Avec un Français sur cinq touché par une maladie psychique, une mauvaise qualité des soins et un coût très lourd pour l’ensemble de la société, la psychiatrie constitue le trou noir du système de santé français. Depuis 2014, l’Institut Montaigne se mobilise aux côtés de la Fondation FondaMental, fondation de coopération scientifique, pour alerter les pouvoirs publics sur l’urgence d’agir en matière de psychiatrie. Une première étude publiée en octobre 2014, Prévention des maladies psychiatriques, pour en finir avec le retard français, formulait des recommandations pour mieux prévenir et dépister ces maladies.
Quatre ans plus tard, alors que les mentalités semblent bouger dans de nombreux pays, la situation de la psychiatrie française reste inchangée. Pour y remédier, nous avons décidé de mobiliser pendant plus d’un an un groupe de travail composé de professionnels de santé, de géographes, d’économistes, d’épidémiologistes, de juristes, etc. ainsi que de patients et leurs proches. Nous avons complété ce dispositif en menant de nombreuses auditions d’experts comme de personnes directement concernées.
Psychiatrie : l’état d’urgence pose un diagnostic alarmant sur l’état de la psychiatrie française, met en exergue les sources d’espoir en France comme à l’étranger et formule 25 propositions pour moderniser la psychiatrie française, améliorer la qualité de vie et les soins de quelques 12 millions de Français concernés.

Les auteurs de cet ouvrage sont deux psychiatres, les professeurs Marion Leboyer et Pierre‐Michel Llorca, avec la collaboration médico-économique d’Isabelle Durand‐Zaleski, professeur en santé publique et économie de la santé. Publié chez Fayard en coédition avec l'Institut Montaigne et la fondation FondaMental, 432 p., 24 € , en librairies le 17 septembre.
© Tijana Feterman
Connaissez-vous les maladies psychiques?
Des maladies qui nous touchent tous
Les maladies psychiatriques sont des maladies comme les autres : elles peuvent se prévenir et se guérir. Mal connues, souvent stigmatisées, elles touchent pourtant un Français sur cinq : la dépression, les troubles bipolaires, la schizophrénie, les troubles de l'autisme constituent les principales pathologies.
Les témoignages des familles sont multiples. Ils s’accordent tous pour dire que le regard des autres est sans appel. Pour les jeunes patients, le sujet est même un véritable tabou : “Comment je vais parler de ça aux autres étudiants qui sortent du lycée ? Je ne sais pas.”
Les professionnels de santé ne sont pas épargnés par cette stigmatisation. Ils souffrent de la mauvaise réputation qui entoure cette discipline médicale. La profession de psychiatre figure au rang des professions mal aimées (seulement 2,4 % des professeurs d'université), en témoignent également les choix des étudiants en médecine aux épreuves classantes nationales. Ils placent la psychiatrie parmi les cinq disciplines les moins bien classées par les futurs internes. Pire encore, selon une étude menée auprès d’étudiants en médecine de toutes disciplines, près de 60 % des internes interrogés pensent que les étudiants en psychiatrie ont probablement des antécédents personnels psychiatriques.
"Les maladies psychiques ne suscitent ni empathie ni bienveillance" Jeanne, bénévole de l’UNAFAM.
Pour lutter contre les idées reçues, il est essentiel de mieux comprendre ces maladies. Voici quelques définitions clés :
Qu’est-ce que la dépression ? La dépression est la maladie psychiatrique la plus fréquente : elle affecte 2,5 millions de Français chaque année. Elle touche tous les âges. On considère ainsi que près de 20 % des individus présenteront au moins un épisode dépressif au cours de leur vie. La dépression est une maladie, et non le reflet d’une faiblesse de caractère. Elle peut durer quelques semaines, souvent plusieurs mois, parfois plusieurs années. Elle nécessite une prise en charge médicale et sa guérison n’est pas une affaire de volonté. Dans 15 à 30 % des cas, les stratégies thérapeutiques classiques qui sont proposées restent inefficaces, on parle alors de dépression résistante.
A quoi correspondent les troubles bipolaires ? Les troubles bipolaires concernent entre 1 et 2,5 % de la population (voire 5,5 % selon certaines sources). Ils apparaissent majoritairement entre 15 et 25 ans et se caractérisent par des alternances de phases d’euphorie et de phases dépressives. Des réponses thérapeutiques adaptées existent aujourd’hui en France. Les patients souffrent principalement d’un retard de diagnostic et d’un risque de mortalité précoce. En effet, les personnes avec des troubles bipolaires ont la plupart du temps d’autres pathologies associées comme l’alcoolisme, le diabète, les troubles cardiovasculaires, la dysthyroïdie, etc.
Qu’est-ce que la schizophrénie ? La schizophrénie touche 1 % de la population soit un peu plus de 600.000 personnes en France. Très stigmatisée, la schizophrénie désigne à tort dans le langage courant le dédoublement de personnalité. En réalité, elle se caractérise par un ensemble de symptômes rarement présents de façon simultanée : les symptômes dits “positifs” (hallucinations ou idées délirantes), les symptômes dits “négatifs” (repli sur soi, manque d’énergie...) et la désorganisation de la pensée et du comportement.
Qu’est-ce que l’autisme ? Il existe de nombreuses formes d’autisme, réunies sous l’appellation de troubles du spectre de l’autisme (TSA). Ils se caractérisent par des troubles de la communication, une altération des interactions sociales et des anomalies comportementales. Les TSA peuvent être associés ou non à un déficit intellectuel. Les TSA apparaissent généralement dès les premières années de la vie et touchent une naissance sur 100 en France avec 700 000 personnes atteintes, selon les prévalences reconnues au niveau international.
Que sont les troubles anxieux et phobiques ? Les troubles anxieux regroupent de nombreuses pathologies très fréquentes puisqu’une personne sur cinq sera touchée au cours de sa vie. On y retrouve notamment les attaques de panique, l’état de stress post traumatique, l’anxiété sociale, les phobies (agoraphobie, phobie sociale…) ou encore les troubles obsessionnels compulsifs (TOC).
Sans recherche, pas de progrès
La recherche constitue la meilleure source d’espoir pour les années à venir. Les récentes avancées scientifiques et technologiques ouvrent l’ère de la médecine de précision en psychiatrie qui permettra de mieux comprendre l’origine de ces pathologies, de disposer de traitements pharmacologiques personnalisés aux moindres effets secondaires, ainsi qu’un essor des psychothérapies et des thérapies psychosociales.
Parmi les principales avancées de la dernière décennie, figure la découverte de liens entre des dérèglements du système immunitaire et des troubles psychiatriques majeurs. Ces travaux ont ouvert le champ à l’exploration de nouvelles voies biologiques qui font espérer l’identification de nouveaux marqueurs diagnostiques ainsi que la découverte de stratégies thérapeutiques inédites. Des traitements de plus en plus personnalisés se développent pour plus d’efficacité, en associant à la fois médicaments, thérapies psychosociales (psychoéducation, remédiation cognitive, ou thérapies cognitivo-comportementales, rééducation des habiletés sociales…) et règles d’hygiène de vie.
Cependant, l’investissement dans la recherche demeure trop faible.
Part du budget public et caritatif de la recherche médicale et dédiée à la psychiatrie

La psychiatrie : le trou noir du système de santé français
Parcours éclatés, stigmatisation du patient, mauvaise qualité des soins, engagement très faible des industriels ou encore recherche sans orientation stratégique, la situation de la psychiatrie en France est explosive.
Le chemin parcouru en vingt ans par la cancérologie en matière de prévention, de propositions thérapeutiques, d’amélioration de la vie des malades, d’organisation et de financement de la recherche, prouve que des changements majeurs sont possibles. Avec un niveau semblable de mobilisation, la psychiatrie doit, elle aussi, prétendre à de telles évolutions.
Des maladies mal prises en charge
Les maladies psychiatriques sont des pathologies qui surviennent tôt dans l’existence : 75 % des affections psychiatriques débutent avant l’âge de 25 ans et la plupart des troubles sévères apparaissent à l’adolescence.
L’organisation des soins souffre de nombreux défauts :
- fort recours à l’hospitalisation longue durée dans les prises en charge des patients,
- manque de coordination entre la ville et l’hôpital,
- faiblesse de la prévention,
- Etc.
Par ailleurs, les patients rencontrent des difficultés d’accès aux soins, notamment du fait des délais d’attente parfois très longs. Pour la psychiatrie il faut compter 67 jours en moyenne (21 en psychiatrie générale et 116 en psychiatrie infanto-juvénile).
La France compte aujourd’hui plus de psychiatres par habitant que la plupart des pays de l’OCDE (avec 22,8 psychiatres par habitant contre 15,5 en moyenne dans l’OCDE). Pourtant, l’offre de soins est très inégale sur le territoire, ce qui occasionne un déficit de prévention, notamment auprès des jeunes, ainsi que des retards au diagnostic.
Psychiatrie : une offre de soins très inégale sur le territoire

La qualité des soins est également très hétérogène. A l’inadéquation entre les recommandations internationales de bonnes pratiques et les soins courants, s’ajoute un accès insuffisant à des stratégies thérapeutiques qui ont pourtant prouvé leur efficacité. De même, la fracture entre les soins somatiques et les soins psychiatriques a pour conséquence un défaut de dépistage et de prise en charge des maladies souvent associées, telles que les pathologies cardiovasculaires ou encore le diabète.
L’espérance de vie des malades est inférieure de 10 à 20 ans en moyenne au reste de la population.
Cette situation occasionne une perte de chance pour de nombreux malades. En témoigne la mortalité prématurée des personnes touchées par ces maladies, dont l’espérance de vie est inférieure de 10 à 20 ans en moyenne au reste de la population. La France détient également un triste record avec l’un des taux de suicide les plus élevés d’Europe : 14,9 suicides pour 100 000 habitants et 29 suicides par jour. Elle se situe au dixième rang sur 32, après la Finlande, la Belgique et la plupart des pays de l’Est.
Une mauvaise prise en charge qui entraîne des coûts humains… mais aussi économiques
La désorganisation des soins, le poids très lourd de l’hospitalisation longue dans les traitements, les modes de tarification inadaptés entrainent des coûts colossaux pour la société.
Les maladies psychiatriques : 1er poste de dépenses de l’Assurance maladie

En 2016, selon l’Assurance maladie, les dépenses liées aux maladies psychiatriques et à la consommation de psychotropes s’élevaient à 23 milliards d’euros, sur un budget total de 161 milliards d’euros. Elles représentent près de 14 % des dépenses totales et se placent comme le premier poste de dépenses par pathologie, devant les maladies cardio-vasculaires (16 milliards d’euros) et les cancers (17,4 milliards d’euros).
En termes de répartition, les maladies psychiatriques telles que définies par la CNAM, concernent 2,1 millions de bénéficiaires, alors que la catégorie "consommateurs de psychotropes" concerne 5,1 millions de bénéficiaires. On constate ici une forte disparité dans la structure des dépenses : les personnes atteintes de maladie de longue durée sont trois fois moins nombreuses que celles bénéficiant d’un traitement psychotrope (35 % de la population suivie), mais représentent le double en termes de coûts (61 % de la dépense).
Au total, 22 % des dépenses liés aux maladies psychiatriques, soit près de 5,2 M€ d’euros, sont des dépenses d’indemnisation des arrêts de travail et d’invalidité. Les troubles psychiatriques constituent la première cause médicale d’indemnisation de l’arrêt de travail, devant les maladies ostéo-articulaires, les maladies cardiovasculaires et les cancers.
Nos propositions
Il est urgent de moderniser la psychiatrie française. Les 25 propositions de l’Institut Montaigne et de la Fondation FondaMental visent à apporter des solutions concrètes pour définir une nouvelle politique de santé mentale.
Proposition 1 : Création d’un opérateur chargé de définir et de mettre en place une vision stratégique et coordonnée de la psychiatrie et de la santé mentale
Proposition 2 : Construire un portail web national d’informations accessibles au plus grand public pour contribuer à informer et à proposer des réponses personnalisées
Proposition 3 : Mener des campagnes d’information grand public pour faire changer le regard de l’opinion publique et lutter contre la stigmatisation. Trois cibles seront privilégiées : les 15-25 ans, le monde professionnel et les médias
Proposition 4 : Mobiliser le dispositif national existant des “maisons des adolescents” pour organiser un repérage et une orientation précoce
Proposition 5 : Faire des maisons de santé pluridisciplinaires une nouvelle porte d’entrée vers une prise en charge de proximité, globale et non-stigmatisante des troubles psychiatriques
Proposition 6 : Développer, à l’attention des médecins généralistes, des outils d’aide au repérage précoce
Proposition 7 : Proposer un niveau de recours spécialisé, multidisciplinaire et personnalisé
Proposition 8 : Assurer une prise en charge globale psychiatrique et somatique des patients par la mise en place des réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP)
Proposition 9 : Multiplier les équipes mobiles pour diminuer le recours à l’hospitalisation
Proposition 10 : Faciliter l’accès aux soins en déployant et remboursant les thérapies adaptées (psychothérapie, thérapies psychosociales)
Proposition 11 : Développer et évaluer des dispositifs de e-santé pour donner un accès plus large aux thérapies psychosociales
Proposition 12 : Mesurer la qualité des soins grâce à l’évaluation faite par les patients
Proposition 13 : Répondre aux besoins et aux attentes des familles et leur donner une place dans le dispositif de prise en charge
Proposition 14 : Agir sur le mode de financement pour accélérer la diffusion des pratiques innovantes en psychiatrie
Proposition 15 : Développer l’accompagnement social et médico-social en repensant les dispositifs existants
Proposition 16 : Favoriser la création et le déploiement de Case Manager en psychiatrie pour améliorer la coordination des parcours
Proposition 17 : Allonger la durée de l’internat en psychiatrie à 5 ans et développer les spécialisations
Proposition 18 : Développer la formation aux psychothérapies
Proposition 19 : Développer la sur-spécialisation d’infirmiers cliniciens spécialisés
Proposition 20 : Accompagner et encourager les filières de formation du social et du médico-social spécialisées pour l’accompagnement des personnes en souffrance psychique
Proposition 21 : Créer des filières de formation pour les case managers en santé mentale
Proposition 22 : Accompagner le développement de la formation des usagers et des pairs aidants en santé mentale
Proposition 23 : Développer une politique de recherche orientée par programmes et favorisant les partenariats entre recherche publique et privée
Proposition 24 : Faciliter l’accès à des services et infrastructures d’excellence : cohortes, base de données, biobanques, plateformes technologiques
Proposition 25 : Créer les conditions et incitations pour attirer des partenaires industriels