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07/04/2021

Vietnam, un tournant sécuritaire pour la nouvelle équipe dirigeante

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Vietnam, un tournant sécuritaire pour la nouvelle équipe dirigeante
 Benoît de Tréglodé
Auteur
Responsable du domaine Afrique-Asie-Moyen Orient à l'IRSEM

Le 5 avril, le Vietnam a choisi les personnalités qui occuperont pendant les cinq prochaines années les quatre postes clés du pays : secrétaire général du Parti communiste vietnamien, Premier ministre, Président et président de l’Assemblée nationale. Ces désignations confirment par des votes à l’Assemblée nationale les décisions du Congrès du Parti. Benoît de Tréglodé, responsable du domaine Afrique-Asie-Moyen-Orient à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), décrypte pour nous ce que signifient ces nominations, du rapport du pays à la Chine et à la Russie au souci de préserver, au sein de la société vietnamienne, l’autorité qu’exerce le Parti. 

Au Vietnam, le 13ème congrès du Parti communiste vietnamien (PCV) a reconduit le secrétaire général du PCV Nguyên Phu Trong, malgré ses 77 ans et une santé fragile, pour un troisième mandat. À l’issue de la dernière session de l’Assemblée nationale de la 14ème législature (24 mars-8 avril), le pays s’est choisi une nouvelle équipe de dirigeants. Nguyên Xuân Phuc, l’ancien Premier ministre enorgueilli d’un flatteur bilan contre le Covid-19, a été élu président ; Pham Minh Chinh, président de la Commission centrale de l’Organisation du parti, Premier ministre et Vuong Dinh Hue, ancien secrétaire du parti de Hanoï, président de l’Assemblée nationale.

Que retenir de ces nominations ? À première vue, le Vietnam envoie un signal de continuité - et de fermeté. On attend du nouveau Premier ministre Pham Minh Chinh de poursuivre la voie de son prédécesseur Nguyen Xuan Phuc en matière de croissance économique et de réforme des institutions. Le pays entend diversifier ses partenaires commerciaux pour faire face à une dépendance économique croissante avec la Chine. En 2020, le Vietnam est le premier partenaire commercial de la Chine dans l'ASEAN, avec un volume des échanges bilatéraux atteignant 192,2 milliards de dollars - un chiffre en hausse de 18,7 %. Pékin est le troisième investisseur étranger du pays. Les Vietnamiens ont toujours recherché un équilibre entre les intérêts économiques, politiques et stratégiques des grandes puissances tout en adhérant pleinement, depuis le milieu des années 1990, à l’ASEAN.

Le 13ème congrès du PCV montre une tendance à un renforcement sécuritaire au sein de l’appareil d'État vietnamien.

Il n’en demeure pas moins que dans le contexte d’une montée en puissance de la rivalité sino-américaine dans la zone Indo-Pacifique, et plus directement en mer de Chine méridionale, le 13ème congrès du PCV montre une tendance à un renforcement sécuritaire au sein de l’appareil d'État vietnamien. La police, par l’intermédiaire de Pham Minh Chinh, général trois étoiles et ancien vice-ministre de la Sécurité publique, et du général Tô Lâm (ministre de la Sécurité publique a priori reconduit pour un second mandat), a gagné en représentativité dans l’appareil d’État.

Traditionnellement, le ministère de la Sécurité publique est une aile dure favorable à un maintien, si ce n’est à un renforcement, de la mainmise du Parti et des liens avec la Chine. Pour la première fois depuis la réunification du pays en 1976, le bureau politique, l’organe suprême du régime composé de 18 membres, compte pour un tiers des personnalités issues de ses organes de sécurité, dont quatre figures de la sécurité publique : Pham Minh Chinh, Tô Lâm et Phan Dinh Trac - ancien adjoint de Tô Lâm à la tête du ministère nommé responsable de la commission de sécurité du comité central - et Nguyên Hoa Binh, actuel procureur de la Cour populaire suprême.

De son côté, le ministère de la Défense dispose de deux représentants, une première depuis 2001 puisqu’habituellement, seul le ministre de la Défense siégeait, avec les généraux Phan Van Giang, nouveau ministre de la Défense, et Luong Cuong, président du Département général de la Politique de l’Armée. À cela il faut ajouter la décision prise en février, plutôt inattendue, de nommer le général Nguyen Trong Nghia à la tête de la Commission de la Propagande et de l'Éducation. Cet ancien vice-président du Département général de la Politique de l’Armée est surtout connu pour avoir été le premier patron de la force 47, la célèbre unité de 10 000 cyber-combattants du ministère. La rumeur court que ce dernier, originaire de Tien Giang (au sud du Vietnam), pourrait également devenir le 19ème membre du Politburo, ou tout au moins obtenir un poste de suppléant influent. La décision finale revient à Nguyên Phu Trong mais elle serait lourde de sens car elle aiderait à départager les prises de décision au sein de la plus haute instance du régime tout en réduisant la sous-représentation du sud du pays (3 membres sur 18), et en confortant par ce biais le pouvoir des acteurs sécuritaires. 

Au Vietnam, la priorité est à la consolidation de l'autorité du Parti dans un contexte de transformations de la société qui pourraient affaiblir son emprise. Deux défis majeurs menaceraient selon ses représentants la survie du Parti et du régime : "la présence de forces hostiles qui tentent de renverser le gouvernement et un risque de déclin idéologique chez les cadres, associés à une baisse de la confiance du peuple".

Depuis la réouverture du pays au début des années 1990, la Russie reste le premier partenaire du Vietnam en matière de sécurité. En mars, le Russe Nikolai Patrushev, secrétaire du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, a rappelé aux Vietnamiens lors de ses échanges à Hanoï avec Tô Lâm, le général de corps d’armée Phan Van Giang et Nguyên Phu Trong l’importance de la stabilité politique du Vietnam pour la Russie dans une région fragilisée par "l’émergence de nombreux troubles sociaux" (Myanmar, Thaïlande, Hong Kong).

La priorité est à la consolidation de l'autorité du Parti dans un contexte de transformations de la société qui pourraient affaiblir son emprise.

Au même moment, la police vietnamienne interpellait Le Trong Hung, l’un des 70 candidats indépendants aux élections législatives prévues en mai, pour propagande contre l’État ; dans sa campagne, le Vietnamien demandait la création d’un Tribunal constitutionnel et l’adoption des lois relatives aux manifestations et à la surveillance du peuple. 

Il faut se souvenir que depuis 2016, date du début du second mandat de Nguyên Phu Trong à l’occasion du 12ème congrès du PCV, le ministère de la Sécurité publique avait opté en toute discrétion pour un renforcement de ses partenariats avec les organes de sécurité chinois. Si les deux pays n’hésitent pas à s’affronter chroniquement sur les dossiers maritimes en mer de Chine méridionale, les enjeux de la stabilité sociale et l’avenir de la place du Parti au sein de leur société les rapprochent. Quelques jours après la clôture du 13ème congrès, le ministre chinois de la Sécurité publique Zhao Kezhi était à Hanoï pour coprésider, avec son homologue Tô Lâm, la 7ème conférence de la coopération dans la prévention et la lutte anti-criminalité. Au cours de sa visite, le Chinois s’est entretenu avec plusieurs semaines d’avance avec la plupart des grandes figures de la nouvelle direction. 

Au Vietnam, le parti communiste a la responsabilité de garantir les intérêts légitimes du pays, tout en profitant du développement de la Chine. Le choix de Pham Minh Chinh comme nouveau Premier ministre confirme cette incapacité des Vietnamiens de céder pleinement aux appels de l’Indo-Pacifique. On estime qu’à part Nguyen Phu Trong, Pham Minh Chinh est le dirigeant qui a le plus de connexions avec la Chine. Il y a beaucoup de spéculation autour de cette personnalité, certains prédisant déjà qu’il viserait à terme de succéder à Nguyên Phu Trong en cas d’ennuis de santé de ce dernier. On lui prête également des positions pro-chinoises après que ce dernier a soutenu des projets de co-exploitation en Chine et en Mer de Chine méridionale et la création des zones économiques spéciales dans le pays. Rappelons que Pham Minh Chinh, alors jeune officier du renseignement, avait été envoyé en poste à Bucarest au printemps 1989 pour observer les effets des contestations populaires en Europe de l’Est sur les pouvoirs communistes de la région. Et si l’on observe la liste des postes occupés par ce dernier tout au long de sa carrière au sein du ministère de la Sécurité publique, le futur Premier ministre n’a eu de cesse de diriger des structures de renseignement (humain mais également économique) spécialisées dans la défense des intérêts stratégiques nationaux. Au Vietnam, la nouvelle équipe dirigeante fait du contrôle de sa population une priorité politique tout en tâchant de répondre aux aspirations consuméristes du peuple dans un contexte économique qui lui est favorable. Le PCV engage un combat pour l’avenir du régime en insistant sur la dimension "économique" de sa mission, tout en assurant les postes clefs de l’appareil à ses acteurs sécuritaires.

 

 

Copyright : NHAC NGUYEN / AFP

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