Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
06/09/2023

Le syndicalisme en France et en Suède : deux modèles contrastés

Imprimer
PARTAGER
Le syndicalisme en France et en Suède : deux modèles contrastés
 Anders Kjellberg
Auteur
Professeur de sociologie à l'université de Lund

Notre comparaison des différents modèles syndicaux européens nous amène à nous pencher davantage sur les spécificités du cas suédois, son histoire et ses ambivalences. Comment expliquer l'installation d’une profonde culture du dialogue social en Suède alors même que le pays a longtemps figuré au rang des États où les actions syndicales étaient les plus fréquentes et les plus intenses ? Dans ce papier, Anders Kjellberg, professeur de sociologie à l'université de Lund, spécialiste du syndicalisme en Suède, offre à notre tradition française d'interventionnisme étatique un stimulant regard "de l'intérieur" sur le modèle d’autorégulation suédois. 

Retrouvez ici l’ensemble des papiers de notre Tour d'Europe des syndicats. 

Après l'Islande, la Suède est le deuxième pays avec le plus haut taux de syndicalisation au monde. Sept travailleurs sur dix y sont syndiqués (soit 69 % en 2022), avec de grandes différences entre les cadres (73 %) et les ouvriers (59 %). De telles variations existent également entre les travailleurs nés en Suède (63 %) et ceux nés à l'étranger (51 %), étant donné que la population suédoise née à l'étranger est l'une des plus élevées de l'OCDE et nettement supérieure à celle enregistrée en France (tableau 1).

Après l'Islande, la Suède est le deuxième pays avec le plus haut taux de syndicalisation au monde.

La Suède compte plus de syndiqués (3,7 millions) que la France (2,15 millions), bien que la population française soit presque sept fois plus importante. La densité syndicale est donc bien plus faible en France qu'en Suède : 9 % contre 69 % (tableau 1). Le taux de couverture par des conventions collectives n’en demeure pas moins supérieur en France (avec un taux de 98 % contre 87 % côté suédois). 

À l'instar des systèmes finlandais et danois, ce haut niveau de syndicalisation en Suède est soutenu par les allocations chômage subventionnées par l'État, selon le système de Gand. Ces caisses syndicales de chômage (arbetslöshetskassor) - pour une partie financées par les cotisations des adhérents et pour l'autre par l'État - sont complétées par des caisses syndicales dites "d'assurance-revenu" (inkomstförsäkringar), ce qui permet d’assurer un filet de sécurité supplémentaire en cas de perte d'emploi.

Bien qu'un travailleur puisse être rattaché à une caisse syndicale de chômage sans appartenir à un syndicat, l'affiliation à la fois au syndicat et à sa caisse de chômage est nécessaire pour bénéficier de l'assurance-revenu syndicale. 

Alors que les assurances-revenus syndicales sont entièrement administrées par les syndicats eux-même, les caisses de chômage sont, quant à elles, soumises au cadre réglementaire national. Ainsi, au cours de la période 2007-2013, le gouvernement de centre-droit mené par Fredrik Reinfeldt a décidé de l’augmentation des cotisations aux caisses de chômage et leur indexation sur le risque de chômage au sein de chaque caisse. Du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, les syndicats suédois ont alors perdu 245 000 membres, soit 8 % de la totalité des membres syndiqués. Le chômage étant généralement plus élevé chez les ouvriers que chez les cadres, les cotisations des "cols-bleus" étaient souvent nettement plus importantes que celles des travailleurs à "cols-blancs". C’est exactement pourquoi, ajoutée aux frais d'adhésion au syndicat, la contribution à la caisse de chômage pouvait représenter un poste de dépense important pour les travailleurs ouvriers. On comprend donc pourquoi le taux de syndicalisation a chuté chez les cols-bleus pendant cette période, bien plus que parmi les cols-blancs. De 77 % en 2006, aussi bien parmi les ouvriers que parmi les cadres, il est tombé en 2013 à 66 % chez les premiers et à 73 % chez les seconds. 

Le taux de syndicalisation des cadres s'est stabilisé à 73 %, mais celui des travailleurs ouvriers a, sauf pendant la pandémie, continué à baisser. Cette disparité pourrait s’expliquer par l’attractivité accrue de l'assurance syndicale de revenus pour les cadres par rapport aux ouvriers. Une autre explication tient au fait que plusieurs groupes relativement difficiles à organiser sont surreprésentés parmi les ouvriers : les travailleurs nés à l'étranger, les intérimaires et les jeunes.

La part des travailleurs couverts par les organisations patronales dépasse toujours celle des syndicats et explique en grande partie le niveau élevé de travailleurs couverts par des conventions collectives. Contrairement à la France, l'État suédois n'étend pas les conventions collectives à des secteurs entiers.

Plus important encore, la définition de salaires minimums repose exclusivement sur la conclusion d’accords collectifs. Ce système est à l’origine d’un mécanisme d'autorégulation par les partenaires sociaux eux-mêmes, ce qui explique leur opposition à l'introduction du salaire minimum européen. En effet, l’autonomie en matière de négociation collective est une caractéristique clé des marchés du travail des pays nordiques. 

Plus important encore, la définition de salaires minimums repose exclusivement sur la conclusion d’accords collectifs. 

Tableau 1. Comparaison entre la France et la Suède.

France et Suède, comparaison

Note : La densité des associations patronales désigne la proportion de travailleurs dans les entreprises et les autorités publiques étant affiliées aux associations patronales.
*Sur la base des données de la CFDT, la CGT et FO (Rehfeldt & Vincent 2023).

En juin 2022, après des années de négociations, les acteurs du secteur privé suédois ont signé un nouvel accord-cadre. L’affaiblissement de la protection de l’emploi à laquelle les syndicats n’ont eu d’autre choix que de consentir est compensée par une amélioration significative des perspectives de reconversion et de développement des compétences professionnelles. En Suède, l’État peut indemniser jusqu'à 80 % du salaire précédent pour une durée maximale d'un an. Par conséquent, le nouvel accord de 2022 fait partie d'un accord tripartite dans lequel l'État joue un rôle important, aussi bien en tant que législateur qu’en temps que financeur. Cet accord a permis d’empêcher que le gouvernement ne se trouve en mesure d’éroder la protection de l'emploi sans avoir à fournir de compensation.

Auparavant, en revanche, le gouvernement s’était trouvé complètement exclu de deux accords historiques conclus par les syndicats et les associations patronales. Mais dans ces deux cas, la menace d'une action de l'État a joué un rôle important :

  • Lors de l’Accord de Saltsjöbaden en 1938, le premier accord cadre entre les ouvriers de la Confédération syndicale suédoise (LO) et la Confédération suédoise des employeurs (SAF). 
  • Lors de l'Accord Industriel de 1997 (L'Accord Industriavtalet) entre les syndicats du secteur manufacturier et les associations patronales SAF correspondantes. 

 

L'Accord industriel du secteur manufacturier de 1997 (accord qu’on désigne comme "norme industrielle") sert de cadre de référence en matière d’augmentations salariales sur l’ensemble du marché du travail. Ces mêmes augmentations sont cependant dépendantes avant tout du rôle normatif que jouent les exportations dans les pays nordiques.

Du conflit au dialogue : l'évolution des relations entre employeurs et ouvriers en Suède

Les organisations patronales se sont restructurées suite à la grève générale pour le suffrage universel de 1902 et à la montée en puissance du mouvement syndical socialiste. La Confédération des employeurs, la SAF est ainsi créée. La même année, l'Association Patronale de l'Ingénierie (Verkstadsföreningen), qui n’était pas encore affiliée à la SAF, se centralise afin de répondre avec plus de force aux syndicats.

Les organisations patronales se sont restructurées suite à la grève générale pour le suffrage universel de 1902.

La SAF a largement utilisé la pratique du lock-out pour intensifier les conflits du travail, tandis que le syndicat des métallurgistes, fondé en 1888, met très tôt en place une caisse de grève pour soutenir les grévistes. Dix ans plus tard (1898), la confédération syndicale LO est fondée. 

Peu à peu, cependant, d’importantes conventions sont signées entre les syndicats et les associations patronales, et ce, dès le début du 20ème siècle. La Convention de l'ingénierie mécanique de 1905 (Verkstadsavtalet) et le Compromis de décembre 1906 (Decemberkompromissen) accordent ainsi le droit de s'affilier à un syndicat. Dans ce même accord, conclu entre LO (la Confédération des ouvriers) et la SAF (la Confédération des employeurs), LO reconnaît à l'employeur le droit d’organiser et répartir librement le travail des employés ainsi que celui d’embaucher et de licencier ces derniers.

La montée en puissance des syndicats ouvriers remet en jeu le rôle des partis politiques. Avant 1905 en effet, le parti social-démocrate (SAP), fondé en 1889, faisait office de confédération syndicale provisoire. Un siècle plus tard, au début des années 1990, avec l'abolition de l'adhésion automatique des salariés membres de LO au SAP, les liens entre LO et le parti social-démocrate s’affaiblissent, mais le président de LO est toujours membre du comité exécutif de la SAP. En revanche, la LO danoise coupe entièrement les liens économiques et politiques avec les sociaux-démocrates au début des années 2000. Cette décision facilite la fusion en 2019 de la confédération des cadres FTF au sein de la nouvelle confédération danoise FH.

Jusque dans les années 1930, la Suède figure parmi les pays où la fréquence des actions syndicales est la plus élevée. Les conflits du travail durent généralement longtemps et concernent de nombreux travailleurs. La grande grève et le lock-out de 1909 sont ainsi inédits, même au niveau international, tant par leur ampleur que par leur durée. La situation change toutefois après les années 1930, avec l'instauration d’une politique de coopération. Sur le plan politique, cela a abouti à un gouvernement de coalition entre le SAP et le parti des agriculteurs, ainsi qu'à L'Accord de Saltsjöbaden LO-SAF de 1938 sur le plan industriel. En 1941, une centralisation de LO a amené l'abolition du vote des membres lors des négociations. Cette réforme ouvre la voie à la négociation centralisée LO-SAF mise en place dans les années 1950, à l’initiative du patronat. Depuis lors, la négociation collective se déroule sur trois niveaux : d’abord à l’échelle nationale, puis au niveau du secteur industriel, et enfin au niveau de l’entreprise. 

Cependant, une fois que ces négociations collectives au plus haut niveau prennent fin, les employeurs sont de nouveau à l’initiative des discussions. Après cet "âge d'or" de la négociation centralisée des années 1950 et 1960, l'axe LO-SAF perd son monopole dans le système de négociation. Au milieu des années 1960, tous les travailleurs du secteur public, y compris les fonctionnaires et le personnel militaire, obtiennent le droit de négocier et de faire grève. La croissance des syndicats de cadres et de fonctionnaires, ainsi que le développement des cartels de négociation, rendent les négociations salariales de plus en plus difficiles. La Grande Lutte de 1980 est marquée par un lock-out massif qui comprend 700 000 travailleurs rattachés à l’axe LO-SAF. Cela marque l’échec d’une action que le Président de la SAF (le PDG militant de l'ASEA, Curt Nicolin) considérait comme un véritable "investissement pour l'avenir". Il s’agissait d’une tentative de la part d’employeurs d’affaiblir les syndicats et de ralentir le taux de croissance des salaires, mais elle a échoué. Les employeurs espéraient avant tout que le gouvernement de centre-droit interviendrait en leur faveur, mais cela ne s'est pas produit. L’insuccès de cette confrontation conduit la SAF à changer de stratégie : elle se tourne vers des négociations totalement décentralisées et individualisées et ferme son unité de négociation en 1990. Les principaux syndicats du secteur manufacturier constituent alors un front uni en 1992 pour empêcher la SAF de démanteler les négociations sectorielles, comme cela avait été le cas pour le secteur privé britannique. Malgré la profonde dépression économique de la Suède dans les années 1990, la capacité des syndicats à mener des conflits d’envergure reste pratiquement intacte, ce qui fut clairement démontré lors des négociations controversées de 1995.

L'Accord Industriel de 1997

Un an plus tard, les syndicats de l’industrie manufacturière enjoignent au patronat de réformer le système de négociation. Cela conduit à l'Accord Industriel de 1997, qui rétablit l'esprit de coopération et empêche les patrons d'abolir les négociations collectives de branche. L'un des principaux objectifs était de mettre fin à la spirale prix-salaire, en rétablissant la compétitivité de la Suède.

L'Accord Industriel est généralement considéré comme un succès. À l'exception des années 2022 et 2023, les salaires réels suédois n'ont cessé d'augmenter depuis 1997. Les conflits du travail sont rares, même selon le standard nordique, et le taux de couverture conventionnelle est élevé. 

À l'exception des années 2022 et 2023, les salaires réels suédois n'ont cessé d'augmenter depuis 1997. 

Le nouvel Office national de médiation suédois, créé en 2000, a pour mandat explicite de promouvoir le rôle moteur du secteur de l'exportation en matière de salaires, grâce à son rôle de médiateur dans les conflits et en promouvant les normes qui sous-tendent ce rôle. On pourrait considérer cet Office comme une institution chargée du suivi de l'Accord Industriel. Les acteurs à l'origine de cet accord disposent de leur propre organe de médiation, le groupe des "présidents impartiaux". À l'instar de l'Office de médiation, celui-ci peut reporter les actions syndicales jusqu'à quatorze jours afin d'éviter que les négociations ne dégénèrent en conflit ouvert. Les préavis de grève suffisent souvent à contraindre les associations patronales à faire des concessions lors des négociations.

Syndicats de cadres, syndicats d'ouvriers

D'un point de vue international, l'exceptionnelle force des syndicats de cadres suédois se reflète de la manière suivante : 

  • Leur taux élevé de syndicalisation.
  • Un rôle important dans la fixation des salaires lors de l'établissement de la "norme industrielle".
  • Leur rôle clé dans le processus menant au nouvel accord de base de 2022. 

Plus que partout ailleurs, les syndicats suédois sont structurés autour des catégories socioprofessionnelles.

Plus que partout ailleurs, les syndicats suédois sont structurés autour des catégories socioprofessionnelles. Comme dans d'autres pays nordiques (avant la création de la confédération syndicale mixte danoise), il existe des syndicats distincts pour les cadres et les ouvriers : LO (pour les ouvriers et les salariés), la Confédération suédoise des employés professionnels TCO (fondée en 1944) et la Confédération suédoise "académique" des associations professionnelle, Saco (fondée en 1947). 

Alors que les clivages politiques au sein du mouvement syndical français entravent la syndicalisation, le champ syndical suédois, structuré par ces catégories socioprofessionnelles, permet à chaque groupe d’intérêt de s'identifier à ses propres syndicats et confédérations. TCO et Saco sont politiquement indépendantes mais coopèrent sur de nombreuses questions avec LO "sociale-démocrate". Les trois confédérations ont un bureau commun à Bruxelles. Par ailleurs, l'identité ouvrière de LO est plus importante pour ses membres que son orientation politique. En effet, une grande partie des membres de LO vote pour des partis non socialistes, et même pour le parti d'extrême droite des Démocrates de Suède. 

La Suède a une définition large de ce qu'elle considère comme des ouvriers, ou "arbetare", ce qui explique en partie la prédominance des syndicats ouvriers au sein de la LO. Par exemple, les statistiques officielles des "arbetare" incluent les infirmières et les aides-soignants (organisés dans le syndicat des travailleurs municipaux affilié à LO), mais aussi la plupart des travailleurs de la restauration et des vendeurs.

Le plus grand syndicat suédois est cependant le syndicat de cadres Unionen (TCO), qui compte près de 600 000 membres (en excluant les retraités et les étudiants). Après le transfert du syndicat des enseignants de la TCO à Saco en 2022, Unionen a attiré 61 % de tous les membres de la TCO. Comme les syndicats TCO des employés municipaux (Vision) et des fonctionnaires (ST), Unionen est un syndicat vertical (ou sectoriel), tandis que le syndicat TCO des infirmières est un syndicat professionnel. Tous les syndicats de Saco sont des associations professionnelles, tout comme le syndicat indépendant des superviseurs et des gestionnaires (Ledarna). Du fait de cette acception ouverte du statut "d'ouvrier", tous les syndicats rattachés à la confédération LO sont des organisations sectorielles (verticales), à l’exception des syndicats d’électriciens et de peintres qui sont des syndicats professionnels (horizontaux). 

L'autorégulation suédoise face à la régulation étatique française

À l'instar du deuxième syndicat de Saco, l'Association des ingénieurs diplômés (Sveriges Ingenjörer), ou de IF Metall (de LO), Unionen (de TCO) est l'un des syndicats appartenant à la constellation des "Syndicats du secteur manufacturier" (Facken inom industrin) qui fixe la norme industrielle (un pourcentage d'augmentation de salaire spécifique à appliquer à l'ensemble du marché du travail) en négociations avec les associations patronales SN concernées (SN, la Confédération des entreprises suédoises, ayant succédé à SAF). À titre d'exemple, la norme industrielle pendant la période contractuelle de novembre 2020 à mars 2023 équivalait à une augmentation de salaire de 5,4 %, soit une moyenne de 2,2 % par période de 12 mois (Kjellberg 2023c tableau 6). Le salaire minimum légal français joue un rôle normatif similaire : il fixe plus ou moins le rythme des accords salariaux au niveau de la branche. Cet exemple souligne clairement la différence entre la réglementation de l'État français et l'autoréglementation suédoise. 

La forte dépendance des syndicats français à l'égard de l'État pour le financement de leurs activités est un autre exemple en la matière. Par contraste, le taux élevé de syndicalisation en Suède permet l'autofinancement des organisations syndicales, grâce à une combinaison de cotisations et de revenus d'investissement. Les membres d'Unionen (TCO) ont ainsi versé en 2020 environ 150 millions d'euros de cotisations. Les dépenses totales ont dépassé les recettes de plus de 52 millions d'euros. Le déficit des activités syndicales et des assurances a été couvert par un excédent du fonds de conflit qui a été investi dans des actifs financiers et immobiliers. Sa valeur atteignait 1,8 milliards d'euros. 

Grâce à ces fonds de conflit bien consolidés, les syndicats suédois disposent d'un levier puissant qui leur permet d'organiser des grèves durables et de grande ampleur, tandis que les briseurs de grève sont rares en raison de la forte densité syndicale. Comme indiqué précédemment, un préavis de grève peut suffire. Cela explique en partie la très faible fréquence des grèves, et la plupart d'entre elles sont d’ailleurs de courte durée (généralement de 5 à 10 jours seulement). Les grèves les plus importantes depuis 2000 ont eu lieu dans le secteur public avec le soutien du syndicat des travailleurs municipaux de LO et du syndicat des infirmières (TCO), et ont duré cinq semaines dans le premier cas et près de six semaines dans le second.

Depuis l'Accord Industriel de 1997, il n'y a eu qu'une seule grève dans l'industrie manufacturière (la grève des usines de papier en 2010). Plusieurs facteurs l’expliquent. Premièrement, si les salaires avaient augmenté plus rapidement que dans les principaux pays concurrents de la Suède, comme l'Allemagne, la compétitivité de la Suède s'en serait trouvée menacée. 

Deuxièmement, l'économie suédoise est dominée par de grandes entreprises transnationales telles que ABB, Autoliv, Ericsson, Scania, Skanska et Volvo, qui ont de bonnes chances de délocaliser leur production à l'étranger si jamais les syndicats venaient à en demander trop. Entre 1980 et 2020, le nombre d'employés en Suède dans les 80 plus grands groupes manufacturiers a diminué de 447 000 à 132 500, soit une baisse de plus de deux tiers. Au cours de la même période, le nombre de salariés à l'étranger a doublé, passant de 326 100 à près de 675 000. Les pays à bas salaires sont à l'origine d'une grande partie de cette expansion.

Troisièmement, avant l'Accord Industriel de 1997, les prix ont connu une augmentation substantielle en même temps que les salaires nominaux, de sorte que les salaires réels n'ont progressé que très lentement. Le gouvernement, mais aussi les syndicats et le patronat, ont jugé nécessaire de réformer le système de formation des salaires et de réduire les augmentations de salaires nominaux. Désormais, malgré l'absence quasi-totale de grèves dans l'industrie manufacturière, les syndicats ont réussi à obtenir une croissance des salaires réels beaucoup plus élevée que dans les décennies précédant l'Accord Industriel.

Le système suédois de négociation collective est un mélange de mécanismes de centralisation et de décentralisation. La centralisation comprend la forte coordination interne des négociations collectives au sein de la Confédération des entreprises suédoises (SN) et également au sein de LO, les syndicats de cadres et d’ouvriers du secteur manufacturier et le rôle de coordination de l'Office de médiation. Les accords sur les pensions professionnelles, les assurances et la transition sont négociés au plus haut niveau : dans le secteur privé, entre SN et LO, et entre SN et PTK (une alliance des syndicats TCO et Saco et de la Ledarna indépendante). 

La décentralisation fait référence au rôle des syndicats sur le lieu de travail dans la mise en œuvre des accords sectoriels qui, contrairement à l'Allemagne, ne comportent pas de clauses dérogatoires. Il existe un lien vertical étroit entre les sièges nationaux des syndicats, les bureaux régionaux et les organisations syndicales sur le lieu de travail. Sur les lieux de travail dotés de "clubs" syndicaux, ces organisations syndicales négocient les salaires locaux et autres conditions, les licenciements et les questions de codétermination. Contrairement à la France et à l'Allemagne, il n'y a pas de CSE en Suède.

Par rapport à la législation, les conventions collectives permettent une plus grande flexibilité et une meilleure adaptabilité aux différents secteurs et aux conditions locales, par exemple au niveau du temps de travail. L'application de la loi suédoise sur le chômage partiel pendant la pandémie est un exemple récent en la matière. Les entreprises dotées de conventions collectives disposent d'une plus grande marge de manœuvre que celles qui sont obligées de suivre la loi à la lettre. L'introduction du travail à durée déterminée repose sur un accord tripartite entre le gouvernement et les partenaires sociaux.

Nouvelles tendances, nouveaux défis

Au cours de la dernière décennie, la tendance a plutôt été à la conclusion d’accords tripartites, ce qui a rapproché la Suède du Danemark, de la Finlande et de la Norvège. L’accord visant à créer des emplois pour les chômeurs de longue durée et les immigrés nouvellement arrivés est un exemple en la matière. Cependant, l'introduction des emplois spéciaux (etableringsjobb) pour les nouveaux arrivants sur le marché du travail et les chômeurs de longue durée s’est trouvée retardée en raison d’un blocage par les Démocrates de Suède, le parti d'extrême droite sur lequel s'appuie le gouvernement.

L'accord de base de juin 2022 est bien bipartite. Cependant, pour des raisons financières et juridiques, il nécessite la participation de l'État - raison pour laquelle il est tripartite. Le passage d'un gouvernement social-démocrate à un gouvernement de droite à l'automne 2022 a mis en péril sa mise en œuvre complète. Cet accord de base propose une bourse d'études non remboursable et équivalente à 80 % du salaire pour les salariés qui souhaitent développer leurs compétences ou encore, étudier en vue d'un nouveau métier. En raison de l'insuffisance des ressources économiques allouées au Conseil du financement des étudiants, sa capacité à traiter le grand nombre de demandes pour ces bourses demeure très limitée. 

Le déclin du taux de syndicalisation chez les ouvriers est encore un défi pour le syndicalisme en Suède. Après avoir atteint 62 % pendant la pandémie, il est tombé à 59 % en 2022. La baisse a été beaucoup plus faible chez les cols blancs, passant de 74 % à 73 %. Deux explications sont possibles. Tout d'abord, les cols-bleus faiblement rémunérés ont été les plus exposés à la baisse des salaires réels en 2022, année de forte inflation.

Le déclin du taux de syndicalisation chez les ouvriers est encore un défi pour le syndicalisme en Suède. 

Deuxièmement, les travailleurs nés à l'étranger ont constitué une réserve de main-d'œuvre au cours d'une année marquée par la baisse du chômage et la hausse des taux d'emploi. La part des ouvriers nés à l'étranger est passée de 30 % en 2021 à 32,4 % en 2022. Cela a eu un double effet négatif sur le taux de syndicalisation dans le secteur ouvrier : par le biais du taux de syndicalisation plus faible des travailleurs nés à l'étranger par rapport aux travailleurs nés dans le pays ainsi que par le biais de la baisse plus importante de leur taux de syndicalisation. Les travailleurs nés à l'étranger sont surreprésentés parmi ceux ayant des contrats temporaires. Nombre d'entre eux sont originaires de pays non membres de l'UE et ont une connaissance limitée du modèle de marché du travail suédois. 

 

Copyright Image : Jonathan NACKSTRAND / AFP

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne