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Conférence sur les finances publiques : nouvelle saison, même scénario ?

Conférence sur les finances publiques : nouvelle saison, même scénario ?
 Lisa Darbois
Auteur
Directrice des études France, Experte Résidente
 Nicolas Laine
Auteur
Responsable des Publications - Études France

La conférence sur les finances publiques, qui s’est tenue ce mardi sous l’égide du Premier ministre, se voulait un moment inédit de "vérité budgétaire". Mais l’objectif affiché - ramener le déficit public sous les 4,9 % - résonne étrangement avec celui des Assises des finances publiques qui s’étaient tenues en juin 2023 et qui poursuivaient précisément le même cap, sans succès. Dès lors, la répétition de ces grands-messes budgétaires interroge : comment expliquer que ces conférences se succèdent sans résultat ? En quoi cet exercice atteint-il ses limites avec l’évolution du contexte géopolitique et économique ? Et à quelles conditions la conférence de cette année pourra-t-elle être une réussite et déboucher sur de réelles mesures d'économies ?

Des conférences budgétaires qui tournent à vide : le syndrôme de Pénélope

Les conférences budgétaires se succèdent dans un quasi-mimétisme. "Quasi" car la seule nouveauté de cette année réside dans la vocation résolument pédagogique de l’intervention du Premier ministre. N’apportant pas de réelle plus-value selon les principales forces d’opposition politique, il peut être souligné que de tels rappels sont toujours les bienvenus dans un pays où les lacunes en matière de culture économique sont incontestables. De même, il est bénéfique de rappeler comme cela a été fait qu’il n’existe aucun lien probant entre le niveau de la dépense et le "bonheur" des citoyens. En ses quelques mots simples, "dépenses maximales, moral minimal", le Premier ministre a cité de bon ton les multiples pays étrangers (Suède, Canada) qui ont dû diminuer leur dépense publique ou renforcer leur efficacité sous contrainte budgétaire tout en conservant des indicateurs de qualité de vie et de satisfaction citoyenne élevées.

Il est bénéfique de rappeler comme cela a été fait qu’il n’existe aucun lien probant entre le niveau de la dépense et le "bonheur" des citoyens.

C’est dans cet exercice pédagogique que la seule nouveauté se trouve. Autrement, les objectifs de la conférence des finances publiques de 2025 sont, mot pour mot, les mêmes que ceux des Assises convoquées par Élisabeth Borne deux ans plus tôt : "réduire le déficit" et "assurer la soutenabilité de la dette" tout en "associant les élus locaux et les parlementaires".

Les leviers d’économies identifiés sont également similaires. En 2023, une lettre de cadrage d’Élisabeth Borne invitait chaque ministre à identifier 5 % d’économies sur son budget. En 2025, François Bayrou sollicite également des remontées d’économies permises par une "réorganisation des administrations". Même constat sur le volet des finances locales : en 2023, la Première ministre proposait aux collectivités "une forme de contrat pluriannuel" offrant une visibilité accrue sur leurs dotations en échange d’économies immédiates. Deux ans plus tard, la ministre des Comptes publics reprend à l’identique cette idée pour mieux maîtriser la trajectoire des dépenses locales.

Dans ce contexte de répétition presque littérale des méthodes et des objectifs, le risque est de voir la conférence de cette année déboucher sur une impasse similaire à celle des Assises de 2023. À l’époque, l’Association des maires de France (AMF) s’était retirée des négociations pour contester les efforts demandés aux collectivités, ce qui avait conduit à ne retenir, in fine, qu’un engagement non contraignant - et non respecté - de réduction des dépenses locales. Cette année encore, l’AMF a quitté la table des discussions, dénonçant la trajectoire de 8 milliards d’euros d’économies pressentie dans le budget 2026. Globalement, ce sont toutes les annonces de "mesures structurantes" formulées par le Premier ministre qui risquent de subir le même sort que lors des Assises de 2023 : s’éroder progressivement au fil des arbitrages partisans et échanges entre représentants élus. L’exemple du prêt à taux zéro l’illustre : présentée aux termes des Assises comme une mesure forte susceptible de générer 2 milliards d’euros d’économies via son recentrage sur les zones tendues, le dispositif a finalement été élargi à l’ensemble du territoire et les maisons individuelles y ont été réintégrées. Chaque conférence semble ainsi tisser des intentions qui, en l’absence de consensus politique solide, sont défaites dès que surviennent les arbitrages concrets.

Jusqu’ici, l’exercice des conférences de finances publiques semble donc frappé de ce que l’on pourrait qualifier de "syndrome de Pénélope" : dans L’Odyssée, l’épouse d’Homère tisse chaque jour une tapisserie qu’elle défait la nuit afin de retarder le moment où elle devra enfin prendre une grande décision en choisissant un nouveau mari. À chaque conférence budgétaire, l’exécutif déploie les mêmes rituels : consultations, lettres de cadrage, commandes de rapports, mobilisation des inspections générales… pour mieux différer les décisions. La promesse d’un redressement budgétaire se répète, sans jamais se concrétiser autrement que par des ajustements mineurs.

Aller au-delà des ajustements mineurs

Cette difficulté à initier des ajustements structurants a conduit à vouloir fonder les principales mesures d'économies sur la seule hausse de l’efficience de la dépense, alimentées par les commandes répétées de rapports à des organes administratifs - revues de dépenses confiées aux inspections générales lors des Assises de 2023, groupes de travail annoncés lors de la conférence de cette semaine pour recenser les gisements d’économies.

Pourtant, les marges d’efficience existantes sont déjà largement connues. Le 14 avril, la Cour des comptes a ainsi publié la revue de dépenses sur l’assurance maladie, justement commandée lors des précédentes Assises. Les recommandations sont identiques à celles déjà formulées à maintes reprises : rationalisation des soins, encadrement des prescriptions, baisse du coût des médicaments. Certaines sont même bien antérieures : la deuxième recommandation de la Cour, qui propose de comparer les écarts territoriaux de dépenses de santé afin d’identifier d’éventuels gaspillages, reprend une idée formulée… en 2008 dans le rapport Attali, dont la décision n°266 appelait à définir des coûts standards par collectivité et par fonction pour repérer les sources d’inefficience.

Surtout, la soutenabilité de nos finances publiques implique désormais d’aller au-delà de seules mesures d’efficience de la dépense. Chaque année, les efforts à consentir montent en charge à mesure que les décisions plus structurantes sont différées : en 2023, Bruno Le Maire évoquait la nécessité de réaliser 10 milliards d’euros d’économies ; désormais, Éric Lombard évoque un effort quatre fois supérieur - chiffre qui constitue probablement un plancher, dans la mesure où il repose sur une hypothèse de croissance optimiste de 0,7 %. Le report des véritables ajustements d’une conférence budgétaire à l’autre ne paraît plus soutenable. Il se heurte en effet à la réactivation d’une contrainte structurelle plus profonde, que l’on peut qualifier de nouveau trilemme de la politique budgétaire française.

Le nouveau trilemme de la politique budgétaire

L’évolution du contexte financier et géopolitique a provoqué la réactivation d’une contrainte structurelle sur nos finances publiques, en forme de triangle d'incompatibilité. Dans la situation des finances publiques qui est la nôtre, il semble désormais presque impossible de concilier plus de deux des trois objectifs que sont le désendettement, le maintien de la faible efficience et du niveau des dépenses sociales - qui représentent plus de la moitié de la dépense publique - et le financement des investissements d’avenir, en particulier dans la défense.

Jusqu’ici, ce trilemme était en partie neutralisé par deux amortisseurs, à la fois politique et conjoncturel. D’une part, la compression discrète des investissements d’avenir suscitait peu de débat, dans la mesure où leurs effets sont différés et leur réduction peu coûteuse politiquement. D’autre part, un environnement financier exceptionnellement favorable - taux d’intérêt historiquement bas et politique monétaire accommodante - permettait de différer l’ajustement budgétaire sans menacer la soutenabilité de la dette.

La compression discrète des investissements d’avenir suscitait peu de débat, dans la mesure où leurs effets sont différés et leur réduction peu coûteuse politiquement.

Ces deux amortisseurs ont désormais cédé. La remontée des taux d’intérêt, conjuguée aux dérapages budgétaires des exercices 2023 et 2024, réactive la contrainte du désendettement. En parallèle, la dégradation du contexte géopolitique transforme l’investissement d’avenir en exigence stratégique, comme l'illustre la volonté de hausser les dépenses militaires de 49,5 milliards d’euros par an d’ici 2030 pour atteindre les 3 % du PIB.

Dans ce contexte, la réactivation du triangle d’incompatibilité budgétaire met un terme à l’illusion selon laquelle de simples coups de rabot ou des améliorations timides de l’efficacité de la dépense suffiraient à résoudre à terme la contrainte des finances publiques. Il ne s’agit plus seulement d’identifier des marges d’efficience à politiques constantes, mais d’arbitrer entre ces politiques mêmes en fonction d’une vision du contrat social, du rôle de l’État et des priorités collectives. En ce sens, ce nouveau triangle d’incompatibilité budgétaire impose une clarification : il oblige déjà à sortir d’une logique pernicieuse selon laquelle toute dépense publique sociale est forcément bonne pour notre société. Il incite ensuite à sortir de l’ambiguïté et à établir une hiérarchie explicite des finalités de l’action publique.

Sortir de la tentation des ajustements à la marge

La réactivation du trilemme budgétaire impose désormais des choix non plus incrémentaux, mais structurants. L’identification de marges d’efficience, invoquée lors des Assises comme levier central d’économies, est nécessaire mais plus suffisante. La revue de dépenses de la Cour des comptes sur l’assurance maladie précédemment citée identifie ainsi au total 19,4 milliards d’euros d’économies potentielles par des mesures d’efficience. Dans sa précédente note Finances publiques : la fin des illusions, l’Institut Montaigne avait même identifié pour près de 30 Md€ d’économies sur l’accroissement de l’efficience sur l’organisation de l’offre de soins. Mais, outre la difficulté à les mettre en place - certaines, on l’a vu, étant formulées depuis plus de vingt ans -, elles permettraient au mieux de stabiliser la dépense. Un tel effort serait bien insuffisant alors que les dépenses de santé, en progression de 5 % par an, ont atteint un niveau inégalé - encore supérieur à leur niveau de sortie de Covid.

C’est pourquoi fonder les conférences de finances publiques uniquement sur des rapports d’inspection ou des remontées ministérielles, sans portage politique ni hiérarchie explicite des priorités, ne peut suffire. Les revues administratives ne préconisent pas de mesures de périmètre : elles demeurent dans le cadre de leurs compétences en se concentrant sur l’efficacité de la dépense et non sur sa légitimité. Ainsi, sur la prise en charge des affections de longue durée (ALD), les recommandations de la Cour portent uniquement sur des ajustements techniques : par exemple, mieux distinguer les prescriptions relevant des ALD sur les ordonnances, sans toucher au niveau de prise en charge - intégrale - de ces pathologies, dont le coût total atteint 123 milliards d’euros par an.

Face à la dérive des comptes, seules des mesures de périmètre - touchant au niveau ou aux modalités de prise en charge - permettront à terme un redressement durable. À défaut, la conférence des finances publiques aboutira au même travers que les Assises de 2023 : d’un côté, des coups de rabot sur les gros postes budgétaires ; de l’autre, des économies marginales sur des dispositifs périphériques. Ainsi, l’une des mesures les plus concrètes mise en œuvre au terme des Assises fut l’instauration d’un ticket modérateur sur le compte personnel de formation - pour un montant économisé de 275 millions d’euros, sans commune mesure avec les besoins d’économies réelles. Il ne s’agit donc plus de préparer un nouveau coup de rabot uniforme, mais de redéfinir la légitimité et le périmètre de l’intervention de l’État dans nos politiques économiques et sociales.

Une telle inflexion suppose de rompre avec la croyance, encore répandue dans la classe politique, que des économies incrémentales suffiraient à restaurer l’équilibre budgétaire.

Une telle inflexion suppose de rompre avec la croyance, encore répandue dans la classe politique, que des économies incrémentales suffiraient à restaurer l’équilibre budgétaire. Les épisodes récents en témoignent. Le gouvernement Barnier a été censuré pour avoir maintenu la seule mesure réellement structurante : la désindexation partielle des retraites, qui devait générer 4 milliards d’euros d’économies.

Le gouvernement Bayrou, pour sa part, n’a pu faire adopter le projet de loi de finances 2025 à l’Assemblée qu’en renonçant à deux mesures clés : la stabilisation de l’ONDAM (un milliard d’euros) et le relèvement du ticket modérateur sur les soins et les médicaments (900 millions d’euros). Cette absence de consensus politique sur la consolidation budgétaire constitue désormais un facteur de risque à part entière. En février, l’agence Standard & Poor’s a placé la note de la France sous perspective négative, pointant explicitement le "faible soutien politique à la consolidation budgétaire" comme un élément majeur de fragilité.

La conférence des finances publiques ne pourra donc être considérée comme un succès que si elle dépasse l’exercice du partage du diagnostic et de la recherche de nouvelles mesures d’efficience, déjà largement documentées. Elle doit déboucher sur des décisions fortes sur le périmètre même de l’action publique, sans attendre une nouvelle dégradation de la note souveraine ou un choc exogène. Cela implique de prévoir des réformes structurelles claires, en particulier dans le champ des dépenses sociales. Sur les retraites par exemple, revenir sur l’abattement fiscal de 10 % sur le montant imposable des pensions permettrait de dégager 4,9 milliards d’euros. Une désindexation temporaire des pensions sur quatre ans - dans un contexte où le niveau de vie des retraités atteint 103 % de la moyenne nationale - rapporterait jusqu’à 30 milliards d’euros, comme le rappelait l’Institut Montaigne dans la note Finances publiques : la fin des illusions. De même, les finances locales devront contribuer à l’effort collectif : la conférence prévoit, à ce stade, une trajectoire de 8 milliards d’euros d’économies pour les collectivités territoriales. Là encore, il ne s’agira pas seulement de solliciter des ajustements à la marge, mais d’engager une réflexion de fond sur la répartition des compétences, des financements et des responsabilités.

De premières indications quant à l’ambition et au succès de cette nouvelle conférence des finances publiques apparaîtront début mai, à l’occasion de la présentation des remontées issues des administrations et des conclusions des échanges avec les parlementaires et représentants d‘élus. À défaut de ce sursaut politique, la conférence des finances publiques restera un épisode de plus dans une série bien monotone. Seule une rupture nette avec la logique de l’ajustement à la marge et l’acceptation de choix budgétaires structurels assumés permettront d’éviter que ces rendez-vous ne deviennent les marqueurs réguliers d’une impuissance publique de mieux en mieux documentée.

Copyright image : Alain JOCARD / AFP
François Bayrou et Éric Lombard, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique lors de la conférence sur les finances publiques le 15 avril 2025.

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