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19/01/2018

Trump : année 1. Trois questions à Jérémie Gallon

Trump : année 1. Trois questions à Jérémie Gallon
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Un an après l’investiture de Donald Trump, comment les Américains réagissent-ils à ce mandat présidentiel pour le moins inhabituel, et quel impact a-t-il sur l’ensemble du pays ? Jérémie Gallon, Directeur Général d’AmCham et Senior Fellow à l’Atlantic Council, répond à nos questions.

Un après l’investiture de Donald Trump, quel est le bilan de santé démocratique des Etats-Unis ? Pour ceux qui auraient voté pour Trump ou qui se seraient abstenus, y-a-t’il des éléments qui montrent qu’ils feraient un choix différent aujourd’hui ? 

Au-delà des tweets et des déclarations fracassantes du Président Trump, il est intéressant d’observer que les contre pouvoirs, notamment l’institution judiciaire et le Congrès, ont jusqu’à présent bien fonctionné aux Etats-Unis. 

Si l’on prend l’exemple du décret anti-immigration pris par le Président Trump en janvier 2017, on constate qu’il a été immédiatement bloqué par plusieurs juges fédéraux. Quant au Congrès, il a joué un rôle important dans le champ de la politique étrangère. Il a ainsi imposé de nouvelles sanctions économiques à l’égard de la Russie contre l’avis de Trump. Le système des "checks and balances", tel qu’il a été voulu par les Pères Fondateurs, tient donc le choc. 

Il est également important de souligner que les Etats américains, les médias, les entreprises et l’ensemble de la société civile américaine font preuve d’une grande vitalité et continuent de profondément influencer le débat public. Le quatrième pouvoir est totalement revigoré, comme l’illustrent les records de ventes battus par le New York Times

En tant que Français, cela nous amène d’ailleurs à nous interroger sur les conséquences de l’élection d’un Trump à la Présidence de la République. Aurions-nous en France des contre pouvoirs aussi efficaces ? Les médias français auraient-il la liberté de ton et les capacités d’investigation qu’ont le Washington Post, CNN et bien d’autres médias américains ? Nos collectivités territoriales seraient-elles capables de constituer un contre pouvoir autonome financièrement et efficace face à un Etat tout puissant ? Notre appareil judiciaire serait-il indépendant de l’exécutif ? Autant de questions sur lesquelles le doute est permis.

Si les contre pouvoirs fonctionnent bien aux Etats-Unis, il n’en demeure pas moins que la radicalisation du débat public est inquiétante. Il y a un climat de violence verbale, notamment à l’encontre des médias, qui témoigne d’une société rongée par de très fortes tensions. 

Par ailleurs, la démocratie américaine demeure affaiblie par des problèmes structurels qui sont bien antérieurs à la présidence de Trump. Le premier est la polarisation croissante de la vie politique américaine. Nous sommes bien loin du temps où le leader démocrate de la Chambre des Représentants, Tip O’Neill, concluait des accords avec le président Reagan autour d’un Bourbon, pris tard le soir, dans le Bureau Ovale. Il n’y a désormais presque aucun sujet sur lesquels les Démocrates et les Républicains peuvent s’accorder ou ne serait-ce que dialoguer et travailler ensemble. 

Cette polarisation de la vie politique est intimement liée à un autre problème majeur : l’omniprésence de l’argent et son effet dévastateur pour la démocratie américaine. Les responsables politiques américains sont devenus de plus en plus dépendants d’intérêts privés. Certaines études ont d’ailleurs montré que les membres du Congrès passent désormais plus de 60 % de leur temps à lever de l’argent. 

En ce qui concerne l’électorat de Trump, je suis frappé de constater que sa base lui demeure très fidèle. Malgré toutes les controverses, il continue de séduire près de 80 % des Républicains. Si beaucoup d’analystes anticipent des élections de mi-mandat difficiles pour le parti Républicain, je demeure convaincu que le rejet anti-Trump ne suffira pas à lui seul aux Démocrates pour revenir à la Maison Blanche en 2020. Il est désormais essentiel pour eux de proposer de nouvelles idées et de faire émerger une nouvelle génération de leaders. Le parti Démocrate a en son sein de jeunes talents comme Kamala Harris, sénatrice de Californie, Cory Booker, sénateur du New Jersey, ou Pete Buttigieg, maire de South Bend dans l’Etat très conservateur de l’Indiana. Mais ils ne sont pas encore assez visibles.

On sait les positions prises par Trump sur l’Accord de Paris. Reflètent-elles l’avis majoritaire des citoyens et des entreprises américaines ou y a-t-il également une prise de conscience plus large désormais aux Etats-Unis ?

Lorsque Trump a annoncé le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris, beaucoup d’entreprises américaines ont immédiatement exprimé leur profond désaccord avec cette décision et en ont profité pour réaffirmer leurs engagements en matière environnementale. Il était frappant d’observer que ces entreprises appartiennent à tous les secteurs de l’économie et sont souvent à la pointe de l’innovation en matière de lutte contre le réchauffement climatique. 

Par ailleurs, 15 gouverneurs démocrates et républicains, dont les Etats représentent un tiers de la population américaine et près de 40 % du PIB des Etats-Unis, ont annoncé qu’ils allaient poursuivre les objectifs fixés par les accords de Paris. Ils ont été rejoints dans leur démarche par des centaines de maires, notamment ceux des plus grandes métropoles américaines. Cela est une autre illustration de la force des contre pouvoirs aux Etats-Unis

Cela prouve également que la lutte contre le réchauffement climatique et l’ "écologisation" de l’économie ne dépendent pas uniquement d’un leader politique, aussi puissant soit-il. Ce sont des combats de long terme qui impliquent tous les acteurs de la société civile. Le Président Macron l’a d’ailleurs parfaitement compris comme l’illustre la tenue récente du One Planet Summit à Paris. Je suis par ailleurs convaincu que c’est en continuant à tisser des liens avec les entreprises américaines et les Etats américains impliqués dans ces combats que la France et l’Europe parviendront à convaincre les Etats-Unis de revenir dans l’accord de Paris. 

Il n’en demeure pas moins que le fait que la base électorale de Trump ait soutenu la sortie des Etats-Unis de l'Accord de Paris doit interpeller nos élites économiques et politiques. Beaucoup d’électeurs de Trump sont en effet des femmes et des hommes qui ont le sentiment que la lutte contre le réchauffement climatique se fait au détriment de leurs emplois. C’est par exemple le cas dans les anciennes régions minières de la Virginie-Occidentale. Il est donc urgent de trouver les solutions pour démontrer à ces populations, qui ont déjà le sentiment d’avoir été les grands perdants de la mondialisation, que le combat écologique ne se fera pas à leur insu.  

Économiquement, les Etats-Unis se portent plutôt bien, mais ils connaissent des tensions importantes – sociales et ethniques notamment. Comment la situation a-t-elle évolué durant cette première année ? 

Revenons légèrement en arrière. Lorsqu’il a été élu en 2008, Barack Obama a trouvé un pays dévasté par la crise financière. Des millions d’Américains venaient de perdre leurs maisons et leurs emplois. Beaucoup ont aujourd’hui tendance à l’oublier mais, avec l’appui de son secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, il a su redresser l’économie américaine en un temps record. La croissance est revenue et le chômage n’a cessé de baisser pour atteindre 4,6 % à la fin de son second mandat. 

Le problème est que cette embellie économique s’est accompagnée, comme cela était déjà le cas depuis plusieurs décennies aux Etats-Unis, d’un accroissement des inégalités. Parce que les indicateurs macro-économiques étaient bons, les élites de la Côte Est et de la Côte Ouest n’ont pas vu - ou n’ont pas voulu voir - qu’une grande partie de l’Amérique souffrait de plus en plus. 

Cette Amérique, c’est celle des Etats du Sud, des anciennes régions minières des Appalaches, ou de la Rust Belt frappée de plein fouet par la désindustrialisation. Une Amérique où, comme l’a montré l’économiste Angus Deaton, la mortalité chez les Américains blancs d'âge moyen a recommencé à augmenter sous l’effet combiné de l’alcoolisme, des overdoses et d’un nombre croissant de suicides. C’est cette Amérique, où le désespoir social est immense, que décrit de manière superbe J.D. Vance dans son roman intitulé "Hillbilly Elegy". C’est cette Amérique qui a voté massivement en faveur de Trump. 

Depuis l’arrivée de ce dernier à la Maison Blanche, le chômage a en effet continué de baisser et la Bourse a atteint des sommets. Néanmoins, les inégalités ont également continué de se creuser, la crise des opiacés continue de faire des ravages et la colère de l’ "Amérique oubliée" demeure très vive. C’est donc un vrai défi pour l’administration Trump de ne pas se satisfaire de bons indicateurs macro-économiques mais au contraire d’essayer d’apporter enfin des réponses à celles et ceux qui ont le sentiment d’être les perdants de la mondialisation. 

Par ailleurs, les Etats-Unis sont, comme de nombreuses démocraties d’Europe occidentale, rongés par des tensions identitaires et raciales très fortes. Ces tensions existaient bien avant l’arrivée de Trump à la Maison Blanche. Le mouvement "Black Lives Matter" s’est ainsi développé très fortement à partir de 2013 pour dénoncer le racisme systémique envers la population afro-américaine ainsi que les violences policières. 

Mais il est bien évident que la rhétorique très agressive de Donald Trump, aussi bien lorsqu’il était candidat que depuis son accession à la Maison Blanche, ainsi que la radicalisation du débat public, n’ont pas permis à ces tensions de s’apaiser. Nous voyons au contraire des tensions sociales et ethniques grandir et certains démons du passé, notamment à travers le mouvement suprémaciste blanc, revenir sur le devant de la scène. 
 

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