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15/07/2020

Dernières nouvelles de la course à l’espace

Trois questions à Arthur Sauzay

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Dernières nouvelles de la course à l’espace
 Arthur Sauzay
Avocat Counsel, Allen & Overy

Le 30 mai dernier, deux astronautes américains ont rejoint la Station spatiale internationale à bord d'une fusée SpaceX, la société d’Elon Musk, confirmant le rôle central des États-Unis dans la conquête de l’espace. Tournant majeur ou exercice de communication, ce lancement aura au moins permis aux enjeux spatiaux de revenir au centre des débats. Trois questions à Arthur Sauzay, conseiller de l’Institut Montaigne pour les questions spatiales.

Le 30 mai dernier, deux astronautes américains se sont envolés à bord d’une fusée de la société SpaceX, la société d’Elon Musk, première entreprise privée à se voir confier par la NASA la responsabilité d'acheminer des hommes dans l’Espace. En quoi cet événement ouvre-t-il une nouvelle ère de la politique spatiale ? 

C’est le retour des États-Unis à l’autonomie dans les vols habités après près de dix ans d’absence. La portée de ce lancement ne doit cependant pas être surestimée. Celui-ci s'inscrit dans l’histoire de la NASA, qui a toujours utilisé des entreprises privées pour construire et lancer ses fusées. Mais la nouveauté de cet événement tient à la marge de manœuvre laissée à SpaceX pour concevoir ce lancement. Avec ce lancement, la NASA reprend par ailleurs le chemin de la Station spatiale internationale, après avoir laissé pendant longtemps les Russes et leurs navettes Soyouz, seul véhicule disponible pour rejoindre cette station. 
 
Cet événement marque avant tout le renouveau des vols habités. Boeing devrait prendre part à cette avancée prochainement, malgré des difficultés techniques qui l’ont vue se faire distancer par SpaceX. 
 
Le lancement du 30 mai dernier sonne donc l’arrivée de nouveaux acteurs dans la mise en place de vols habités. Elon Musk, ne venant pas de l’industrie spatiale traditionnelle, a abordé les activités spatiales avec un regard neuf. Il est parvenu avec SpaceX à développer un lanceur nouveau, fiable et à bas prix - consacrant le statut du Falcon 9 comme l’un des meilleurs lanceurs au monde.

La nouveauté de cet événement tient à la marge de manœuvre laissée à SpaceX pour concevoir ce lancement.

De plus, SpaceX amorce le développement d’un nouveau lanceur qui – s’il aboutit, ce qui n’a rien d’évident – aura sans doute une génération d’avance sur tous les lanceurs existants. Ce lanceur, appelé Starship aurait une capacité bien supérieure au plus gros lanceur actuellement disponible : il serait totalement réutilisable et permettrait des transports vers la Lune et vers Mars. C’est un changement de nature, pas seulement d’échelle. Mais les défis (technologiques, industriels, politiques) à relever sont imposants.
 

Une nouvelle série diffusée sur Netflix intitulée Space Force imagine une opération de conquête de la Lune lancée par l'armée américaine pour asseoir la suprématie des États-Unis dans le domaine spatial. Comment analysez-vous le nouveau rapport de force entre les puissances et la place de la Lune dans ce jeu ? 

De la fiction à la réalité, il n’y pas une si grande distance… Pour l’instant, l’existence d’un nouveau rapport de force dans le domaine spatiale est indéniable, mais il faut rappeler que celui-ci n’a pas été modifié fondamentalement par le vol habité de SpaceX. Les Russes font ce type de vol sans interruption depuis 1961. De même, les Chinois sont autonomes et font même des tests pour une nouvelle capsule spatiale qui pourrait avoir des capacités supérieures à celle de SpaceX en leur permettant d’aller plus loin, plus longtemps. En restant relativement discrète sur ses ambitions, la Chine rattrape cependant progressivement les Américains et poursuit une stratégie tous azimuts, dont la Lune fait clairement partie. 
 
Alors qu’il y a dix ans, l’objectif d’aller sur la Lune aurait pu paraître dépassé, celui-ci apparaît central désormais. Pour la Chine, cet objectif symbolique se fonde sur l’idée exprimée par le responsable du programme chinois d’exploration lunaire : "Si nous n’y allons pas maintenant, alors que nous en sommes capables, nos descendants nous le reprocheront. Si d’autres que nous y vont, ils vont s’en emparer et vous ne pourrez plus y aller, même si vous le voulez. C’est une raison suffisante." Cette vision fait écho aux enjeux en Antarctique : ils représentent tous deux des objectifs symboliques à court-terme, certes, mais importants. 
 
Il y a également un potentiel scientifique pour la conquête de la Lune, que cela concerne la composition du sol ou la présence d’eau, par exemple. Mais en réalité la Lune comporte surtout un intérêt politique. Pour le moment, la capsule Orion de la NASA reste centrale et l’Europe, en payant une partie des coûts, est associée au projet avec l’espoir de pouvoir un jour envoyer une femme ou un homme sur la Lune. Mais toujours pas de projet de vol habité européen autonome en vue. Contrairement à l’Inde par exemple qui a décidé de franchir cette étape.

Du secteur des transports à celui des télécommunications, l'industrie apparaît de plus en plus dépendante des technologies spatiales. Comment la politique spatiale de l'UE peut-elle contribuer à renforcer l'autonomie stratégique européenne ? 

Il y a également un potentiel scientifique pour la conquête de la Lune. Mais en réalité la Lune comporte surtout un intérêt politique.

Pas seulement l’industrie – c’est la souveraineté, notamment digitale, de l’Europe qui est en jeu. Les ambitions européennes posent d’abord bien sûr la question du budget. L’Agence spatial européenne (ESA) annonçait un budget en hausse, mais le dernier projet de cadre financier pluriannuel (CFP) présenté par la Commission le 27 mai dernier, évoque un budget spatial de l’UE de 15 milliards, soit une baisse de 1 milliard par rapport au précédent budget de la Commission. Le sursaut européen pour le spatial n’est pas évident même si les dernières déclarations du Commissaire européen en charge du spatial (entre autres !), Thierry Breton, affiche des ambitions importantes. Mais pour le moment, depuis la note publiée par l’Institut Montaigne en février 2020, on ne peut pas dire que le "sursaut européen" a eu lieu dans les faits. Premiers éléments de réponse en juillet avec, on l’espère, un budget spatial de l’UE en forte hausse pour financer de nouveaux projets.
 
Le dossier Oneweb (constellation internet en redressement et rachetée par un consortium associant le gouvernement britannique et un opérateur indien de télécommunication) est emblématique. L’Europe a passé son tour et annonce un possible projet axé sur des technologies plus avancées (notamment quantiques). Dans l’intervalle, le spatial va être profondément transformé par la mise en service prochaine des premières constellations haut débit. L’Europe ne peut pas être simple spectatrice de ces évolutions.
 
Enfin, il faut bien comprendre que dans ce paysage en recomposition, les États-Unis font rapidement bouger les lignes avec des nouvelles règles proposées pour un code de la route en orbite, voire même l’amorce d’un nouveau cadre international pour la présence sur la Lune, avec les Artemis Accords. L’Europe spatiale ne propose, en face, pas de vision claire alors qu’elle est par essence une puissance normative. Mais pour peser sur les règles, il faut peser dans les faits. 

 

Copyright : JOE RAEDLE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

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