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04/04/2018

La situation du travail pénitentiaire à l’orée du débat parlementaire relatif à la loi de programmation de la Justice. Analyse de Régis Verdier

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La situation du travail pénitentiaire à l’orée du débat parlementaire relatif à la loi de programmation de la Justice. Analyse de Régis Verdier
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Régis Verdier est rapporteur du groupe de travail dont les réflexions ont abouti au rapport Travail en prison : préparer (vraiment) l’après

La méthode est novatrice et pourrait annoncer le dépassement des oppositions, trop souvent caricaturales, qui structurent le débat autour de la place de la prison dans notre société, qui se résume le plus souvent à un affront manichéen entre « laxisme » et « tout sécuritaire ». Le 4 décembre 2017, une quarantaine de députés de tout bord, membres de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, ont visité simultanément une trentaine d’établissements pénitentiaires. Suite à cette visite, organisée par la présidente de la Commission, la députée des Yvelines, Mme Yaël Braun-Pivet, quatre groupes de travail sur les conditions de détention en France ont été formés afin de formuler des recommandations sur la prise en charge des détenus présentant des troubles psychiatriques, le recours aux établissements ouverts, l’activité en détention ou encore le lien avec le tissu économique local. 

Ces groupes de travail, qui viennent de rendre leurs conclusions le 21 mars 2018 visent à enrichir le débat parlementaire autour de la loi de programmation pour la Justice, qui devrait être présentée en Conseil des ministres le 11 avril prochain. Les propositions formulées s’intéressent tout particulièrement au travail pénitentiaire et à la formation professionnelle, des questions abordées par l’Institut Montaigne dans son rapport Travail en prison : préparer (vraiment) l’après

Celui-ci repose sur une conviction forte : loin d’être irrémédiables, la baisse du nombre de détenus au travail et en formation et la faible qualité des tâches proposées aujourd’hui peuvent être dépassées afin de faire du travail en prison un vecteur essentiel de réinsertion. Les démarches innovantes menées à l’étranger ou au niveau local le prouvent : le travail pénitentiaire peut être un instrument efficace pour les détenus, grâce à une réinsertion facilitée, et pour la société, avec une réduction du taux de récidive.

"Aujourd’hui, le travail pénitentiaire fait figure d’oublié dans le paysage pénal et pénitentiaire français."

Le travail pénitentiaire est passé, en 1987, d’une obligation imposée au détenu, dans une démarche punitive, à un droit dont il est le bénéficiaire. Cependant, il s’apparente aujourd’hui de plus en plus à un rare privilège, tant le nombre de détenus au travail connaît une baisse ininterrompue depuis les années 2000 : le taux d’activité rémunérée en prison est ainsi passé de 46,5 % à 29,2 % en 2016. Au-delà de ce déclin quantitatif, l’offre de travail pénitentiaire subit également une dégradation qualitative, les tâches réalisées en détention, souvent vestiges d’activités d’assemblage ou de façonnage, ne permettant pas l’acquisition de compétences, pourtant indispensables pour la population incarcéré. En effet, le faible niveau de qualification des détenus – les trois quarts ont quitté le milieu scolaire avant 18 ans - rend d’autant plus indispensable le développement d’un travail pourvoyeur de qualification. 

Si cette insuffisance de l’offre de travail et de formation en prison est le fruit de multiples causes, trois se détachent plus nettement, qui doivent faire l’objet d’une analyse approfondie pour qui veut réellement se donner les moyens d’inverser cette tendance dégradée. 

Premièrement, le développement du travail pénitentiaire reste en large partie impensé par les pouvoirs publics, qui lui attribuent en priorité un objet de régulation sociale de la détention, afin d’occuper une population pénale désoeuvrée. Il n’existe donc pas de logique de développement cohérente et volontariste au niveau national tandis qu’au niveau local les initiatives innovantes prises par de nombreux directeurs d’établissement ne se voient le plus souvent pas récompensées par l’administration pénitentiaire. 

Ensuite, le cadre actuel du travail pénitentiaire, tant dans ses modalités matérielles que dans son régime juridique, nuit à son développement. 

D’une part, de nombreux obstacles matériels entravent son attrait en alourdissant la facture des entreprises : aux contraintes géographiques liées à l’éloignement des établissements s’ajoutent les défauts de l’architecture des centres de détention, avec des espaces de travail inadaptés et souvent vétustes - mêmes dans les établissements inaugurés il y a quelques années ! L’organisation de la vie en détention, qui se traduit par des absences répétées des détenus à leur poste de travail, est également incompatible avec l’exercice d’une activité professionnelle.  

D’autre part, le régime juridique dérogatoire qui encadre le travail pénitentiaire, issu de la loi du 24 novembre 2009, ne paraît plus satisfaisant, à un double égard. Du côté de la rémunération du travailleur détenu, si la loi introduit le principe de la rémunération horaire en lieu et place du système de rémunération à la tâche qui préexistait, la mise en œuvre est encore aujourd’hui largement contournée et se heurte à de fortes réticences. Aujourd’hui, la rémunération demeure donc précaire malgré les tentatives d’encadrement du législateur. Du côté de la relation de travail, le détenu employé est un travailleur sans contrat, la loi prévoyant la signature d’un simple « acte d’engagement », ce qui porte préjudice à la perspective de réinsertion du détenu – en éloignant d’une manière excessive le régime dérogatoire du travail en prison de celui de droit commun et en privant le détenu de certains bénéfices individuels et collectifs de la législation sociale. 

Enfin, le déclin du travail pénitentiaire traduit également le peu d’appétit des entreprises, sinon à investir le champ du travail en détention, du moins à le valoriser publiquement auprès de leurs clients et du grand public, pour des raisons d’ailleurs contradictoires qui soulignent les tiraillements de l’opinion. En effet, d’un côté, les conditions actuelles du travail pénitentiaire exposent les entreprises à des risques d’image – elles pourraient être vues comme « exploitant » une main d’œuvre précaire. À l’inverse, certaines entreprises craignent d’être critiquées comme privilégiant l’emploi de personnes incarcérées au détriment des demandeurs d’emploi du dehors. 

"La Commission des Lois apporte une contribution bienvenue sur le sujet de la détention, et plus spécifiquement sur le travail pénitentiaire."

Face à ce constat alarmant, la Commission des Lois apporte une contribution bienvenue sur le sujet de la détention, et plus spécifiquement sur le travail pénitentiaire. Tant la composition transpartisane des groupes de travail que le caractère relativement ouvert de leurs recommandations sont susceptibles de créer un large consensus lors du débat parlementaire, en mesure d’aboutir à des avancées concrètes dans le champ pénitentiaire. 

Un premier axe porté par la Commission par des Lois vise à faire du travail pénitentiaire un outil de réinsertion. Dans ce but, le rapport de l’Institut Montaigne formule de nombreuses recommandations visant à systématiser l’orientation professionnelle et la qualification des personnes détenues, de façon adaptée aux durées des peines. On peut citer la montée en puissance de l’orientation professionnelle et des mécanismes de pré-qualification pour les courtes peines tandis que le développement de la VAE et la systématisation des parcours de qualification sont défendus pour les plus longues peines. 

Un deuxième axe de progrès identifié par les députés vise à renforcer le lien entre les établissements pénitentiaires et le tissu économique local. Les députés veulent ainsi mieux faire connaître le travail pénitentiaire au monde de l’entreprise, par exemple grâce à la mise en place de « journées découvertes ». Afin de rendre plus attractif le travail pénitentiaire, ils préconisent, outre l’évolution de l’organisation de la journée de détention, la mise en œuvre d’outils incitatifs à destination des entreprises, notamment dans le cadre de leur politique RSE. À cet égard, l’Institut Montaigne propose plusieurs mesures afin de faire du travail en prison un axe à part entière de leur stratégie RSE, avec la création d’un dispositif de mécénat financier spécifique ou encore un recours facilité au mécénat de compétences. 

Ainsi, ces quelques exemples tirés des propositions présentées par la Commission des Lois soulignent une réelle prise de conscience de l’importance du travail pénitentiaire dans la dynamique de réinsertion et l’on peut espérer un débat parlementaire informé et apaisé. Si ces propositions ne dessinent pas les contours d’une stratégie globale, ils constituent sans aucun doute les prémisses d’une réflexion qui est appelée à se poursuivre lors des prochains mois.

"Trois éléments majeurs pourraient remettre en cause l’efficacité de la stratégie de développement du travail pénitentiaire."

Cependant, trois éléments majeurs pourraient remettre en cause l’efficacité de la stratégie de développement du travail pénitentiaire si d’aventure ils n’étaient pas pris en compte par le législateur. 

Premièrement, pour être effectif, le développement du travail en détention impose une modernisation de l’action de l’administration pénitentiaire, autour d’une gouvernance rénovée. À cet égard, la création d’une Agence spécialisée sur le travail et la formation professionnelle constitue un horizon prometteur. 

Ensuite, face à la raréfaction des emplois proposés en détention, marqués à l’heure actuelle par une faible valeur ajoutée, sous le double effet du progrès technique et de la mondialisation, c’est bien la nature même de l’offre de travail en prison qu’il convient de revaloriser sous peine de voir le nombre de détenus au travail poursuivre son déclin. Le développement du numérique en détention, vecteur essentiel de montée en gamme du travail pénal, devrait être davantage encouragé, en s’inspirant des succès étrangers décrits par l’Institut Montaigne, qui ont réussi à concilier l’impératif de sécurité des contenus et le développement d’une offre de prestations de services connectés. 

Enfin, plus largement, le développement du travail en prison ne pourra se faire sans une lutte résolue contre la surpopulation carcérale et ses effets délétères, celle-ci surdéterminant l’ensemble des initiatives dans le champ pénitentiaire aujourd’hui. La traduction concrète du « Plan Prison », annoncé par le président de la République devant l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) le 6 mars 2018, sera à cet égard déterminante. 
 

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