AccueilExpressions par MontaigneUn Syrien à Paris : le double pari d’Emmanuel Macron La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Coopérations internationales09/05/2025ImprimerPARTAGERUn Syrien à Paris : le double pari d’Emmanuel Macron Auteur Michel Duclos Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie Le président par intérim de la Syrie, Ahmed Al-Charaa, s'est rendu en visite officielle à Paris le 7 mai, alors que les relations diplomatiques ont été rétablies et qu'un nouvel ambassadeur français a été nommé à Damas. Tout en revenant sur les critiques domestiques qu'a pu soulever la venue d'un dirigeant contesté à l'Élysée, Michel Duclos souligne quels sont les intérêts de la diplomatie française avec la Syrie, face aux risques sécuritaires et à l'agenda concurrent de la Chine, la Russie ou la Turquie. Quels sont les leviers par lesquels la France peut contribuer au relèvement d'un pays qui a une longue histoire en partage avec elle ?En recevant le président de la transition syrienne, Ahmed al-Charaa – jadis connu sous son nom de guerre de Joulani – à l’Élysée, le 7 mai, le président de la République a délibérément assumé un double risque.D’abord un risque de politique intérieure : ses opposants politiques à droite sur l’échiquier politique s’émeuvent de l’accueil réservé à un ancien jihadiste, dont les valeurs et les orientations ne peuvent qu’être contraires à ce qui nous définit nous-mêmes ; et des commentateurs peu bienveillants stigmatisent “la naïveté” d’un pouvoir français qui paraît croire à la conversion possible de cet ancien jihadiste et de ses soutiens (dont plusieurs centaines de Français qui avaient au départ rejoint HTC, le groupe de Joulani, au nom du Jihad).Plus spécifiquement, deux sujets particuliers cristallisent ces critiques. D’abord, le rôle ambigu qu’aurait joué la “boutique terroriste” de Joulani ("Jabat al Nusra") au moment des attentats contre la France en 2015. Dans la conférence commune que M. Macron et M. Al Charaa ont tenue à l’Élysée à l’issue de leurs entretiens, le dirigeant syrien a indiqué que son groupe n’est jamais intervenu à l’étranger, qu’il n’avait qu’un agenda national. À vrai dire, la meilleure garantie de la collaboration de M. Al-Charaa contre le djihadisme vient de ce qu’il est lui-même considéré comme l’ennemi numéro 1 par Daech – puisqu’il a trahi la centrale terroriste par le passé. Un second sujet laissait planer une ombre sur la visite d’Ahmed al-Charaa : celle-ci est intervenue après les incidents violents qui se sont déroulés il y a quelques semaines dans les zones alaouites (coûtant la vie à plusieurs centaines de personnes) et plus récemment dans des localités druzes de la banlieue de Damas.Sur ce terrain, la réalité est que le nouveau pouvoir n’est qu’en partie responsable des massacres commis : s’agissant des troubles sur la côte, il est clair que ceux-ci avaient pour origine des opérations menées contre des forces venues de Damas par des miliciens alaouites pro-Assad. C’est probablement dans un piège du même ordre que sont tombées les forces du nouveau régime à Jaramana, là où les affrontements avec des Druzes ont eu lieu. Dans la conférence de presse commune, le président Macron a cependant à juste titre insisté sur la demande forte de la France que le nouveau pouvoir garantisse la sécurité de toutes les composantes de la société syrienne et aussi que les responsables des meurtres commis soient traduits en justice. M. Al-Charaa s’y est engagé. Un pari internationalLe second risque assumé par le président de la République en recevant M. Al-Charaa à Paris est d’ordre international. Le nouveau pouvoir à Damas bénéficie d’une chance, qui est l’alignement de la Turquie et des pays du Golfe pour tenter de stabiliser la situation en Syrie ; il doit faire face à une triple menace, celle de l’hostilité de l’Iran, celle de la capacité de nuisance de la Russie et surtout celle de l’apparente volonté de déstabilisation d’Israël, qui bombarde le pays sous divers prétextes, le dernier étant la protection des Druzes ; le nouveau pouvoir syrien subit enfin le maintien d’un certain nombre de sanctions occidentales, et en particulier des sanctions américaines qui empêchent toujours les transactions bancaires et financières avec la Syrie. Dans un pays où environ 90 % de la population vit dans la misère, où les besoins en matière de reconstruction sont gigantesques, la chape de plomb des sanctions – pourtant décidée contre le régime précédent - pèse particulièrement lourd.C’est d’abord au nom de nos intérêts que nous devons nous mobiliser et dialoguer avec le nouveau pouvoir syrien. À commencer par nos intérêts de sécuritéPourquoi et comment, dans un tel contexte la France se doit-elle d’agir ? Emmanuel Macron a martelé dans sa conférence de presse que c’est d’abord au nom de nos intérêts que nous devons nous mobiliser et dialoguer avec le nouveau pouvoir syrien. À commencer par nos intérêts de sécurité : jihadistes français détenus dans le Nord-Est syrien sous la garde des Kurdes (Forces Démocratiques Syriennes), islamistes français dans les rangs de HTC, lutte contre Daech, risques migratoires, destruction des stocks d’armes chimiques laissés par l’ancien régime, stabilité du Liban sur laquelle un non-contrôle de la frontière syro-libanaise ne manquerait pas d’avoir un impact.Un autre argument du président de la République est que si nous ne tentons pas d’exercer une influence sur le nouveau pouvoir syrien, nous laissons la place libre à d’autres, dont la Chine, la Russie et la Turquie. Sur tous ces points, on ne saurait que soutenir la démarche de M. Macron : si nous voulons défendre nos intérêts en Syrie, nous n’avons d’autre choix que de nous engager, évidemment de manière conditionnelle (notamment, comme déjà signalé, en matière de préservation de la sécurité des diverses confessions).Mais avec quels moyens s’engager ? Quels sont nos leviers ? Le principal engagement que les nouveaux dirigeants syriens auront retenu des propos de M. Macron a trait à la levée des sanctions européennes et à un “effort de conviction” à effectuer en ce domaine auprès des autorités américaines. S’agissant des menaces qui pèsent sur la stabilité du pays, M. Al-Charaa a indiqué son accord pour dialoguer par le biais d’un médiateur avec Israël. Le président de la République a marqué sa disponibilité pour seconder de tels efforts. Rappelons que dans un autre contexte, Ahmed Al-Charaa avait signalé qu’il pourrait rejoindre les accords d’Abraham (reconnaissance diplomatique d’Israël). Une autre série de leviers possibles pour la France est d’offrir une coopération technique au nouveau pouvoir, s’agissant en particulier de la reconstruction des infrastructures ; c’est un terrain sur lequel la France dispose a priori en Syrie d’une image favorable. La difficulté est de mettre en place des coopérations efficaces dans des conditions de sécurité qui restent précaires.Ce sera l’un des défis que devra relever le nouvel ambassadeur qui a été désigné par Paris pour nous représenter à Damas, Jean-Baptiste Faivre, particulièrement qualifié pour ce poste. Les contacts qu’il pourra avoir sur place – même si dans un premier temps il devra résider à Beyrouth – seront très utiles pour affiner la démarche esquissée lors de la rencontre de M. Al-Charaa et de ses ministres à Paris : sur quels points plus précisément orienter nos demandes au nouveau pouvoir syrien, compte tenu de l’univers politique et social dans lequel il navigue ? Et inversement, quel type de concours pouvons-nous apporter aux nouvelles autorités ? Quelles “lignes rouges” aussi, dont le cas échéant le franchissement par ces nouvelles autorités devraient déclencher de notre part mises en garde voire plus, bien sûr (rupture, éventuellement, comme ce fut le cas avec Assad).Le peuple syrienOutre le mot “intérêts”, il y a deux autres vocables dont Emmanuel Macron a fait usage : celui d’Histoire, évidemment, s’agissant d’un pays pour lequel la France a jadis beaucoup compté ; et celui de “peuple syrien”.Le président de la République a eu raison de noter que derrière les régimes qui se succèdent, il y a un peuple syrien qui est lié à la France par des liens dépassant la politique ; c’est aux côtés de ce peuple que le gouvernement français – malgré la tentation de “renouer avec Assad” souvent présente chez les responsables politiques - s’est rangé tout au long de l’interminable tragédie déclenchée par la répression de la révolution de 2011 ; c’est ce que le président de la transition syrienne a reconnu lors de la conférence de presse commune du 7 mai. Il a observé que ce n’avait pas été pas le cas de tous les pays. Copyright Ludovic MARIN / AFP Emmanuel Macron et Ahmed Al-Charaa à l’Élysée le 7 mai. Derrière les régimes qui se succèdent, il y a un peuple syrien qui est lié à la France par des liens dépassant la politiqueImprimerPARTAGERcontenus associés 24/03/2025 Carnet de voyage : retour de Damas Jihad Yazigi 08/01/2025 [Le monde vu d’ailleurs] - Quel avenir pour les Kurdes de Syrie ? Bernard Chappedelaine