Passons aux entreprises. Le plan leur fait la part belle, par des subventions ciblées, par des injections de capitaux propres là où ils sont vitaux, et par la baisse de certains impôts à la production (moitié de la CVAE et taxes foncières) qui, selon Bruno Le Maire, devrait bénéficier principalement aux petites et moyennes entreprises. En soi, la baisse de certains impôts à la production est une bonne chose pour les entreprises, bien que, lorsqu’ils sont la contrepartie de l’utilisation d’infrastructures publiques, ils soient justifiés – de ce point de vue on ne comprend pas bien pourquoi le plus absurde des impôts de production, la C3S (4 Mds en 2019) serait maintenu. Mais revenons au sujet de la relance : la baisse de 20 Mds des impôts à la production sur deux ans incitera-t-elle les entreprises à investir plus ? La question est cruciale, car non seulement l’investissement productif a beaucoup souffert de la crise, avec un risque sur la productivité à moyen et long terme, mais aussi parce que lors de toute reprise, c’est l’investissement qui en est la composante la plus dynamique.

En augmentant le taux de marge des entreprises, la baisse des impôts de production peut favoriser l’investissement, dont les principaux déterminants sont les anticipations de demande et les profits, y compris l’incertitude entourant ces anticipations. Mais dans les circonstances actuelles, l’obstacle principal aux décisions d’investissement pourrait bien être l’incertitude sur les contraintes sanitaires futures dues à l’épidémie, et elle n’en sera pas réduite pour autant. À dépense fiscale identique, il aurait été bien plus efficace de subventionner l’investissement des entreprises, en leur permettant d’être créditée d’un avoir fiscal équivalent par exemple à 10 % de leurs dépenses d’investissement sur le territoire national, d’ici la fin 2021.

Si les incertitudes sanitaires et économiques refluent significativement dans les prochains mois, le rythme de reprise accélèrera et l’on en créditera le plan de relance. [Sinon], la reprise s’affaissera, plan de relance ou non.

En résumé, l’impact du "plan de relance" sur l’économie est fortement sujet à caution. Si les incertitudes sanitaires et économiques refluent significativement dans les prochains mois, le rythme de reprise accélèrera et l’on en créditera le plan de relance. Si elles persistent ou s’aggravent, la reprise s’affaissera, plan de relance ou non.

Le gouvernement insiste sur les aspects structurels du plan de relance comme, par exemple, un investissement massif dans la transition écologique. N’est-ce pas l’essentiel ?

Il faut savoir ce que l’on veut : utiliser la crise du Covid-19 pour faire des réformes structurelles, en accélérant la transition écologique par exemple, ou relancer l’économie pour la sortir du trou très profond dans lequel les décisions prises au nom de la santé publique l’ont précipitée. Je crains qu’à vouloir atteindre les deux objectifs "en même temps", on ne les rate tous les deux. De mon point de vue, il aurait été préférable que le plan de relance ne vise qu’un seul objectif – ramener l’économie à son niveau pré-Covid le plus rapidement possible - sans pour autant gaspiller l’argent public (inutile de stimuler l’activité de secteurs qui tirent bien leur épingle du jeu, par exemple). Comme nous l’avons vu, le plan du gouvernement ne vise cet objectif que par défaut.

À défaut de fortement stimuler l’économie, atteindra-t-il ses objectifs structurels, transition écologique, réindustrialisation, renforcement de la cohésion sociale et territoriale par exemple ? Les sommes mises en jeu sont considérables et elles n’auraient pas pu être mobilisées dans des circonstances ordinaires, ce qui doit être noté.

En décidant de l’allocation des fonds du plan de relance sans évaluation préalable de leur coût par tonne de CO2 non émise, le gouvernement a cédé à la pression politique, [...] plutôt qu’à la rationalité économique.

Mais l’efficacité du plan risque de décevoir, comme on s’en rendra compte en prenant l’exemple de la transition écologique. Le défi principal auquel nous sommes confrontés est le changement climatique causé par l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, principalement le CO2. Une partie importante du plan - de l’ordre de 20 Mds d’euros selon le gouvernement - sera allouée à l’objectif de réduction des émissions, sous forme de subvention aux transports utilisant l’électricité comme source d’énergie (SNCF, véhicules propres, transports en commun, vélo) et de subvention à la rénovation des bâtiments, de façon à en réduire les besoins de chauffage.

L’effort est considérable et contribuera certainement à la réduction des émissions, toutes choses égales d’ailleurs. Mais l’allocation de ces précieux subsides relève d’une logique de planification administrative plutôt qu’économique. Pour que chaque euro dépensé le soit de la façon la plus efficace possible, il faut pouvoir juger de cette efficacité en calculant à l’avance la réduction des émissions de CO2 entraînée par chaque subvention, et en comparant les diverses possibilités grâce à l’attribution d’un coût unique des dégâts futurs de la tonne de carbone ainsi évitée. Sans cette évaluation comparative, il est malheureusement très probable que les ressources publiques ne seront pas allouées efficacement. Dit autrement, il serait possible d’obtenir les mêmes réductions d’émissions à un coût moindre, ou d’atteindre un objectif de réduction plus ambitieux pour un coût équivalent.

En décidant de l’allocation des fonds du plan de relance sans évaluation préalable de leur coût par tonne de CO2 non émise, le gouvernement a cédé à la pression politique, déjà exprimée par la Convention citoyenne sur le climat, plutôt qu’à la rationalité économique. L’efficacité du plan ne pourra qu’en souffrir.

 

Copyright : Ludovic Marin / POOL / AFP

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