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04/09/2017

La stabilité de l’Asie en péril

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La stabilité de l’Asie en péril
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

 

Alors que la tension est montée d'un cran en Asie, Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse les conséquences de ces événements sur l'équilibre dans les relations entre les principaux acteurs de la région.

Avec l'aimable autorisation des Echos.

Le test fait ce week-end par la Corée du Nord d'une bombe à hydrogène a provoqué un séisme de magnitude 6,3 dans le pays. Mais ce n'est pas seulement la terre qui tremble. C'est la stabilité de l'Asie, et au-delà celle de l'ensemble du système international qui se trouve remis en question.

Pendant plus de trente ans, le continent asiatique a été celui de l'espoir, parce qu'il était très largement celui de la croissance et aussi parce qu'il était celui de la paix. Une paix qui n'allait pas de soi, compte tenu des rivalités existantes entre les principaux acteurs. Au fil du temps, pourtant, la paix en Asie est presque apparue comme allant de soi.

De la stabilité en Asie

Sur notre planète, le continent de la guerre est devenu, après l'Europe et l'Asie, le Moyen-Orient, un Moyen-Orient certes élargi à une partie de l'Afrique et du Maghreb d'un côté et à une partie de l'Asie de l'autre avec l'Afghanistan et le Pakistan. Un vaste territoire où l'Occident s'est empêtré toujours davantage, sacrifiant à ses aventures malheureuses plusieurs points de croissance.

Une des raisons majeures de la stabilité de l'Asie pendant toute cette période a été la présence stabilisatrice de l'Amérique. Les Etats-Unis ont pu par leurs aventures militaires contribuer au chaos du Moyen-Orient. En Asie, ils ont été à l'inverse un facteur d'équilibre, exerçant le plus souvent avec sagesse le rôle rassurant et nécessaire de balancier.

L'escalade de Pyongyang coïncidant - ou étant la résultante au moins partielle de l'arrivée de Donald Trump au pouvoir à Washington - ne risque-t-elle pas de remettre en question le pivot de stabilité, certes fragile, qu'est devenu l'Asie pour le monde ? S'il est un continent qui peut aujourd'hui, plus encore que l'Europe, se sentir "orphelin" des Etats-Unis, c'est bien l'Asie.

Le dilemme du Japon

Le Japon est très certainement le pays le plus affecté par l'arrivée de Donald Trump au pouvoir à Washington. L'Amérique, en effet, n'est pas seulement pour les Japonais une garantie de sécurité face à la Chine, la Russie ou la Corée du Nord. Elle a été, pendant des décennies, un modèle non seulement politique, mais aussi culturel. Fier d'avoir incarné le miracle asiatique bien avant la Chine, le Japon s'est présenté aux yeux du monde comme "l'Occident asiatique". Très attachés à la défense du modèle du libéralisme démocratique à l'occidentale, les Japonais apparaîtraient presque aujourd'hui comme désireux de reprendre en Asie le flambeau de l'universalisme, que l'Amérique de Trump n'incarne plus.

Sur le plan économique, cela signifie clairement défendre le TPP ou ce qu'il peut en rester. Sur le plan politique, cela implique de demeurer le bastion du modèle de la démocratie à l'occidentale en Asie - "Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là." Mais s'il est un domaine où le Japon souhaite avant tout maintenir le statu quo, c'est celui de la sécurité.

Après avoir tenté, non sans succès, une opération de charme, mettant l'accent sur le goût prononcé commun du président américain et du Premier ministre japonais pour le golf, Tokyo s'inquiète désormais de l'imprévisibilité absolue de Donald Trump. Or, ne plus pouvoir compter sur les Etats-Unis ne peut avoir qu'une double signification pour le Japon : soit se rapprocher de la Chine fait preuve d'un nationalisme toujours plus grand ; soit compter toujours davantage sur soi-même et réarmer très sérieusement, en dépassant ainsi des blocages hérités de la Seconde Guerre mondiale.

L'alliance de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud

Si le Japon est déstabilisé par Donald Trump - la cote de confiance des Japonais en l'Amérique a chuté de 70 à 24 % depuis l'élection du 45e président des Etats-Unis -, ce n'est clairement pas le cas de la Chine. Pékin semble contempler avec malice et presque de la gourmandise l'arrivée d'un président à ce point "inexpérimenté". La Chine se comporte comme le ferait un maître au jeu de go voyant, en face de lui, un joueur de poker qui, armé de son seul bluff, croit pouvoir en imposer à l'héritier d'un empire, persuadé que son heure est non pas arrivée, mais revenue. Ceci étant, la Chine, elle aussi, est embarrassée par les provocations nord-coréennes. Elle ne veut ni d'une guerre à ses frontières ni d'une réunification de la péninsule coréenne qui résulterait de l'effondrement sur lui-même du régime de Pyongyang.

Dans le meilleur des mondes, le doute grandissant sur les capacités de Washington pourrait conduire les trois acteurs régionaux clefs de la crise nord-coréenne, que sont la Chine, le Japon et la Corée du Sud, à rapprocher leurs positions. Ils pourraient s'essayer à résoudre directement la crise, sans craindre les conséquences éventuelles des dérapages verbaux de l'occupant de la Maison-Blanche ou sans compter sur une solution négociée et imposée à l'extérieur de leur continent. Cette accélération positive de l'histoire serait ironiquement produite par "l'absence de l'Amérique" et non par ses efforts patients en faveur de la réconciliation sur le continent asiatique.

Pour le moment, tel ne sera sans doute pas le cas, car aucun des acteurs, à l'exception peut-être du Japon, n'accorde une priorité absolue à la résolution de la crise nord-coréenne. Même les Coréens du Sud, obsédés comme ils peuvent l'être par leur politique intérieure plus encore que par le comportement de Pyongyang, ne semblent pas prêts à effacer d'un trait de plume leur contentieux historique avec Tokyo. Les Chinois, de leur côté, craignent plus les contre-mesures américaines aux missiles nord-coréens que l'impact déstabilisateur pour l'ensemble de la région de ces mêmes missiles.

L'Asie ne restera le continent de la paix et de la croissance que si la Chine, le Japon et la Corée du Sud parviennent à s'entendre. Sinon, la Corée du Nord risque de devenir pour l'Asie au XXIe siècle ce que fut la Serbie pour l'Europe au XXe.

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