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06/04/2023

Sommet du G7 : le rôle des politiques commerciales en soutien à l’action climatique

Sommet du G7 : le rôle des politiques commerciales en soutien à l’action climatique
 Joseph Dellatte
Auteur
Expert Résident - Climat, énergie et environnement

Les sommets des ministres de l'énergie puis des chefs d’États du G7, respectivement prévus fin avril et en juin à Hiroshima (Japon), constituent une opportunité unique pour créer un cadre commun d’alignement des politiques commerciales sur les objectifs climatiques. Le Consortium for Climate-Aligned Trade (CCAT), qui réunit 12 think tanks des pays du G7, dont l’Institut Montaigne, a formulé une série de recommandations sur les moyens d’y parvenir tout en répondant à la nécessité d’éviter les fuites de carbone - c’est-à-dire le transfert d’émissions de gaz à effet de serre engendré par des délocalisations de production, un phénomène qui compromet l'action collective en faveur du climat.

Dans cette analyse, Joseph Dellatte, qui représente l'Institut Montaigne au sein du consortium, met en lumière les mesures qui pourraient être promues par le G7 sous présidence japonaise pour parvenir à une décarbonation rapide des secteurs industriels à forte intensité énergétique comme l'acier, l'aluminium, la chimie, l'hydrogène et le ciment : fixer des calendriers de décarbonation par secteur industriel, concentrer les efforts sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre nécessaires à la production et au transport des biens destinés à l’exportation dans chaque pays, et réaffirmer la nécessité et la pertinence des politiques commerciales ayant un impact sur le climat. Ces recommandations plaident aussi pour une approche mutuelle et réglementée des politiques commerciales en la matière. Enfin, elles appellent à trouver un terrain d’entente afin de faire preuve de retenue dans la gestion des divergences.

Il est nécessaire d’aligner les politiques commerciales des États avec les objectifs de lutte contre le changement climatique.

Il est aujourd’hui essentiel de parvenir à aligner nos politiques commerciales avec les efforts indispensables pour apporter des réponses à l’un des plus grands défis de notre temps :  les changements climatiques. En tant que groupe de grands pays industrialisés, le G7 peut jouer un rôle clé dans l'élaboration de ces politiques.

Il s’agit d’une arène adaptée dans la mesure où le G20 ne parvient pas à faire émerger des mesures alliant climat et commerce, et où l'article 3 de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) empêche les Conférences des Parties (COP) d'envisager des mesures qui pourraient avoir un impact sur les politiques commerciales.

Les politiques commerciales sont capables d’accentuer ou de ralentir les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. À ce titre, il est nécessaire d’aligner les politiques commerciales poursuivies par les Etats avec les objectifs de lutte contre le changement climatique afin de prévenir toute aggravation de la crise environnementale.

L'Accord de Paris, adopté en 2015 par la CCNUCC, fournit un cadre de travail commun dicté par l’ambition de limiter le réchauffement climatique en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de poursuivre les efforts de limitation à 1,5 °C. L’accord ne tient toutefois pas compte des politiques commerciales des pays signataires, et n'encourage pas les politiques commerciales à tenir compte de ces objectifs d’atténuation.

Les politiques commerciales peuvent pourtant avoir des conséquences néfastes sur l'action climatique, comme en témoigne l’augmentation longue et continue des émissions de gaz à effet de serre (GES) issues de la production et du transport des biens et services importés et exportés.  Ces  émissions représentent en moyenne plus de 20 % du total des émissions mondiales. Les accords commerciaux, qui font parfois primer la croissance économique au détriment de la protection de l'environnement, sont en effet susceptibles d’entraîner une augmentation des émissions de GES dans les activités de transport et de commerce de biens à forte intensité carbone, ou en favorisant la déforestation.

Les accords commerciaux, qui font parfois primer la croissance économique au détriment de la protection de l'environnement, sont en effet susceptibles d’entraîner une augmentation des émissions de GES.

En outre, les politiques commerciales qui s’appuient sur un accès facile et bon marché aux énergies fossiles risquent d'encourager la perpétuation du système, plutôt que de favoriser l'adoption de sources d'énergies renouvelables dans les chaînes de production. Afin de garantir un alignement des politiques commerciales internationales sur les objectifs climatiques fixés, il convient donc d’adopter une approche globale qui tienne compte des effets positifs et négatifs du commerce international sur le climat.

Les politiques commerciales peuvent soutenir l’action en faveur du climat dans deux domaines majeurs : la promotion du développement des technologies à faible émission de carbone et la création de marchés pour les produits neutres en carbone. Les pays pourraient ainsi développer des accords commerciaux assortis d’exigences en matière de contenu carbone des biens importés qui seraient à même de favoriser le déploiement de technologies d'énergie renouvelable, comme le solaire, l’éolien, l'hydrogène vert, ou axés sur l’abandon des subventions aux énergies fossiles. De tels accords commerciaux présenteraient le double avantage de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de promouvoir le développement de nouvelles industries neutres en carbone, tout en créant de nouveaux emplois dans ces secteurs.

Le rôle du G7

Les pays membres du G7 se doivent de réaffirmer leur engagement en matière de décarbonation industrielle dans le délai défini par l'Accord de Paris. S’ils se sont d’ores et déjà engagés à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, ces pays devront s'atteler à une décarbonation profonde de l'ensemble de leurs économies, y compris celle des secteurs industriels à forte intensité énergétique comme l'acier, le ciment ou la chimie. Le club climat créé l’année dernière par les pays du G7 doit maintenant être renforcé dans ses fonctions et son ambition, comme préconisé dans le rapport de l'Institut Montaigne.

Le G7 devrait clarifier sa stratégie de décarbonation industrielle afin qu’elle puisse être accélérée au service de l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris.

Le G7 devrait clarifier sa stratégie de décarbonation industrielle afin qu’elle puisse être accélérée au service de l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris. La crédibilité de ces objectifs serait renforcée, ce qui encouragerait les investissements nécessaires aux efforts de décarbonation. Les pays industrialisés doivent faire de la réduction des émissions et de l’intensité en carbone des biens échangés le principe directeur de leurs politiques commerciales.

Les politiques visant à lutter contre le changement climatique et les fuites de carbone, à l’image de l’Inflation Reduction Act (IRA) américain et du Mécanisme européen d'ajustement carbone aux frontières  (MACF), ont été accueillies avec méfiance par certains pays, dont certains membres du G7, et restent critiquées pour leur caractère protectionniste. La mise en œuvre de ces politiques audacieuses sera pourtant déterminante pour l’atteinte de la neutralité carbone d’ici 2050. La meilleure option politique réalisable pour un pays n’est pas toujours celle de ses partenaires commerciaux, ce qui peut créer des tensions et aboutir parfois à des mesures de rétorsion.

Dans ce contexte, le G7 gagnerait à se positionner comme le premier groupe d’États disposé à déclarer que ses politiques commerciales sont liées à ses actions en faveur du climat, et le premier à les utiliser comme un instrument politique adéquat pour lutter contre la crise climatique. Il pourrait s’agir d’y inclure des subventions en faveur des technologies de neutralité carbone, des mécanismes d'ajustement carbone aux frontières, des approvisionnements respectueux de l'environnement, etc.

Dans le but de relever collectivement le défi climatique, il convient de faire preuve de retenue dans la gestion des divergences en matière de politiques commerciales liées au climat. Les pays du G7 devraient s'efforcer d'éviter les dissensions commerciales et surmonter autant que possible leurs différences par le dialogue. En cas de divergences trop importantes, les membres du G7 devraient chercher à écarter le risque de différends commerciaux ou le recours à des contentieux internationaux.

Les pays industrialisés gagneraient aussi à soutenir, ce bien avant 2030, la création d'un cadre réglementaire commun, y compris avec les pays en développement. Une réticence mutuelle à adopter des politiques climatiques fortes, par crainte de fuites de carbone, rendrait à l’inverse la décarbonation des secteurs industriels plus difficile, voire impossible. Le G7 devrait donc se fixer une échéance précise pour parvenir à un cadre commun d'alignement des politiques commerciales et climatiques, en s'appuyant sur les initiatives nationales et régionales existantes.

Le G7 devrait donc se fixer une échéance précise pour parvenir à un cadre commun d'alignement des politiques commerciales et climatiques, en s'appuyant sur les initiatives existantes.

Les pays du G7 doivent également travailler de concert pour développer le commerce de biens et de services neutres en carbone tout en faisant émerger des chaînes d'approvisionnement résilientes. Les pays qui partagent des valeurs communes (comme les pays du G7) et le souci de la protection du climat devraient s'engager à travailler ensemble pour accroître la disponibilité des biens et services neutres en carbone en créant des "marchés pilotes", tout en améliorant la résilience et la sécurité des chaînes d'approvisionnement.

L'alignement des politiques commerciales internationales sur les objectifs de neutralité carbone doit aujourd’hui s’imposer comme une des pierres angulaires des efforts menés à l’échelle mondiale. En encourageant l'adoption de technologies à faible émission de carbone et en écartant les politiques commerciales incompatibles avec les objectifs climatiques, les pays du G7 peuvent contribuer au développement d’une économie mondiale durable et résiliente pour les générations futures. Même si le poids du commerce mondial dépasse désormais grandement celui du commerce du seul G7, il occupe toujours une place importante dans l'élaboration de politiques efficaces et équitables, à même de faire évoluer les règles internationales. En alignant leurs politiques commerciales sur leurs objectifs climatiques, les membres du G7 peuvent montrer la voie vers un avenir durable et inciter les pays non-membres à faire de même.

 

Copyright Image : WOLFGANG RATTAY / POOL / AFP

Les drapeaux de l'Allemagne, du Canada, de la France, de l'Italie, du Japon, de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de l'Europe sont déployés à l'occasion d'une réunion des ministres des Affaires étrangères du G7 à l'hôtel de ville de Münster, dans l'ouest de l'Allemagne, le 3 novembre 2022.

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