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04/04/2019

China Trends #1 - Réforme de l’OMC : une Chine réticente

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China Trends #1 - Réforme de l’OMC : une Chine réticente
 François Godement
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Asie et États-Unis

Introduction de China Trends #1 
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L'adhésion de la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 a marqué une étape décisive dans la réforme du pays et dans son ouverture à l’international. À la fin de la période transitoire de quinze ans, en décembre 2016, la Chine avait déjà pris son envol pour devenir la première puissance commerciale au monde. On comprendra facilement pourquoi certaines sources chinoises, décrites dans ce numéro de China Trends par Pierre Sel, reconnaissent les avantages pour la Chine, de son adhésion à l'OMC.
 
En 2017, Donald Trump est arrivé au pouvoir avec un programme visant à rétablir la prééminence de l'économie américaine. Les énormes déficits commerciaux de l’Amérique avec la Chine sont pour lui une cible évidente. Les Européens, comme le disent poliment les sources analysées par Mathieu Duchâtel, connaissent des "troubles de croissance" dans leurs relations avec la Chine, qui est désormais leur concurrente mondiale dans de nombreux secteurs.
 
L'économie chinoise, naguère "en développement", atteint désormais un niveau de revenus qui est celui d’un pays intermédiaire (près de 10 000 dollars américains de PIB par habitant en 2018), avec plusieurs centaines de millions de Chinois proches des niveaux de revenus européens. Pourtant, elle n'est pas devenue une économie de marché : l'État chinois y exerce toujours une influence majeure, et c’est une économie de commandement. Elle est encore marquée par un taux d'épargne considérable, captée par les banques d'État et à destination des entreprises d'État. C’est ce capital qui alimente la croissance et subventionne les industries de demain. Les sources chinoises que nous avons utilisées, décryptées ici par Viviana Zhu, sont bien conscientes des changements de perception de la part du monde extérieur. Pourtant, la Chine semble considérer son statut de pays en développement comme un droit inaliénable, qu’elle entend conserver sans appel grâce aux règles en vigueur à l’OMC. L'asymétrie des règles qu’offre ce statut est our elle une position inexpugnable.

Entre les lignes, nous comprenons que la Chine, certes pays "en développement", doit "prendre de nouveaux engagements".

C’est cette situation qui fait de l'OMC le "joyau de la couronne" chinois en matière d’institutions internationales. Mais on note une certaine prise de conscience de la nécessité d'un "ajustement". Mais quelles concessions la Chine est-elle prête à accepter ? Entre les lignes, nous comprenons que la Chine, certes pays "en développement", doit "prendre de nouveaux engagements". La mention des subventions et des entreprises d'État "dans certains pays" concerne bel et bien la réforme de l'OMC. Bien sûr, il ne faut pas attendre que des sources publiques révèlent la position de négociation chinoise sur une question aussi importante ; en la matière, l’ambiguïté est de mise.

À l'égard des Européens, les concessions envisagées semblent très limitées. On note bien la perspective d'une plus grande ouverture du marché, mais elle serait "contrôlée" et progressive, "strate après strate". Un expert suggère l’idée d’une coopération dans les pays tiers et davantage d'investissements greenfield (c’est-à-dire dans des capacités de production nouvelles) en Europe.
 
Plus généralement, si l'OMC est si précieuse pour la Chine, quel type de réforme cette dernière peut-elle proposer ou accepter pour sauver le système commercial multilatéral ? Dans un document daté de décembre 2018, qui synthétise la position de Pékin sur la réforme de l'OMC, la Chine apparaît sur la défensive et met à nouveau l'accent sur l'importance du statut de pays en développement. Les sources sur lesquelles nous nous appuyons sont sans équivoque sur ce que la Chine ne veut pas, mais restent énigmatiques quant à ce qu’elle pourrait accepter. Logiquement, dans une phase de négociations avec l'administration Trump, ces sources accordent peu de crédit aux menaces brandies par les Etats-Unis sur la possibilité d’une sortie américaine de l'OMC : ces menaces sont perçues comme une rhétorique vide de sens. Cela n’est pas sans faire écho aux fanfaronnades chinoises du printemps dernier, lorsque la Chine clamait que l'économie américaine pâtirait plus qu’elle-même des effets d’une guerre commerciale. Dans cette défense du statu quo à l'OMC, Pékin va même jusqu'à souligner les inconvénients d'un accord commercial bilatéral entre les États-Unis et la Chine : en effet, si la Chine faisait de grandes promesses d'importations et de réduction du déficit commercial vis-à-vis des Etats-Unis, cela violerait les règles de l'OMC et nuirait aux autres partenaires commerciaux, et parmi eux à l’Europe.
 
Bref, la Chine ne participera aux négociations sur la réforme de l'OMC qu’en partant d’une posture très conservatrice. Indirectement, cela n’est pas sans nous rappeler que les déclarations que la Chine émet à propos du multilatéralisme ne sont souvent qu’un mince vernis, sous lequel ce sont l'intérêt national et l'évaluation du rapport de force qui l’emportent. Cela ne doit pas étonner, mais en dit long sur la dureté des affrontements à venir sur le commerce mondial dans les années à venir.

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