Il est probable que les mauvaises UX, qu’elles soient dans le monde physique ou digital, participent dans une proportion extrêmement élevée, au ressentiment que les usagers peuvent avoir à l’égard des administrations. Une mauvaise UX peut donner le sentiment aux usagers qu’ils sont incompétents ou que le système est contre eux. Or, force est de constater que les UX des services publics ne sont, à ce jour, pas au niveau.
Parce que personne n’a pensé à refondre l’ensemble du service à l’occasion de sa numérisation et que l’on n’a fait que dématérialiser des processus complexes sans s’attaquer à résoudre cette complexité. Certaines, comme celle de la Caisse d'allocations familiales (Caf), visant plus que d’autres des publics fragiles, sont particulièrement complexes.
Il s’agit donc d’une approche d’ensemble qui vise tout à la fois à structurer des contre-pouvoirs pour les services publics les plus intrusifs, et à repenser l’action publique en partant non plus du geste administratif mais bien de la résolution de l’enjeu concernant l’usager. Prioriser le design, l’expérience utilisateur, mais aussi l’open-source et le développement de communs numériques, tels que des bases de données, partagés entre les sphères publiques et privées, semblent être ainsi des recommandations fortes, d’autant qu’elles n’ont pas semblé avoir été une priorité de premier plan au cours des années passées.
Des espaces numériques plus sûrs et mieux encadrés
Se pose également la question du vivre ensemble : aux États-Unis, entre le début et la fin de la décennie précédente, la dépression chez les adolescents a augmenté de 60 %, tandis que les indicateurs en matière d'obésité, de troubles de la concentration, de sentiment de solitude, se dégradent rapidement, à tel point que les épidémiologistes n’hésitent plus à envisager des conséquences en matière de santé publique potentiellement plus sérieuses que celles qu’a induit la cigarette. Les réseaux sociaux font évidemment figure de premier suspect, et leur spectre dépasse largement les seuls adolescents. Haine en ligne et désinformation ne sont pas des phénomènes secondaires. Ils infléchissent notre rapport à la vérité, à la science, notre capacité à douter, à faire des compromis. Penser que la France ou l’Europe puissent être sur des trajectoires différentes que les États-Unis revient à refuser de voir la réalité en face : c’est l’ensemble des sociétés humaines qui sont happées par l’instantanéité, où chaînes d’informations en continue et réseaux sociaux résonnent, diminuant d'autant la capacité de débat de fond et fracturant notre capacité à vivre ensemble.
S’il faut saluer les travaux de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE) qui, au travers de la "Législation sur les Services Numérique" (ou Digital Service Act), propose d’instituer un niveau de régulation inégalé à l’égard des réseaux sociaux, on peut toutefois craindre que cela ne soit pas suffisant. Cela n’empêchera en rien nos adolescents de continuer à être dépendants du nombre de "likes" qu’ils reçoivent ainsi qu’aux débats de fond d’être inutilement polarisés par des algorithmes mettant en avant les contenus les plus susceptibles de se viraliser, au premier titre desquels les plus réducteurs et outranciers.
Aller plus loin signifierait prendre du recul par rapport à cette instantanéité ; l’école peut-elle enseigner la distanciation, la réappropriation du temps long ? Est-ce son rôle ? Pourrait-on mettre en place des dispositifs permettant d’aider à cette distanciation, comme des services comptabilisant le durée quotidienne totale devant un écran (télévision, réseaux sociaux, etc.) ? Ces seules questions sont dérangeantes parce qu’elles empiètent sur l’intime - nos conversations - et sur notre accès à l’information - garante d’une société démocratique saine. Et pourtant c’est bien ce rapport à l’intime et au fonctionnement démocratique qu’il faut désormais investiguer.
Enseignement et numérique : trouver (enfin) le bon équilibre
Le numérique défie également le fonctionnement de notre système d’enseignement, qu’il s’agisse d’éducation nationale ou d’enseignement supérieur. Notre pays, souvent rétif à la réforme, ne pourra rentrer durablement dans l’ère numérique s’il ne parvient pas à former sa jeunesse aux compétences en ingénierie, programmation, ou maintenance. Cela passe évidemment par l’éducation nationale, où les classement dans PISA et TIMSS (un classement consacré aux sciences où la France est en queue de peloton) laissent encore à désirer. Or chacun sait combien, a minima, les mathématiques sont importantes dans cette nouvelle discipline numérique.
Au-delà, on serait en droit d'espérer que l’école puisse être un lieu où l’on apprend à travailler ensemble, à s’exprimer sur les réseaux sociaux, à comprendre l’importance de gérer avec attention ses données privées. Si ces enjeux ont fait l’objet d’annonces de la part des ministres en charge de ces sujets, force est de constater que la traduction concrète sur le terrain n’est pas ce qu’elle devrait être.
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