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07/06/2022

Les voix des territoires : quand les Français choisissent de soutenir le président de la République dans les urnes

Les voix des territoires : quand les Français choisissent de soutenir le président de la République dans les urnes
 Lisa Thomas-Darbois
Auteur
Directrice des études France, Experte Résidente

Ce second volet de l’étude des dynamiques électorales à l'œuvre en France s’attache à analyser les caractéristiques des régions qui ont accordé, pour la première ou la deuxième fois, leur soutien au président sortant dès le premier tour. Le 24 avril 2022, Emmanuel Macron sort une nouvelle fois vainqueur de l’élection présidentielle face à Marine Le Pen au second tour. Malgré la nette progression de la candidate d’extrême-droite qui passe de 33,9 % à 41,4 % des suffrages exprimés en 2022, Emmanuel Macron conserve une marge confortable de près de 17 points sur sa rivale. La base électorale du président-candidat demeure donc solide malgré les percées des extrêmes sur certains territoires. Cette élection a, en effet, dressé un portrait net de la carte électorale favorable au candidat En Marche, et des territoires piliers sur lesquels repose sa réélection. Les régions dont les habitants soutiennent Emmanuel Macron en 2022 se divisent en deux catégories principales : les conquêtes et les bastions.

Emmanuel Macron a, d’une part, obtenu l’adhésion de certaines régions dès le premier tour de l’élection présidentielle d’avril 2022, alors qu’ils avaient apporté leur soutien à Marine Le Pen au premier tour de l’élection 2017 : c’est le cas de la Normandie et la région Centre-Val de Loire. D’autre part, il a confirmé son ancrage territorial malgré la propagation de la tentation extrémiste dans plusieurs des régions qui lui sont acquises depuis 2017, notamment au sein de la Nouvelle-Aquitaine, la Bretagne, la région Auvergne-Rhône-Alpes et les Pays de la Loire.

Les conquêtes : Normandie et Centre-Val de Loire

Emmanuel Macron, pourtant devancé par Marine le Pen en 2017 au premier tour, arrive en tête aux deux tours de l’élection présidentielle en 2022 en Normandie et dans le Centre-Val de Loire. En Normandie, il passe de 22,4 % en 2017 à 29,3 % en 2022, ce qui lui permet de devancer  Marine Le Pen et ce malgré la nette progression de celle-ci, qui passe de 23,9 % à 27,1 % des suffrages exprimés. Jean-Luc Mélenchon y enregistre quant à lui un léger recul, de 19,2 % en 2017 à 18,8 % en 2022. Dans le Centre-Val de Loire, contrairement à l’élection présidentielle de 2017, la région a majoritairement voté, en 2022, pour Emmanuel Macron au premier tour : il s’impose avec 28,5 % des voix contre 23,1 % lors de la précédente élection.

L’un des premiers éléments qui permettrait de comprendre le basculement électoral de ces régions est la progression très nette du sentiment d’être heureux.

L’un des premiers éléments qui permettrait de comprendre le basculement électoral de ces régions est la progression très nette du sentiment d’être heureux, sentiment partagé largement par les Normands et les Centrais. En Centre-Val de Loire, le sentiment d’être heureux progresse de quatre points entre 2018 et 2021, ce qui peut expliquer également la progression importante du vote pour Emmanuel Macron au second tour.

Quant à la Normandie, c’est avant tout la région où les habitants se déclarent les plus heureux, mais aussi de plus en plus heureux. Ce sentiment est partagé par près de 81 % de la population régionale et a progressé de 6 points depuis 2017. Parallèlement à cette satisfaction largement partagée, les habitants de la région Normandie ont de moins en moins l’impression d’évoluer dans une société injuste, 68 % en sont persuadés aujourd’hui, contre 79 % en 2017.

Cette satisfaction repose sur des évolutions tangibles et notamment la hausse du pouvoir d’achat pour les Normands : le pourcentage de ménages en mesure de finir le mois sans se restreindre a augmenté de 15 points, passant de 47 % à 62 % des ménages. Ces progrès vécus, la part des Normands "sur le fil" diminue de 7 points, et largement ressentis par les habitants de la région Normandie peuvent expliquer le renforcement de l’électorat macroniste et le basculement électoral à la faveur du président-candidat.

Mais la progression de Marine Le Pen en toile de fond n’en est pas moins marquée. Les habitants de ces deux régions partagent un fort pessimisme quant à l’état de la France : 70 % des Normands sont pessimistes sur l’avenir de la société française, et 75 % des Centrais partagent ce sentiment. 67 % des Normands estiment que ce qui divise les Français est plus fort que ce qui les rassemble. En Centre-Val de Loire, les habitants sont un peu plus nombreux que la moyenne nationale à avoir le sentiment de vivre dans une société injuste :71 %, contre 68 % à l’échelle nationale et ce sentiment recule entre 2018 et 2021. Cette dynamique explique la solidité du bloc d’extrême-droite et la tentation extrémiste pour l’électorat de ces deux régions.

On comprend cependant que cette bascule du côté d'Emmanuel Macron a été favorisée par plusieurs leviers et notamment celui d’une amélioration très nette de la qualité de vie des Normands et des Centrais.

Les bastions : Nouvelle-Aquitaine, Bretagne, Auvergne-Rhône-Alpes et les Pays de la Loire

Les autres régions qui composent le socle électoral d’Emmanuel Macron ont confirmé une adhésion déjà actée en 2017. Cependant, cette adhésion se fait en parallèle d’une progression des candidats les plus radicaux que sont Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. En Auvergne-Rhône-Alpes, la tendance est à la hausse du côté de Marine Le Pen comme de Jean-Luc Mélenchon dont l’électorat s’est affermi au premier tour, avec respectivement 20,7 % et 19,2 % des voix en 2017 contre 22,3 % et 21,2 % des suffrages exprimés en 2022. De même en Bretagne où la tendance est nettement à la hausse du côté de Marine Le Pen dont l’électorat progresse, de 15,3 % des voix en 2017 contre 19,5 % des suffrages exprimés en 2022. On observe les mêmes dynamiques en Nouvelle Aquitaine, Marine Le Pen progresse de 18,9 % à 22,8 % des voix, et dans le Pays de la Loire, où elle avait l’un des scores les moins élevés en 2017, 16,6 %, et où elle passe à 20,8 % en 2022.

Ces régions partagent en effet des caractéristiques qui expliquent leur attirance croissante pour les partis extrémistes et notamment le Rassemblement national. La principale de ces caractéristiques est le renforcement de certaines catégories sociologiques au sein de ces populations régionales. La plupart de ces régions ont vu la part des "enracinés" augmenter pendant le quinquennat : en Bretagne, ils passent de 32 % en 2018 à 36 % en 2021, en Auvergne-Rhône-Alpes, les Français "enracinés" représentent près d’un tiers (33 %) de la population régionale, soit le groupe sociologique le plus important de la région en 2021, en progression de 10 points par rapport à 2018. En Nouvelle-Aquitaine, la part de ces "enracinés" passe de 26 à 34 %, soit 3 points au-dessus de la moyenne nationale. Enfin, la région Pays de la Loire est une de celles qui voit la catégorie des "enracinés" le plus progresser, de 13 points entre 2018 et 2021. Ces Français particulièrement attachés à leur territoires sont la cible des arguments du Rassemblement national qui prône un retour au local et un entre-soi à tous les niveaux. De plus, dans la plupart de ces régions, les tensions liées au pouvoir d’achat sont plus fortes qu’ailleurs : en Bretagne, par exemple, le pouvoir d’achat progresse moins vite que la moyenne nationale et de même en Nouvelle-Aquitaine, seuls 61 % des habitants ont la possibilité de bien vivre jusqu’à la fin du mois sans se restreindre en 2021 et ces tensions sur le pouvoir d’achat semblent avoir été présentes tout au long du quinquennat. Cet élément essentiel pour la qualité de vie est donc moins présent dans certaines de ces régions et pourrait expliquer que Marine Le Pen puisse combler son retard.

Jean-Luc Mélenchon a également enregistré une forte progression dans ces régions, notamment auprès des Auvergnats et des Bretons. En Auvergne-Rhône-Alpes, il passe de 19,2 % à 21,2 % et en Bretagne de 19,3 % à 20,7 %, les deux plus fortes progressions hors d’Île-de-France. Les habitants de ces régions partagent avec le candidat de La France insoumise une sensibilité plus importante que la moyenne nationale concernant les enjeux écologiques : 77 % des Bretons ont le sentiment d’être dans l’obligation de changer leurs habitudes pour préserver l’environnement. Cette volonté d’action se traduit aussi parmi les habitants de la région Centre-Val de Loire. Ils sont ceux qui expriment le plus leur sentiment de frustration à l’égard des enjeux environnementaux : 82 % d’entre eux ont l’impression de ne pas pouvoir agir, faute de moyens financiers, soit 2 points de plus que la moyenne nationale.

L’intérêt des habitants pour la question environnementale mêlée d’un sentiment d’impuissance pourrait permettre d’expliquer la progression de Jean-Luc Mélenchon en Auvergne-Rhône-Alpes, dont le programme lors de l’élection présidentielle était l’un des plus ambitieux en la matière. Ces régions restent malgré tout des régions dont les habitants estiment qu’il fait bon vivre : 74 % des Bretons et 73 % des Aquitains estiment qu’il fait bon vivre chez eux, et où l’on est heureux, 81 % des Ligériens et 79 % des habitants d’Auvergne-Rhône-Alpes se disent heureux.

L’enjeu des élections législatives est donc double pour le Président réélu : confirmer l’élargissement de son socle électoral et empêcher le basculement des régions fragiles vers ces extrêmes.

Les dynamiques globalement positives de ces régions et le sentiment de satisfaction partagés par les habitants y expliquent en grande partie l’enracinement de l’électorat d’Emmanuel Macron malgré les percées des extrêmes.

Quelles conclusions pour les législatives de juin ?

À quelques semaines des élections législatives, Emmanuel Macron bénéficie d’une base certes solide mais qui n’est pas épargnée par la tentation du vote extrême, qu’il s’agisse de La France insoumise ou du Rassemblement national. L’enjeu des élections législatives est donc double pour le Président réélu : confirmer l’élargissement de son socle électoral et empêcher le basculement des régions fragiles vers ces extrêmes. Certaines mesures du programme de la majorité présidentielle Ensemble ! vont dans ce sens. Avec le recul de l’âge de la retraite à 64 ans - qui reste encore à préciser - Emmanuel Macron propose un compromis par rapport à la campagne présidentielle. En proposant une revalorisation de 10 % des salaires des enseignants ou en abaissant les cotisations sociales des indépendants, il cherche à donner à son programme la coloration sociale décrite comme trop peu présente en avril.

Analyse par région

 

Aux élections présidentielles de 2017 et 2022, la région a majoritairement voté pour Emmanuel Macron au premier tour. Ce choix s’est toutefois renforcé puisqu’il s’impose avec 24,5 % des voix en 2017 et 27,7 % des voix en 2022. Tendance à la hausse également du côté de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon dont l’électorat s’est affermi, avec respectivement 20,7 % et 19,2 % des voix en 2017 contre 22,3 % et 21,2 % des suffrages exprimés en 2022.

En 2017, au second tour, Emmanuel Macron sort vainqueur avec 67,1 % des voix contre 32,9 % pour Marine Le Pen. Cette large avance est en partie effacée en 2022 : Emmanuel Macron reçoit 59,8 % des suffrages, contre 40,2 % pour Marine Le Pen.

 

Les habitants d’Auvergne-Rhône-Alpes :

  • ont nettement moins le sentiment de vivre dans une société injuste en 2021 (67 %) qu’en 2018 (79 %) ;
  • ont l’un des pouvoirs d’achat les plus élevés des régions du baromètre : 65 % déclarent avoir la possibilité de bien vivre jusqu’à la fin du mois sans se restreindre ;
  • se sentent plus impuissants face aux enjeux environnementaux (82 %) que le reste des Français (80 %).

La dynamique électorale de la région Auvergne-Rhône-Alpes peut sembler paradoxale car elle fait à la fois progresser le président-candidat dès le premier tour et favorise également les extrêmes de tous bords.

La progression d’Emmanuel Macron trouve probablement sa source dans la satisfaction croissante des habitants pour leur vie quotidienne. En effet, la région Auvergne-Rhône-Alpes est une région heureuse, voire de plus en plus heureuse. Le niveau de bonheur ressenti par les Auvergnats-Rhônalpins était partagé par 73 % d’entre eux en 2018 et il l’est par 79 % d’entre eux en 2021, ce qui hisse la région à la troisième place au classement national. De même, le sentiment de vivre dans une société injuste a fortement baissé, puisque 79 % des Auvergnats-Rhônalpins avaient cette impression en 2018, mais ils ne sont que 67 % à le ressentir encore en 2022, soit un point de moins que la moyenne nationale. Ce sentiment de satisfaction pourrait expliquer le choix de s’inscrire dans la continuité du quinquennat, qui s’achève dans une sérénité croissante pour la région.

Il s’agit par ailleurs, d’une région où le pouvoir d’achat progresse sensiblement. Le nombre de ménages en mesure de finir le mois sans avoir à se restreindre passe ainsi de 58 % en 2018 à 65 % en 2021. Cette amélioration de la vie des Auvergnats-Rhônalpins se traduit concrètement par une modification de la structure sociologique de ces Français. En effet, en 2018, 31 % - soit près d’un tiers de la population - appartenait au groupe des Français “sur le fil”. Le net recul de ce chiffre qui tombe à 26 % en 2021, doit être observé à la lumière de l’amélioration générale de la qualité de vie dans la région. Cette tendance pourrait permettre d’expliquer, en partie, l’augmentation de près de 3 points dans la région, entre 2017 et 2022, des suffrages en faveur d’Emmanuel Macron au 1er tour de l’élection présidentielle.

Comment expliquer alors que les Auvergnats-Rhônalpins cèdent en partie à la tentation des extrêmes ? Deux tendances se dessinent et pourraient permettre d’expliquer la percée des deux extrêmes de l’échiquier politique, au 1er et 2nd tour de l’élection présidentielle 2022.
D’une part, très sensibles à la question de la transition écologique, les Auvergnats-Rhônalpins sont ceux qui expriment le plus leur sentiment de frustration à l’égard des enjeux environnementaux : 82 % d’entre eux ont l’impression de ne pas pouvoir agir sur ces questions faute de moyens financiers, soit 2 points de plus que la moyenne nationale. L’intérêt des Auvergnats-Rhônalpins pour la question environnementale mêlée d’un sentiment d’impuissance pourrait permettre d’expliquer la progression de Jean-Luc Mélenchon en Auvergne-Rhône-Alpes, dont le programme lors de l’élection présidentielle était l’un des plus ambitieux - bien que peu réaliste - en la matière.

D’autre part, en 2021, les Français “enracinés” représentent près d’un tiers (33 %) de la population régionale. Ils constituent par conséquent le groupe sociologique le plus important de la région en 2021, en progression de 10 points par rapport à 2018, et loin devant les Français “sur le fil”, qui étaient prédominants dans la région en 2018. Conséquence directe de la gestion de la crise du coronavirus et des confinements successifs, la part grandissante des Français enracinés dans cette région - comme au niveau national - serait une clé d’explication de la progression de Marine Le Pen qui prône des valeurs qui leur sont chères : attachement au territoire, localisme et promotion de la culture locale.

La dynamique électorale de la région Auvergne-Rhône-Alpes est donc relativement contrastée même si le sentiment général d'amélioration de la vie explique la victoire finale sans équivoque d’Emmanuel Macron pour la deuxième fois.

 

 

Aux élections présidentielles de 2017 et 2022, la région a massivement voté pour Emmanuel Macron, et ce, dès le premier tour. Ce choix, déjà très majoritaire, s’est même renforcé puisqu’il s’impose avec 29,1 % des voix en 2017 et 32,8 % des voix en 2022. Tendance nettement à la hausse également du côté de Marine Le Pen dont l’électorat progresse, mais aussi pour Jean-Luc Mélenchon, avec respectivement 15,3% et 19,3 % des voix en 2017 contre 19,5 % et 20,7 % des suffrages exprimés en 2022.

En 2017, au second tour, Emmanuel Macron sort largement vainqueur avec 75,4 % des voix contre 24,6 % pour Marine Le Pen. Cette avance conséquente a toutefois nettement reculé, à 66,6 % soit une baisse de près de 10 points, contre 33,4 % des suffrages exprimés pour Marine Le Pen lors de l’élection de 2022.

 

Les habitants de Bretagne :

  • sont au premier rang pour le sentiment qu’il fait bon vivre sur leur territoire en 2021 (74 %, contre 66 % au niveau national) et déclarent plus être heureux (80 %, contre 78 % au niveau national) ;
  • sont les plus nombreux à estimer que nous sommes dans l’obligation de changer nos habitudes : c’est le cas de 77 % d’entre eux ;
  • entrent plus souvent dans la catégorie des “enracinés” que la moyenne, en 2021 comme en 2018 (32 % en 2018, 36 % en 2021).

Malgré l’indéniable progression des extrêmes et notamment du Rassemblement national entre les deux élections présidentielles dans la région, la Bretagne confirme son statut de bastion du macronisme. Cet affermissement pourrait notamment s’expliquer par un sentiment de bonheur et de satisfaction des Bretons inégalé dans les autres régions.

La Bretagne est une région où les habitants sont particulièrement satisfaits de leur vie et cela de façon croissante pendant le quinquennat d’Emmanuel Macron. En effet, 80 % des Bretons se sentent heureux en 2021, contre 72 % en 2018, et 74 % des Bretons trouvent qu’il fait bon vivre dans leur région, le meilleur score national en 2021. Les Bretons semblent également penser qu’ils vivent de moins en moins dans une société injuste puisqu’ils ne sont plus que 65 % à le penser en 2021, contre 77 % en 2018.Il n’est donc pas étonnant que le nombre de Bretons assignés diminue de 21 % à 19 % entre 2018 et 2021 et que celui des Affranchis augmente de 20 à 23 % sur la même période. Enfin, la région enregistre, tout comme à l’échelle nationale, une forte hausse du pouvoir d’achat : le nombre de ménages obligés de se restreindre ou de puiser dans leurs réserves pour finir le mois diminue de 13 points de pourcentage et passe de 46 % à 33 %. La Bretagne semble être une région heureuse et prospère, ce qui contribue sans doute à affermir significativement l'électorat d’Emmanuel Macron.

Ce renforcement ne doit pas pour autant éclipser celui, certes moins exponentiel mais tout aussi réel, des extrêmes, aussi bien du côté de Jean-Luc Mélenchon que de Marine Le Pen.

Les Bretons partagent avec le candidat de La France insoumise des convictions profondes et notamment une sensibilité plus importante que la moyenne nationale concernant les enjeux écologiques puisque 77 % d’entre eux ont conscience de l’obligation qu’ils ont de changer leur mode de vie pour préserver l’environnement. Les Bretons sont également plus ouverts et plus confiants en la capacité de la société française à s’unir : ils sont moins pessimistes concernant l’avenir de la société française et sont surtout plus nombreux que la moyenne nationale à penser que ce qui rassemble les Français est plus fort que ce qui les divise. Ces convictions correspondent au message politique de Jean-Luc Mélenchon et expliquent en partie la solidité de son électorat dans la région Bretagne.

La forte progression de Marine Le Pen qui gagne plus de 4 points entre le premier tour de l’élection présidentielle de 2017 et celui de l’élection présidentielle de 2022 paraît donc paradoxale. Elle s’explique pourtant par le renforcement de certaines catégories sociologiques au sein de la population régionale. Cette dynamique concerne en particulier les Bretons “enracinés” dont la part passe de 32 % en 2018 à 36 % en 2021, ce qui en fait la région qui compte le plus de Français enracinés. Ces Français particulièrement attachés à leur territoire sont la cible des arguments du Rassemblement national qui prône un retour au local et un entre-soi à tous les niveaux. Cette tendance se trouve également renforcée par une progression plus lente qu’ailleurs du pouvoir d’achat. Si le nombre de ménages en difficulté financière se réduit, le nombre de ménages qui vit sans se restreindre reste bien inférieur à la moyenne française (60 % en Bretagne contre 64 % pour la moyenne nationale).

Malgré une évidente adhésion au bilan et au programme du président-candidat Emmanuel Macron, certains signaux faibles en faveur du développement de l’électorat de Marine Le Pen sont en nette progression.

 

 

Contrairement aux élections présidentielles de 2017, la région a majoritairement voté, en 2022, pour Emmanuel Macron au premier tour : il s’impose avec 28,5 % des voix contre 22,7 % lors de la précédente élection. Il est par ailleurs suivi d’assez près par Marine Le Pen qui obtient 25,9 % des suffrages, puis par Jean-Luc Mélenchon avec 18,7 % des voix. Si Emmanuel Macron a creusé l’écart lors du premier tour par rapport à 2017 - dans lequel il était devancé par Marine Le Pen - il a perdu cette avance au second tour de l’élection de 2022, avec 56,4 % des suffrages exprimés en 2022 contre 63,3 % en 2017, contre Marine Le Pen.

S’agissant de Jean-Luc Mélenchon, son électorat régional se caractérise par une présence moins importante que sur le reste du territoire, aussi bien en 2017 qu’en 2022, les voix obtenues étant à chaque fois plusieurs points en dessous de la moyenne nationale.

 

Les habitants de Centre-Val de Loire :

  • n’ont pas trop le sentiment de devoir se serrer la ceinture en 2021 : 62 % déclarent avoir la possibilité de bien vivre jusqu’à la fin du mois sans se restreindre (64 % au niveau national, 3ème valeur la plus élevée) ;
  • ont le sentiment de vivre dans une société injuste en 2021 (71 %, contre 68 % au niveau national, deuxième valeur la plus élevée) ;
  • sont en 1ère position s’agissant du pessimisme concernant l’avenir de la France en 2018 (75 % le sont)

La progression importante du vote pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle 2022 pourrait s’expliquer par l’accroissement simultané du sentiment de bonheur ressenti dans la région, en hausse de quatre points entre 2018 et 2021. La progression de la part des Centrais qui estiment vivre convenablement jusqu’à la fin du mois sans se restreindre passe de 53 à 62 % entre 2018 et 2021, classant la région à la 3ème place en termes de pouvoir d’achat. Cette autre donnée pourrait permettre de confirmer cette tendance électorale en faveur d’Emmanuel Macron. Cette dynamique est toutefois relativement surprenante compte tenu du recul de la part des Français Affranchis dans la région, passée de 17 à 13 % entre 2017 et 2022, score le moins élevé de France. Cette faible proportion d’Affranchis pourrait expliquer les faibles scores de Jean-Luc Mélenchon aux premiers tours de chacune des deux élections présidentielles.

Les Centrais sont un peu plus nombreux que la moyenne nationale à avoir le sentiment de vivre dans une société injuste, étant 71 %, contre 68 % à l’échelle nationale. Ce sentiment peut être perçu comme un facteur de renforcement du vote pour Marine Le Pen. Ce ressenti recule toutefois entre 2018 et 2021, mais moins que dans les autres régions, ce qui fait passer la région Centre-Val de Loire parmi les toutes premières en 2021, alors qu’elle faisait partie des régions où ce critère était parmi les moins marqués en 2017.

Le faible vote pour Jean-Luc Mélenchon pourrait paraître étonnant au regard de la part élevée de Centrais qui considèrent que notre modèle économique n’est pas compatible avec la protection de l’environnement. Celle-ci est la première de France, à 66 %.

La part des Assignés reste en revanche constante, à 27 % pour les deux élections, soit la part la plus importante au niveau national, et ce qui permettrait d’illustrer la réserve d’électorat Rassemblement national, particulièrement importante dans cette région. L’existence de cette structure sociologique importante, plus à même de voter pour Marine Le Pen, est corroborée par le fait que le pessimisme concernant l’avenir de la France était déjà le plus élevé du pays en 2018, sentiment partagé par 75 % des Centrais.

 

 

Aux élections présidentielles de 2017, la région a majoritairement voté pour Marine Le Pen au premier tour avec 23,9 %, mais lui a préféré Emmanuel Macron au premier tour de l’élection de 2022. Il passe de 22,4 % des voix à 29,3 % ce qui lui permet d’arriver en tête, devant Marine Le Pen et malgré la nette progression de celle-ci qui passe à 27,1 % des suffrages exprimés. Jean-Luc Mélenchon enregistre quant à lui un léger recul, de 19,2 % en 2017 à 18,8 % en 2022.

En 2017, au second tour , Emmanuel Macron réussit malgré tout à l’emporter avec une forte avance de 62 % des suffrages contre 38 % pour Marine Le Pen. L’écart se réduit toutefois en 2022, Emmanuel Macron l’emporte finalement avec 55,8 % des voix face à Marine Le Pen qui récolte 44,2 % des suffrages.

 

Les habitants de Normandie :

  • se caractérisent par le niveau de bonheur le plus élevé de toute la France en 2021 (81 % en 2021, contre 78 % au niveau national) ;
  • voient leur sentiment de pouvoir bien vivre jusqu’à la fin du mois augmenter de 15 points de pourcentage entre 2018 et 2021, la plus forte progression du baromètre ;
  • sont un peu plus nombreux à avoir le sentiment que nous sommes dans l’obligation de changer nos habitudes concernant les questions environnementales (75 %, contre 74 % au niveau national).

La Normandie est l’une des régions qui a connu une bascule entre 2017 et 2022 et celle-ci s’est exprimée dès le premier tour de l’élection présidentielle de 2022. En 2022, Emmanuel Macron arrive en tête du premier tour en Normandie, supplantant Marine Le Pen qui occupait pourtant la première place en 2017. Cette bascule a certainement été favorisée par plusieurs leviers et notamment celui d’une amélioration très nette de la qualité de vie des Normands.

En effet, c’est avant tout la région où les gens sont les plus heureux, mais aussi de plus en plus heureux. Ce sentiment est partagé par près de 81 % de la population régionale et a progressé de 6 points depuis 2017. Parallèlement à cette satisfaction largement partagée, les Normands expérimentent de moins en moins l’impression d’évoluer dans une société injuste. Seuls 68 % en sont persuadés aujourd’hui, contre 79 % en 2017. Cette satisfaction repose sur des évolutions tangibles et notamment la hausse du pouvoir d’achat des Normands : le nombre de ménages en mesure de finir le mois sans se restreindre à augmenté de 15 points, passant de 47 % à 62 % des ménages. Ces progrès vécus, la part des Normands "sur le fil" diminue de 7 points, et largement ressentis par les Normands peuvent expliquer le renforcement de l’électorat macronien et le basculement vers le Président-candidat au premier tour.

Les Normands sont également très attachés à leur territoire et cela influence largement leur préférence électorale. Plus de 31 % des Normands sont des "enracinés'', très heureux de l’endroit où ils vivent qu’ils ont le sentiment d’avoir choisi. Les Normands sont aussi particulièrement attentifs à la question écologique et conscients à 65 % que notre modèle économique n’est pas compatible avec la protection de l’environnement. 75 % d’entre eux pensent avoir l’obligation de changer nos habitudes de vie pour préserver l’environnement et par conséquent leur région. La région fait partie des trois régions où la conscience écologique est la plus développée. Mais cela ne se traduit pas pour autant par un vote vraiment plus élevé que la moyenne nationale pour Jean-Luc Mélenchon, qui obtient autour de 19 % des voix dans la région lors des deux élections présidentielles.

La large part de Normands "enracinés" est à la source d’une autre tendance électorale non-négligeable. L’attachement au territoire peut aller de pair avec une dynamique de repli à l’échelle régionale et cela semble se vérifier en Normandie. 70 % des Normands sont pessimistes sur l’avenir de la société française et 67 % estiment que ce qui divise les Français est plus fort que ce qui les rassemble. Cette forte tendance explique la solidité du bloc d’extrême-droite et la tentation extrémiste pour l’électorat normand.

 

 

Aux élections présidentielles de 2022, la région a majoritairement voté pour Emmanuel Macron, en lui donnant 27,6 % des voix au premier tour et 58,3 % au second, contre 41,7 % pour Marine Le Pen. Au premier tour de 2022, Marine Le Pen obtient 22,8 % des voix, et Jean-Luc Mélenchon 19,9 %.

Au premier tour en 2017, Emmanuel Macron a obtenu 25,1 % des voix, Jean-Luc Mélenchon 20,7 %, et Marine Le Pen 18,9 %. Au second tour, Macron obtient 68,6 % des votes et Marie Le Pen 31,3 %. L’écart entre Emmanuel Macron et la candidate du Rassemblement national s’est donc réduit de 20 points.

 

Les habitants de Nouvelle-Aquitaine :

  • sont moins nombreux que la moyenne à considérer qu’ils ont la possibilité de bien vivre jusqu’à la fin du mois sans se restreindre (61 %, contre 64 % au niveau national) ;
  • mais ont en revanche un très fort sentiment qu’il fait bon vivre sur le territoire (73 %, contre 66 % au niveau national) ;
  • appartiennent plus à la catégorie des enracinés que la moyenne nationale en 2021 et en 2018 (34 % contre 31 % et 26 % contre 22 %, respectivement).

 

La région se distinguait en 2017 par une part plus élevée du vote Mélenchon, à 20,7 % des voix exprimées (contre 19,6 % au niveau national). En 2022, la part du vote Mélenchon s’élevait à 19,9 %, contre 21,9 % au niveau national. On assiste donc à une régression de la gauche radicale.

Le vote Macron, plus élevé que la moyenne nationale en 2017 (25,1 %), progresse, mais moins qu’au niveau national. En 2022, la Nouvelle-Aquitaine est donc dans la moyenne concernant le pourcentage de ses habitants qui choisissent le Président sortant au premier tour : le candidat obtient 27,6 % des voix en Nouvelle-Aquitaine, et 27,8 % à l’échelle du pays. Le vote pour Marine Le Pen progresse au contraire et se rapproche de la moyenne en 2022, alors qu’il en était plus éloigné en 2017 (18,9 % en Nouvelle-Aquitaine, contre 21,3 % pour l’ensemble du pays).

La progression de la candidate du Rassemblement national en Nouvelle-Aquitaine peut sembler étonnante. La région est cependant l’une de celles où les habitants ont le moins la sensation de pouvoir bien vivre jusqu’à la fin du mois sans se restreindre : ils sont 61 % à être dans ce cas en 2021, soit trois points en-dessous de la moyenne nationale. Ces tensions sur le pouvoir d’achat semblent avoir été présentes tout au long du quinquennat : en 2018, seuls 50 % des Néo-Aquitains disaient avoir la sensation de pouvoir bien vivre jusqu’à la fin du mois sans se restreindre, ce qui était alors également un des niveaux les plus bas de France métropolitaine. Le stress sur le pouvoir d’achat ressenti par les Néo-Aquitains explique ainsi peut-être une partie de la progression de la candidate d’extrême-droite. La progression du vote pour l’extrême droite ne se traduit pas par une augmentation de la part de Français assignés dans la population : cette dernière est en très net recul et passe de 32 à 23 % de la population. Nettement au-dessus de la moyenne nationale en 2018 (de 7 points), leur part revient donc à peu près au niveau national. Elle lui est même légèrement inférieure en 2021. Pourtant, une bonne partie de ces citoyens avait voté pour Marine Le Pen en 2017 et la part de cette dernière entre les deux présidentielles a progressé. Comme partout en France, la part des enracinés progresse entre 2017 et 2022 (elle passe de 26 à 34 %). Elle demeure 3 points au-dessus de la moyenne nationale. La progression de cette catégorie, qui avait voté majoritairement pour Emmanuel Macron en 2017, ne se traduit pas par une progression du vote Macron au second tour de l’élection en 2022.

Malgré cette dynamique à la hausse, la région reste l’une de celles où la part du vote pour Marine Le Pen est parmi les moins élevées. En effet, la région ne se distingue pas par des difficultés majeures en matière de bonheur individuel - 77 % des Néo-Aquitains disent être heureux en 2021, contre 72 % en 2018. Dans le même temps, le sentiment de bien vivre dans sa commune ou son territoire des Néo-Aquitains passe de 69 % en 2018 à 73 % en 2021. La Nouvelle-Aquitaine fait donc partie des régions où le sentiment de bien vivre dans son territoire est le plus fort au niveau national : elle est classée deuxième derrière la Bretagne. Ensemble, ces caractéristiques de la Nouvelle-Aquitaine peuvent expliquer la part relativement plus faible du vote pour Marine Le Pen au premier tour de l’élection présidentielle 2022. Les Néo-Aquitains sont dans la moyenne nationale concernant le sentiment que ce qui divise les Français est plus fort que ce qui les unit : ils sont 65 % à être dans ce cas.

 

 

Les Pays de la Loire étaient en 2017 l’une des régions où Marine Le Pen avait des scores parmi les moins élevés, à 16,6 % au premier tour et seulement 27,6 % au second, soit 6 points de moins qu’au niveau national. Marine Le Pen enregistre une progression en 2022, de 4 points de pourcentage, et se hisse donc à 20,8 % des voix au premier tour. Au 2nd tour, Marine Le Pen progresse de 7,5 points, soit un peu moins que la moyenne nationale, et obtient 35 % des voix.

Jean-Luc Mélenchon réalisait quant à lui un score de 18,4 % des voix. Il passe à 19,2 % en 2022. Sa progression et le nombre de suffrages récoltés sont donc moindres qu'au niveau national.

 

Les habitants des Pays de la Loire :

  • sont les plus heureux des régions du baromètre (81 %, contre 78 % en moyenne) ;
  • ont un des pouvoirs d’achat les plus élevés : 65 % ont le sentiment de pouvoir bien vivre jusqu’à la fin du mois sans se restreindre ;
  • sont assez réfractaires au pass sanitaire : 38 % y sont défavorables.

L’ampleur du vote pour Emmanuel Macron dans les Pays de la Loire fait probablement écho au niveau élevé de bonheur estimé dans la région : 81 % des Ligériens déclarent se sentir heureux, soit un pourcentage légèrement plus élevé que la moyenne nationale. De même, 70 % des Ligériens ont le sentiment qu’il fait bon vivre dans leur territoire. Ce sentiment de bonheur fait écho au confort matériel un peu plus élevé ressenti par les Ligériens de la région : 65 % d’entre eux ont le sentiment de bien pouvoir vivre jusqu’à la fin du mois sans se restreindre, ce qui est le deuxième pourcentage le plus élevé du pays. 65 % des Ligériens ont le sentiment que ce qui divise les Français est plus fort que ce qui les rassemble, ce qui correspond à la moyenne nationale et place ainsi les Pays de la Loire parmi les régions où ce pourcentage est le plus bas. Ce pourcentage semble également plutôt cohérent avec la faiblesse de l’extrême-droite.

La répartition des Ligériens entre les 4 catégories de Français identifiées fait aussi écho aux résultats électoraux moins favorables à l’extrême-droite de la région. Le pourcentage d’affranchis est plus élevé que la moyenne en 2018, à 24 % (21 % au niveau national). Le nombre d’affranchis diminue mais se situe au même niveau que la moyenne nationale en 2021, à 20 % ; dans les deux cas, les Pays de la Loire sont classés parmi les premières régions pour leur proportion d’affranchis. La région est en outre celle qui compte le moins d’assignés, avec 20 % de la population, contre 24 % au niveau national en 2021. Or ce groupe fait partie de ceux qui ont le plus voté pour Marine Le Pen en 2017. Parmi les catégories de Français identifiées dans le Baromètre des territoires, les assignés sont une de celles qui ont le plus de difficultés dans leur quotidien. Enfin, la région est l’une de celles qui voit la catégorie des enracinés le plus progresser, de 13 points entre 2018 et 2021. Les Ligériens sont attachés à leur territoire, qui se trouve aller bien - ce qui explique peut-être aussi la moindre progression de l’extrême droite. Les Ligériens sont proches de la moyenne nationale concernant leur attitude sur les questions environnementales et sont même un peu moins nombreux à considérer que notre modèle économique n’est pas compatible avec la protection de l’environnement (61 %, contre 62 % en moyenne), ce qui paraît cohérent avec la faiblesse relative du candidat de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon.

La région est un peu moins favorable au pass sanitaire que la moyenne (à 38 %, contre 36 % en moyenne au niveau national). Un pourcentage également un peu plus élevé des Ligériens ont le sentiment de vivre dans une société injuste (68 % au niveau national, 70 % dans la région). La réticence au pass sanitaire, porté par l’exécutif à la fin du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, explique peut-être en partie la progression de l’extrême-droite entre 2017 et 2022.

 

Billet rédigé avec l’aide d’Alexandre Goddard et Félicité Schaeffer, assistants chargés d’études.

Copyright : Ludovic MARIN / AFP

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