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15/05/2018

Argentine, Italie, pétrole, ralentissement économique, c’est grave, docteur ?

Argentine, Italie, pétrole, ralentissement économique, c’est grave, docteur ?
 Eric Chaney
Auteur
Expert Associé - Économie

Coup sur coup, plusieurs nuages sombres sont apparus à l’horizon de l’économie mondiale. La croissance a décéléré dans la plupart des grandes économies de l’OCDE au premier trimestre ; le prix du baril de pétrole brut a atteint 75 $ ; l’Argentine a demandé un prêt d’urgence au FMI pour enrayer la chute de sa devise ; enfin, en Italie, une coalition populiste peu soucieuse des règles budgétaires de l’euro se met en place. S’agit-il simplement d’un retour à la réalité après une période euphorique, ou alors de signes annonciateurs d’un retournement économique ? Pour la France et son gouvernement réformateur, la question est importante, et, on va le voir, la seconde possibilité ne peut pas être écartée.

Les faits tout d’abord. Le commerce mondial de produits manufacturés, dont les tendances reflètent la dynamique des importations américaines et chinoises, a repris des couleurs depuis l’été 2016 : son rythme de croissance est passé d’un misérable 2 % à un bon 5 %, encore en deçà de la tendance pré-crise (6 à 7 %), mais suffisant pour sortir l’économie mondiale du fossé creusé par la crise. Las, les données du commerce mondial sont publiées avec retard et sont sujettes à de fortes révisions. Il faut donc les croiser avec d’autres indicateurs. Le plus sûr est d’écouter les champions mondiaux de l’exportation, les industriels allemands. Justement, ils avaient tiré un signal d’alerte en février dernier à travers l’enquête de l’Ifo, en révisant fortement à la baisse leurs prévisions à six mois, probablement en anticipation des tensions créées par la politique commerciale américaine. Au même moment, l’indicateur de retournement cyclique de l’Insee était passé du beau fixe à un régime plus perturbé. Un mois plus tard, l’indicateur de surprise, qui compare la conjoncture du moment à celle anticipée par les entreprises dans l’enquête ISM aux Etats-Unis, piqua du nez ; un indicateur similaire issu de l’enquête de l’Insee en France prenait le même chemin en avril. On ne peut le nier : l’économie mondiale a pris un coup de froid.

"La conjonction d’un ralentissement économique et d’une hausse du prix du pétrole est préoccupante, car elle pose un dilemme à la Réserve Fédérale américaine (Fed), dont les décisions sont déterminantes pour l’économie mondiale"

Simultanément, le prix du pétrole ne cesse d’augmenter, passant de 30 $ le baril début 2016 à plus de 70 $ depuis la mi-avril. Ce renchérissement ne peut venir d’une forte conjoncture mondiale, puisqu’au contraire, celle-ci s’essouffle. Il faut donc chercher du côté de l’offre et des primes de risque. L’accord de limitation de la production conclu entre OPEP et Russie a clairement contribué à raffermir le marché, même si la production américaine de pétrole de schiste, très élastique au prix, limite les conséquences de ce rationnement oligopolistique. Enfin, la montée des tensions entre l’Iran et la coalition Etats-Unis - Arabie saoudite-Israël, donne une valeur accrue au brut disponible aujourd’hui sur le marché, en comparaison de livraisons futures. C’est la prime de risque, qui apparaît dans la pente négative de la courbe des prix futurs : le prix du baril dans un an est 5 $ plus bas qu’au comptant.

La conjonction d’un ralentissement économique et d’une hausse du prix du pétrole est préoccupante, car elle pose un dilemme à la Réserve Fédérale américaine (Fed), dont les décisions sont déterminantes pour l’économie mondiale. Déjà, l’inflation américaine a pratiquement atteint l’objectif de la Fed (*), et semble bien engagée sur la pente ascendante observée depuis la fin de 2015, si l’on en juge par la tendance sous-jacente calculée par la Fed de New York (3,2 % en mars). A moins d’un sérieux coup de semonce venant des marchés d’actions, la Fed continuera donc à relever ses taux directeurs, probablement de 0,75 point de pourcentage d’ici la fin de l’année, ce qui amènerait le taux directeur à 2,5 %. Au-delà, c’est une autre affaire, et les marchés ne la voient guère s’aventurer au-dessus de 3 %, comme le montre la stabilisation du taux d’intérêt à 10 ans corrigé du risque également calculé par la Fed de New York (**).

Le resserrement monétaire de la Fed, aussi modeste soit-il, rend les investisseurs plus circonspects vis-à-vis des marchés émergents les plus risqués comme l’Argentine. La chute du peso, 33 % depuis un an, 12 % au cours des deux dernières semaines malgré la défense de la banque centrale qui a remonté son taux directeur au niveau insupportable de 40 %, n’est pas due à une mauvaise gestion économique du gouvernement Macri, à la différence de la période de Mme Fernandez, mais bien au cycle monétaire américain et à l’endettement extérieur excessif du pays. Les prochains relèvements prévus par la Fed pourraient bien déstabiliser d’autres pays émergents, la Turquie en particulier, parmi ceux qui avaient profité des largesses de la Fed pour s’endetter à bon compte. 

"La conjonction d’un ralentissement conjoncturel transatlantique, d’une fragilisation de certains marchés émergents et du retour du risque politique dans la zone euro doit être prise au sérieux"

Ce qui nous amène à l’Italie pour souligner d’abord une différence essentielle avec les pays émergents dépendants de la politique de la Fed : si l’Etat italien est lourdement endetté, il l’est avant tout vis-à-vis de ses propres citoyens, puisque le pays lui-même a très peu de dette extérieure, moins que la France toutes proportions gardées. Et c’est de la BCE, pas de la Fed, que les taux d’intérêt italiens dépendent. Il reste que, malgré la protection que la politique d’achat d’obligations d’Etat de la BCE offre à l’Italie, le risque politique pourrait bien faire son retour si le gouvernement de coalition entre le Mouvement cinq étoiles (M5*) et la Ligue décidait de s’affranchir des règles de la zone euro, comme je l’avais évoqué pour le blog de l’Institut Montaigne le 6 avril dernier. Le risque financier est en réalité limité, tant que la BCE est présente sur les marchés. Mais l’espoir d’approfondir la réforme de la gouvernance de la zone euro pourrait bien être la victime collatérale d’un cabinet eurosceptique et populiste s’installant au Palais Chigi.

A ce stade, les données économiques elles-mêmes ne permettent pas de trancher entre ralentissement passager et retournement. Les facteurs encourageants ne manquent pas : la réforme fiscale américaine, en favorisant l’investissement, est de nature à prolonger le cycle économique aux Etats-Unis ; les politiques monétaires et budgétaires restent favorables à la croissance dans la zone euro, et la Chine ne donne pas de signe de ralentissement, jusqu’à présent. Mais la conjonction d’un ralentissement conjoncturel transatlantique, d’une fragilisation de certains marchés émergents et du retour du risque politique dans la zone euro doit être prise au sérieux. A la période d’euphorie qui suivit l’élection d’Emmanuel Macron –les entreprises allemandes n’avaient jamais été aussi optimistes qu’au second semestre 2017, sans qu’il n’y ait de relation de cause à effet—succède un retour à la réalité : croissance modérée, inflation en hausse et risques politico-économiques font qu’on ne peut exclure une conjoncture nettement moins porteuse dans les années à venir.

En France, si la croissance se poursuivait au rythme moyen des quatre derniers trimestres, 0,5% --on peut considérer que le ralentissement du 1er trimestre est en partie idiosyncratique-- elle atteindrait à peine 2 % sur l’ensemble de l’année. Une fois n’est pas coutume, le budget 2018 a été construit sur une hypothèse de croissance conservatrice, 1,7 %, il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter prématurément sur l’exécution budgétaire. En revanche, ce serait une grave erreur de compter sur d’hypothétiques dividendes de la croissance pour financer les réformes à venir.

 

(*) Mesurée par l’indice de prix des dépenses personnelles de consommation hors énergie et alimentation, un indicateur plus fiable que l’indice des prix et, pour cette raison, retenu par la Fed, elle a atteint 1,9% en mars, l’objectif de ‘stabilité des prix’ de la Fed étant 2%.
(**) Modèle développé par Tobias Adrian, Richard Crump, and Emanuel Moench (‘ACM’). Données quotidiennes depuis 1961 disponibles sur le site de la Réserve Fédérale de New York : Treasury Term Premia.
 

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