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22/02/2017

[Anti-brouillard] Sortie de l’euro : démêler le vrai du faux

[Anti-brouillard] Sortie de l’euro : démêler le vrai du faux
 Institut Montaigne
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L'une des mesures phare du programme de Marine Le Pen, candidate à l'élection présidentielle 2017, est de renforcer la souveraineté nationale, notamment via l'organisation d'un référendum sur l'appartenance de la France à l'Union européenne. Dans cette optique, le Front national propose de ?restituer au peuple français sa souveraineté monétaire?. Pleins phares sur les éventuelles conséquences pour la France d'une sortie de la zone euro. 

Marine Le Pen a souvent justifié son souhait de quitter la zone euro en raison d’une monnaie surévaluée, qui pèserait sur la compétitivité de l’économie française. Ainsi, le retour au franc constituerait un levier monétaire capable de doper les exportations et la croissance de l’économie nationale. Aujourd’hui, le Front national (FN) ne défend plus une sortie pure et simple de la monnaie européenne, mais admet que le retour au franc puisse cohabiter avec une monnaie européenne pour les transactions internationales des grandes entreprises sur le modèle de l’ancien ECU.

Le retour à une monnaie nationale est un processus extrêmement complexe, qui ne peut ignorer le contexte d’intensification des échanges internationaux et de dépendances des économies entre elles. Cinq points pour y voir plus clair.

1. Quelles modalités juridiques pour sortir de la zone euro ?

L'article 50 du Traité de Lisbonne encadre les conditions de sortie d'un pays de l'Union européenne (UE). Le Royaume-Uni devrait le déclencher prochainement dans le cadre du Brexit. Mais, différence importante pour la France, il n'existe pas de disposition concernant l’éventualité de la sortie d’un pays de la zone euro. Si un tel cas devait se présenter, les États membres seraient contraints de trouver dans l'urgence une solution juridique à ce problème.

Par ailleurs, il semble difficile de quitter la zone euro tout en restant dans l’Union européenne, car tous les pays membres de l'Europe ont vocation à faire partie de la zone euro à partir du moment où ils remplissent les critères de convergence, ou “critères de Maastricht” (même si des dérogations ont été mises en place pour le Danemark).

Ces dispositions renvoient Marine Le Pen à ses contradictions, car elle ne dit pas explicitement si elle souhaite que la France sorte de l’Union européenne ou non. Elle entretient donc un flou sur sa position vis-à-vis de l’UE, se laissant la possibilité de ménager un large électorat, qui pourrait inclure des électeurs pro-européens.

Aux difficultés institutionnelles induites par l’hypothèse d’une sortie de la zone euro, s’ajoute la difficulté d’appréhender les conséquences de la dépréciation potentielle de la nouvelle monnaie nationale après cette sortie.

2. Comment fixer le cours de la nouvelle monnaie nationale ?

Les propos de Marine Le Pen présentent certaines incohérences relatives à la valeur de la nouvelle monnaie nationale. En effet, elle souhaite établir une parité 1 nouveau franc = 1 euro. Dans la mesure où elle reproche à l'euro d’être trop fort, et de peser sur l’économie française, vouloir créer une nouvelle monnaie ayant la même valeur semble illogique.

Le taux de change d'une monnaie librement convertible est fixé par la loi de l’offre et de la demande sur le marché des changes internationaux. Au-delà du premier taux de conversion, Marine Le Pen ne pourra donc pas décider arbitrairement qu’1 franc = 1 euro puisque le taux de change sera ensuite fixé par le marché. De la même façon, elle ne peut compter sur une dévaluation ou une appréciation absolue et fixe de cette monnaie.

Dans la logique des griefs formulés par Marine Le Pen à l’euro, une dévaluation compétitive consisterait à instaurer une monnaie dépréciée (plus faible), afin d’avantager l’économie française dans la compétition économique mondiale. Il apparaît alors incohérent de fixer le cours du nouveau franc à 1 euro, une dévaluation de 20 à 30% serait davantage souhaitable afin de rendre à notre économie sa compétitivité.
 
Néanmoins, les conséquences de la dépréciation d’une monnaie nationale ne sont pas anodines et impactent fortement l’économie nationale.

3. Quelles conséquences d’une dépréciation de la monnaie nationale ?

Fixer une parité telle que 1 franc = 1 euro semble incompatible avec la réalisation des différents objectifs de politique monétaire. En effet, assurer la libre-circulation des capitaux et la maîtrise de l’inflation, implique que le taux de change soit flexible. Dans le cas d’un retour au franc, il s’agirait probablement d’une dépréciation de la nouvelle monnaie nationale. Or, du fait de cette dépréciation, les taux d’intérêts appliqués à cette monnaie augmenteront (la prime de risque), accentuant donc le déficit de la France.

Ajoutons que la faiblesse du nouveau franc impliquera certainement une difficulté de pilotage de la politique monétaire, ce qui est contradictoire avec l’idée de consolidation de la souveraineté monétaire. En effet, si la souveraineté monétaire semble déjà largement amputée du fait de la mondialisation, un retour au franc risquera de rendre notre économie plus faible, au moins dans un premier temps, car elle sera isolée.

4. Quelles conséquences économiques d’une sortie de la zone euro ?

Les conséquences économiques de la dépréciation de la monnaie nationale dépendent principalement de deux facteurs :

  • la confiance des acteurs économiques sur le marché des devises ;
  • Les niveaux d’importations et d’exportations sur le marché des biens et services.

Si la nouvelle monnaie nationale inspire confiance, elle sera immédiatement demandée et son cours sera haut. Les acteurs économiques souhaiteront détenir du franc. La dette nationale diminuera en valeur et les importations coûteront moins cher. Toutefois, en contrepartie, nos exportations seront plus chères et nos entreprises exportatrices souffriront, si elles n'arrivent pas à baisser leur prix, à diminuer les salaires ou leurs marges, ou à augmenter sensiblement leur productivité ainsi que leur qualité ou bien à monter en gamme.

Néanmoins, le scénario le plus probable, est celui d’une dépréciation de la nouvelle monnaie nationale de l’ordre d’environ 20%.

On peut considérer que si 1 franc = 0,70 euro ou moins, le marché des changes vendra du franc à terme pour spéculer sur sa baisse, car notre nouvelle monnaie sera considérée comme faible. La valeur de notre dette pourrait exploser et nos importations coûter plus cher. En contrepartie, nos exportations seront facilitées, à condition que nos entreprises n'augmentent pas leurs marges ou les salaires, donc leur prix. Si à court terme il peut paraître intéressant de voir le volume des exportations croître, la faiblesse de la monnaie nationale n’encouragera pas les entreprises nationales à monter en gamme, en qualité, en innovation, ni même en productivité. In fine, nos entreprises exportatrices risquent de se voir cantonnées dans le bas de gamme, avec des bas salaires, comme corollaires.

5. Quelles conséquences financières d’une sortie de la zone euro ?

Les conséquences financières concernent tout particulièrement l’évolution de la dette, aujourd’hui libellée en euros. La dépréciation de la monnaie nationale entraînera immédiatement une hausse proportionnelle de notre dette extérieure libellée en euros. Le Front national invoque le principe de lex monetae, qui autorise un pays à régler sa dette dans la monnaie en circulation sur son sol national. L’essentiel de la dette publique étant sous contrat français, l’État rembourserait les prêteurs étrangers en francs et leur ferait payer le coût de la dévaluation.

Cependant, dans un tel scénario, le risque de défiance des bailleurs, des investisseurs et des agences de notation est très élevé et risque d’amputer les possibilités pour la France d’emprunter sur les marchés – hors taux d’intérêt prohibitifs. Ainsi, pour Patrick Artus, économiste, directeur de la recherche et des études de Natixis, “il est impossible de rompre unilatéralement un contrat en changeant de devise puisque les agences de notation attribueraient la note D pour défaut de paiement, peu importe la nationalité des contrats”. Il faudrait alors rembourser dans une monnaie dépréciée, ce qui serait extrêmement coûteux pour le pays.

De plus, en France, la dette privée relève en grande partie, du droit étranger. Ainsi, les grandes entreprises telles que la SNCF, EDF et les banques, qui empruntent majoritairement sous contrat étranger pour financer des activités situées surtout en France, ne pourront, elles, utiliser le principe de la lex monetae : elles devront rembourser leurs dettes avec une monnaie dévaluée, ce qui leur coûtera beaucoup plus cher.

Enfin, la sortie de l’euro accroîtrait la prime de risque exigée par les prêteurs étrangers, et donc des taux payés par l’État et les banques. Cette hausse conduirait à la diminution de l’investissement des entreprises et des ménages. Le Front national envisage le financement de la dette par la Banque de France pour sortir de cette dynamique contre-productive : le recours à la “planche à billets”, se traduirait alors par une inflation galopante qui pèserait sur le pouvoir d’achat des ménages et ferait courir des risques importants aux épargnants.

En bref

À l’occasion du 25ème anniversaire de la signature du traité de Maastricht au début du mois de février, le gouverneur de la Banque de France rappelait que l’euro est une monnaie solide, avec une inflation maîtrisée, qui préserve le pouvoir d'achat, l'épargne, les retraites, la valeur des biens et qui inspire la confiance. Pour lui, l'euro permet aux Européens de peser sur la scène internationale : “Dans les discussions qui vont avoir lieu dans ce monde incertain, sur les taux de change, sur le commerce, la réglementation financière, aucun de nos pays pris séparément ne pourrait peser”.


Par Fanny Anor et Marie-Alix Véran pour l'Institut Montaigne


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