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30/05/2025
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Vingt ans après : services à la personne, impact et perspectives du plan Borloo

Vingt ans après : services à la personne, impact et perspectives du plan Borloo
 Maxime Aiach
Auteur
Président et co-fondateur de Domia Groupe

Le secteur des services à la personne a été ouvert aux entreprises par la loi du 26 juillet 2005, appelée Plan Borloo. Entretien, soutien scolaire, garde d’enfants… autant de métiers familièrement appelés "petits boulots", jusqu’alors cantonnés à l'économie informelle, qui ont progressivement été constitués en un secteur officiel. De quoi est fait le modèle français en la matière ? Comment expliquer, mesurer et consolider ses réussites ? Une tribune qui dresse le bilan et trace des perspectives, par Maxime Aiach.

Sortir de l’informel : une coordination public / privé et une structuration des services à la personne

Entretien de la maison, cours particuliers, jardinage, garde d’enfants, aide au quotidien, soutien des personnes dépendantes… autant de services à la personne vecteurs de cohésion et de sécurité, portés par des hommes et des femmes ayant fait le choix de l’emploi à domicile au bénéfice de particuliers. Il y a encore une trentaine d’années, le secteur des services à la personne était pourtant essentiellement hors du droit : hors du droit du travail, hors du droit de la sécurité sociale, hors du droit de la représentation syndicale, hors du droit fiscal… 

Le plan Borloo, en 2005, lui a fait une place dans le régime de la légalité. Ce faisant, il a soustrait ses acteurs des accommodements du travail au noir, de l’arbitraire et de la précarité. Jusque-là, ceux qui travaillaient dans les services à la personne demeuraient hors du régime général, étaient le plus souvent privés d’une rémunération juste et n’avaient accès ni à la protection sociale, ni au financement bancaire. Au-delà du lancement du CESU préfinancé, le plan Borloo a ouvert ce marché aux entreprises qui en étaient exclues, simplifié le droit et suscité un formidable engouement entrepreneurial.

Avant 2005 en effet, le secteur était cantonné à la sphère informelle : le travail "au noir", parce qu’il procurait les avantages immédiats de contrats souples et bon marché - mais difficiles à contrôler et à redresser - semblait préférable. La constitution de la filière des services à la personne a résulté d’une coordination efficace entre les politiques, les administrations et les entreprises. Les organisations patronales, conscientes que les emplois à domicile étaient susceptibles d’être constitués en un secteur économique à part entière, se sont emparées du sujet et ont convaincu les politiques, toutes tendances confondues, de créer un dispositif spécifique pour rendre les prestations en bonne et due forme compétitives par rapport au travail informel. Le renversement s’est produit avec la réduction d’impôt de 50 %, apparue en 1991, qui s’est transformée en Crédit d’impôt, avec la pérennisation de son périmètre de 26 métiers et 4 grands services (garde d’enfants, cours à domicile, entretien de la maison, accompagnement des personnes dépendantes), dans la continuité d’une réflexion de long cours menée entre les entreprises et les pouvoirs publics afin d’aligner le coût des prestations légales et illégales

À titre d’illustration, une heure de ménage effectuée par l’intermédiaire d’une entreprise est passée à environ 30 € TTC, soit 15 € après crédit d’impôt, ce qui équivaut quasiment au même prix qu’une heure "au noir". En mettant fin au décalage de trésorerie, le mécanisme du Crédit d’Impôt Instantané, instauré en 2022 (C2I), a également permis de démocratiser le recours aux services à la personne : le crédit d’impôt est directement déduit de la somme déboursée par le consommateur, qui ne paie effectivement qu’environ 15 €, dans l’exemple cité. Désormais, les ménages, toutes catégories sociales confondues, consacrent aux services à la personne 10 % de leur budget. 

Les mesures du plan Borloo ont rendu le travail illégal peu compétitif, si bien que les rémunérations "au noir", quand elles demeurent, sont aujourd’hui essentiellement le fait des intervenants victimes des effets de seuil sociaux.

Les "petits boulots" tendent ainsi à disparaître au profit d'un secteur économique organisé, qui s’est hissé à la 5e place en France avec 1,3 million de salariés, souvent indispensables à la vie quotidienne de 4 millions de familles françaises, qui exercent des métiers valorisés et valorisants, dotés de parcours de professionnalisation et de salaires plus élevés que la moyenne à niveau de diplôme comparable. Un marché concurrentiel stimulant de plus de 20 milliards d’euros a émergé, au service des consommateurs. Les nouveaux outils numériques - dont l’IA - contribuent à le rendre plus performant. 

Vingt ans après : Services à la Personne, impact et perspectives du Plan Borloo / Infographie le service à la personne est un secteur de l'emploi en France avec 7 % des emplois marchands du pays et il est de loin le plus intensif en création d'emploi

Le service à la personne est un secteur de l'emploi en France avec 7 % des emplois marchands du pays et il est de loin le plus intensif en création d'emploi

Source : INSEE, Olivier WYMAN

En facilitant la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, les services à la personne accompagnent ou amortissent certaines dynamiques démographiques.

Les avantages d’un secteur des services à la personne bien organisé ne concernent pas seulement l’économie, l’emploi ou la fiscalité : en facilitant la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale (garde d’enfants, aide aux devoirs, entretien, maintien à domicile des personnes âgées), les services à la personne accompagnent ou amortissent certaines dynamiques démographiques (vieillissement, dénatalité), dans un contexte où le nombre de naissances en France n’a jamais été aussi bas depuis l’après-guerre.

Poursuivre la dynamique : un secteur qui dispose d’un fort potentiel 

Le secteur s’est développé en France, selon les deux modalités que le Code du Travail prévoit pour les entreprises de services à la personne : dans le cadre du mode prestataire, qui est le plus répandu (notamment dans les services aux personnes âgées), l’organisme est l’employeur direct de l'intervenant, tandis que les organismes régis par le mode mandataire, quant à eux, mettent en relation le client et l’intervenant. Néanmoins, les services à la personne n’ont pas encore atteint leur plein potentiel, comme le montre la comparaison avec d’autres pays européens : ils représentent 4 % de l’emploi en France, contre 6 % en Suède ou 7,2 % au Danemark. Selon les estimations, les réserves de créations d’emplois de ce secteur se situent entre 140 000 et 500 000 pour la France et la croissance de la demande potentielle avoisine 2 % par an, portée par des tendances structurelles fortes (vieillissement de la population, hausse du taux d’activité des femmes ou augmentation du nombre de familles monoparentales). Le secteur est donc un levier puissant dans la lutte contre le chômage.

Un levier d'intégration

Le secteur des services à la personne constitue aussi un enjeu social. Il représente, pour un million trois cent mille intervenants, un facteur d’intégration :  ⅕ des employés du secteur est né à l’étranger, 90 % sont des femmes, près de la moitié est âgée de plus de 50 ans et 20 % étaient sans emploi auparavant. On estime que les salaires nets y sont en moyenne 20 à 30 % plus élevés que dans d’autres métiers de service tels que l’hôtellerie-restauration et le ménage en entreprises. De plus, les services à la personne génèrent des emplois sur l’ensemble du territoire, y compris dans les territoires à faible densité où leur rôle économique est proportionnellement plus important. Ils représentent 4,5 % du taux d’emploi salarié total dans les secteurs urbains, contre 5,6 % du taux d’emploi dans les secteurs ruraux. Les services à la personne font même partie des cinq secteurs les plus pourvoyeurs d’emplois dans 70 % des départements ruraux et on prévoit qu’ils jouent un rôle clé dans les années à venir pour atteindre le plein emploi à l’échelle nationale. Selon les estimations, l’objectif d’un taux de chômage à 5 % (contre 7 % aujourd’hui) sera rempli aux deux tiers grâce au retour vers l’emploi d’inactifs sans diplôme du supérieur. Or, le secteur, stimulé par le Crédit d’Impôt Instantané, est en pleine expansion et il lui faudra pourvoir les emplois vacants suite aux départs à la retraite. Il nécessitera, d’ici 2030, le recrutement de 500 000 personnes.

Le secteur des services à la personne constitue aussi un enjeu social. Il représente, pour un million trois cent mille intervenants, un facteur d’intégration : ⅕ des employés du secteur est né à l’étranger, 90 % sont des femmes, près de la moitié est âgée de plus de 50 ans et 20 % étaient sans emploi auparavant.

Les dynamiques du service à la personne, toutefois, ne s’expliquent pas seulement par le facteur économique ou démographique : le cadre réglementaire a sur lui un impact considérable. Ainsi, après la promulgation de la loi de Jean-Louis Borloo, le marché du secteur a connu une forte croissance, qui s'est traduite par la création de 360 000 emplois entre 2005 et 2010 ; la part de travail non déclarée est passée de 40 à 30 %. À l’inverse, entre 2010 et 2016, dans le contexte de la suppression du forfait social et d’incertitude réglementaire, 140 000 emplois ont été détruits et la part du travail non déclaré a augmenté de 7 % pour atteindre 45 %. 

Projection d'évolution du marché déclare dans les SAP suite à l'implémentation du C2I

Projection d'évolution du marché déclare dans les SAP suite à l'implémentation du C2I

Projection d'évolution du marché déclare dans les SAP suite à l'implémentation du C2I

Source : Olivier Wyman

Un chantier inabouti

Le plan Borloo, en 2005, conforté en 2022 par la réforme du CISAP (Crédit d’impôt au titre de l’emploi d’un salarié à domicile qui permet au consommateur de ne réellement décaisser que 50 % du coût) contribue à la structuration du secteur. Ces dispositifs ont fait émerger un marché de plus de 20 Mds€. Néanmoins, certains leviers demeurent inemployés et le recours systématique aux Allocations personnalisées d'autonomie (subventions APA) est un pis-aller au regard de ce que serait un système pleinement optimisé. Le modèle économique du maintien à domicile doit être repensé

Donner leur pleine mesure aux services à la personne est un investissement utile pour les pouvoirs publics. On estime que le retour sur investissement, pour chaque euro investi, est de 1,48€ : il provient majoritairement des recettes directes (cotisations sociales, impôt sur les sociétés, TVA, taxe sur les salaires des associations ou encore réduction du chômage) mais son impact est également indirect, via les coûts évités ou les recettes induites par le développement du secteur (dépenses publiques évitées en matière de prise en charge de la dépendance en établissement, hausse du taux d’activité des femmes ou baisse du coût social lié à l’exclusion et à la précarité, amélioration de la qualité de vie des Français). On estime ainsi que le bénéfice net pour les finances publiques s’élève à 3,8 milliards d’euros. Le coût du Crédit d’impôt est donc largement compensé par les bénéfices générés.

L'équation globale est positive pour les pouvoirs publics en 2021

L'équation globale est positive pour les pouvoirs publics en 2021

Source : PLF 2023, PLFSS 2023, Analyse Olivier WYMAN.

Un avenir prometteur sous conditions

Le secteur des Services à la personne exige la stabilité du cadre réglementaire et notamment du Crédit d'Impôt de 50 % et du Crédit d’Impôt Instantané (C2I) pour les 26 métiers qui le composent. Sans visibilité, les consommateurs n’auront plus confiance et l’économie repasserait tout ou partie au noir ou au gris. Les entreprises ont également besoin de stabilité pour sécuriser leurs investissements. C’est aussi la stabilité du cadre réglementaire qui rendra possible une meilleure professionnalisation et l’organisation du secteur : filières de formation, développement des carrières, amélioration de la santé au travail, prévention de l’usure professionnelle et consolidation des droits des employeurs et des intervenants. 

C’est aussi la stabilité du cadre réglementaire qui rendra possible une meilleure professionnalisation et l’organisation du secteur : filières de formation, développement des carrières, amélioration de la santé au travail, prévention de l’usure professionnelle et consolidation des droits des employeurs et des intervenants. 

À la condition de la stabilité du cadre réglementaire, et grâce à la montée en puissance du crédit d’impôt Instantané, les créations de poste attendues (entre 350 000 et 500 000 d’ici 2030) se concrétiseront et la part du travail non déclaré diminuera de 10 points pour s’établir autour de 30 %. Ces perspectives économiques encourageantes se traduisent d’ores et déjà par de meilleurs salaires, au bénéfice des intervenants de services à la personne, d’une professionnalisation des services à l’avantage des clients et d’une facilitation des investissements pour les entreprises de SAP.

L'aide à domicile au 3e rang des métiers avec le plus grand besoin de recrutementà horizon 2030

L'aide à domicile au 3e rang des métiers avec le plus grand besoin de recrutement à horizon 2030

Source : France Stratégie "Les Métiers en 2030", 2022 / Olivier WYMAN

Elles sont de mieux en mieux accompagnées par des banques et des fonds d’investissement conscients que le marché représente 20 milliards d’euros : autant de capital investi dans les territoires et dans les technologies d’avenir.

Le "travail au noir" a changé de nature : l’environnement législatif né du plan Borloo de 2005 a construit un secteur équilibré qui est source d’emploi, d’investissements et qui s’avère profitable aux finances publiques. En outre, les Services à la personne, parce qu’ils s’inscrivent dans des dynamiques sociétales majeures, sont un facteur de cohésion sociale qui suscite l’intérêt d’autres pays européens. La France, en la matière, a valeur de modèle, à condition d’inscrire dans le long terme le cadre légal actuel (crédit d’impôt à 50 % et périmètre des vingt-six métiers). 

L’auteur remercie Bruno Despujol et Lionel Pau du cabinet Oliver Wyman pour la réalisation des études d’impact qui illustrent cet article. 
Copyright image : Ed JONES / AFP

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