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08/11/2018

Midterms, des élections critiques pour les Etats-Unis

Midterms, des élections critiques pour les Etats-Unis
 Soli Özel
Auteur
Expert Associé - Relations Internationales et Turquie

Le mardi 6 novembre, les Américains se sont rendus aux urnes pour voter aux élections de mi-mandat, qualifiées par de nombreux commentateurs d'historiques, sinon de fatidiques. L'électorat américain a ainsi élu l’ensemble de la Chambre des représentants, un tiers du Sénat et les gouverneurs de 36 États, ainsi que 87 chambres législatives. Le fort taux de participation confirme que les électeurs, qui sont généralement apathiques à mi-mandat, ont pris l'élection de cette année très au sérieux, et la considèrent comme un moment déterminant dans la quête pour façonner l'identité politique américaine.

[Cette analyse a été écrite avant le 6 novembre. Toutefois, les résultats de ces élections, qui n’ont pas donné à voir de véritable “vague” anti-Trump et ont même fait gagner aux Républicains l’Arizona et le Montana au Sénat, en confirment l’analyse : Trump restera le protagoniste dominant de la vie politique américaine jusqu’en 2020.] 

 
Les enjeux de ces élections étaient sans aucun doute cruciaux. Le risque demeure d'une accentuation des tendances autoritaires au niveau national et les impulsions unilatéralistes à l’international. La Cour suprême des États-Unis, soit l'arbitre ultime de l'ordre constitutionnel américain, est maintenant également dominée par une majorité conservatrice. De quoi remettre en question la légendaire séparation des pouvoirs du système américain. Dans un tel contexte, les profonds clivages sociaux et culturels de la société américaine et les divergences politiques aiguës entre les Démocrates et les Républicains ne peuvent qu’être exacerbées.

Le monde entier, avec ses classes politiques et ses publics démocratiques inquiets, est investi dans les élections américaines.

L'électorat américain n'est pas le seul à prendre les élections de mi-mandat de 2018 au sérieux. Le monde entier, avec ses classes politiques et ses publics démocratiques inquiets, est investi dans les élections américaines et guette leurs résultats. Les enjeux sont cruciaux pour l'avenir des institutions et des principes libéraux, ainsi que pour le principe de laïcité qui les sous-tend dans les démocraties avancées.

Étant donné le poids symbolique et réel des États-Unis dans les affaires internationales, les démocrates et les autoritaires, ainsi que divers caudillos, ont suivi les résultats des élections américaines avec la plus grande attention.
 
La raison pour laquelle ces élections de mi-mandat sont si critiques - si ce n’est politiquement existentielles - est le Président des États-Unis, son style politique et ses choix en matière de politique intérieure et étrangère. Lorsque Donald Trump a remporté la candidature du parti Républicain, puis la présidence, il a secoué l’ensemble de l'establishment politique américain. En tant qu’intrus, il a contesté la complaisance des élites retranchées, tant dans son parti que dans le camp Démocrate. Il a remis en question leurs postulats concernant le rôle de l'Amérique dans le monde et il a propagé un message de colère anti-élite, alimenté par une forte dose de racisme, à la fois subliminal et explicite, adressé aux segments lésés et négligés de l'électorat américain.
 
Une fois au pouvoir, ni le comportement de Trump ni son irrévérence envers les règles et les institutions de la démocratie américaine n'ont changé. Friand de mythes, Trump a fabriqué ses propres vérités, a menti ouvertement sur de nombreux sujets et a nié les faits. Il a été impitoyable envers ceux qui se sont opposés à lui ou qui ont refusé de s’aligner avec lui. Sous-estimé par les élites des deux partis, en partie à cause de l'état chaotique de l'appareil administratif de la Maison-Blanche entaché par les scandales et de son refus d’apprendre ou de traiter la moindre question en profondeur, Trump a fini par dominer l’agenda politique. Avec le temps, il a réussi à contrôler entièrement le parti Républicain.

Les grandes figures du parti n’ont eu d’autre choix que de s'incliner devant Trump, car ce dernier est parvenu à tisser un lien inébranlable avec les Républicains les plus militants et les plus mobilisés idéologiquement. La discorde qu’alimente sa présidence se reflète dans sa cote de popularité. Celle-ci stagne aux alentours de 40 % malgré des chiffres de croissance forts et des salaires en hausse qui ont accompagné la baisse constante du taux de chômage. Trump a cependant conservé le soutien indéfectible de 80 % de Républicains enregistrés et a utilisé sa popularité pour subordonner la majorité Républicaine à sa propre volonté. En retour, il donne au parti un projet de loi fiscal sans doute ruineux (à long terme). Ses efforts et ceux du parti pour abroger la Loi sur les soins abordables (Affordable Care Act), aussi connue sous le nom d’Obamacare, ont cependant échoué.

M. Trump n'a pas dérogé à son message obnubilé par l'immigration, le nationalisme blanc, par l’acharnement contre les élites - en particulier les médias - et par la délégitimation de l'establishment libéral.

En termes de politique intérieure, M. Trump n'a pas dérogé à son message obnubilé par l'immigration, le nationalisme blanc, par l’acharnement contre les élites - en particulier les médias - et par la délégitimation de l'establishment libéral. Il tire parti des véritables griefs économiques et culturels des blancs du centre des États-Unis, de la classe ouvrière et des classes moyennes des banlieues, essentiellement masculines. Il exploite ainsi ce que l'historien Richard Hofstadter appelle "le style paranoïaque de la politique américaine". Ses attaques incessantes contre les médias ont bien fonctionné auprès de sa base. Ce qui semblait être les caprices personnels et la grossièreté du Président américain, qui ne se sent astreint par aucune norme, l'a servi politiquement. Interrogé par la journaliste Lesley Stahl sur les raisons pour lesquelles il dénigrait les médias traditionnels, M. Trump a répondu : "Vous savez pourquoi je fais ça ? Je le fais pour vous discréditer tous et vous rabaisser tous, afin que personne ne vous croie lorsque vous écrivez des histoires négatives à mon sujet". 
 
Ces élections de mi-mandat ont été aussi cruciales qu'anormales. Le fait que de telles élections contestées aient lieu en plein milieu d'un boom économique est directement lié aux profondes fissures qui fracturent l’appareil politique américain, et qui agrémentent le discours et le comportement délibérément polarisant de Trump. Trump a transformé les élections de mi-mandat et celles pour les postes de gouverneurs, qui habituellement reflètent les enjeux locaux et nationaux, en un concours centré sur sa propre personne.
 
Afin d'accroître les chances des candidats Républicains, il s'est tourné vers sa thématique préférée - celle des "immigrants" - et l'a présentée comme une question de sécurité nationale, malgré le fait que 65% des Américains conviennent que les immigrants représentent une force pour le pays. Il a ordonné l'envoi de 5 200 soldats à la frontière, tout en promettant d'en envoyer 15 000 à terme, afin d'arrêter une caravane de Honduriens qui fuient leur pays et cherchent à atteindre la frontière mexicaine. Conformément à sa politique consistant à séparer les parents expulsables de leurs enfants, il a proposé de modifier, par décret, le 14e amendement de la Constitution américaine adopté après la guerre de Sécession qui donne à tous les enfants nés aux États-Unis le droit à la citoyenneté.

Une forme de laxisme donnant libre cours aux discours de haine, au sectarisme, à la violence et à l'antisémitisme sous couvert d'anti-mondialisation plane maintenant sur les États-Unis.

Enfin, une forme de laxisme donnant libre cours aux discours de haine, au sectarisme, à la violence et à l'antisémitisme sous couvert d'anti-mondialisation plane maintenant sur les États-Unis. S'adressant à un groupe d'évangéliques, le Président aurait déclaré qu'”il y aurait des violences si les Républicains perdent les élections". Les bombes envoyées par la poste à certains officiels, à certaines célébrités et à CNN, à qui Trump a refusé de faire une visite de courtoisie, ne semblent pas l’avoir beaucoup affecté. Sa réponse à l'attaque meurtrière contre une synagogue de Pittsburgh, qui a coûté la vie à 11 personnes, a également été jugée insuffisante.

La personnalité de Trump et les choix politiques des Républicains ont provoqué une forte réaction dans le camp opposé. Malgré les tentatives des gouverneurs Républicains, connus pour leurs tractations politiques et leurs efforts pour restreindre le droit de vote des minorités, les candidats du parti Démocrate ont réussi à mobiliser de nombreuses circonscriptions. Les femmes en particulier, qu'elles soient mues par la consternation ou la peur du discours et de la politique de Trump, se sont présentées en nombre record aux élections, aux niveaux fédéral et des États. 75 % des femmes candidates au Congrès sont Démocrates. De nombreuses femmes blanches diplômées qui vivent en banlieue et qui votent habituellement Républicain devraient changer de camp et soutenir les candidats Démocrates. Le parti Démocrate lui-même est divisé entre ses branches radicales et celles plus modérées. Pourtant, la volonté d'inverser la tendance politique, de reconquérir certains des électeurs Démocrates du Midwest qui se sont tournés vers Trump et de contrebalancer le cours résolument anti-libéral qu’emprunte actuellement le pays, a unifié le parti. Qui plus est, au lieu de centrer leurs campagnes sur des questions d'"identité culturelle" qui ennuient de nombreux électeurs, les Démocrates ont choisi de mettre l’accent sur leur succès quant à l'adoption de l'Obamacare, autrefois calomnié, sur la protection des personnes en situation de précarité et sur la représentation de ce que l'identité américaine a de bon et de respectable.
 
Désormais, la course pour les élections présidentielles de 2020 peut commencer. Et Donald Trump sera à nouveau le protagoniste de cette nouvelle course électorale.

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