Les gouvernements doivent-ils s’inquiéter de l’augmentation de la dette ?
Y aura-t-il un moment où l’on se demandera "qu’avons-nous fait ?" ? C’est en tout cas ce qui s’est produit pendant la crise financière en Europe : après s’être lancés dans une politique d’expansion budgétaire majeure, les gouvernements se sont inquiétés de la forte augmentation de la dette et sont passés à une politique d’austérité budgétaire qui a probablement ralenti la reprise.
Supposons qu’en raison des déficits mais également de la baisse de la production, les ratios dette publique-PIB augmentent cette fois-ci de, disons, 30 % du PIB (le calcul ci-dessus suggère des chiffres plus faibles), les gouvernements doivent-ils s’inquiéter ? Et si oui, doivent-ils concevoir des mesures budgétaires moins importantes aujourd’hui, peut-être en s’appuyant davantage sur des prêts que sur des subventions aux ménages et aux entreprises ? Pour répondre à cette question, nous devons faire la distinction entre les économies développées, et les économies émergentes et en développement.
Dans les économies développées, la dette doit rester viable, à moins que nous ne perdions la bataille contre le virus et dans ce cas, la viabilité de cette dette ne sera que de très faible importance. Avant la crise du Covid-19, j’avais affirmé que des taux d’intérêt faibles et peu volatiles impliquaient que les niveaux d’endettement plus élevés étaient viables, mais également que le coût en bien-être d’une dette plus élevée pour les générations futures était faible. Cela signifiait que les gouvernements des pays développés ne devaient pas hésiter à enregistrer des déficits si, compte tenu des contraintes pesant sur la politique monétaire, ces déficits étaient nécessaires au maintien de la production à son niveau potentiel. Or nous nous trouvons aujourd’hui face à cette nécessité. Et les taux d’intérêt seront probablement encore plus bas à l’avenir qu’ils ne l’étaient avant la crise Covid-19. L’épargne de précaution pourrait être plus élevée et l’incertitude pourrait freiner l’investissement privé, ces deux facteurs signifiant un taux neutre plus bas pendant encore longtemps5.
Après avoir soutenu que la marge de manœuvre budgétaire des économies développées est considérable, je suis beaucoup moins optimiste quant aux économies émergentes et en développement. Nombre d’entre elles étaient déjà en difficulté avant la crise du Covid-19. Elles ont été touchées non seulement par le virus, mais également par la chute des prix des matières premières (si elles sont exportatrices) et les sorties massives de capitaux des investisseurs qui ont besoin de liquidités dans leur pays. Certaines de ces économies ne disposent pas de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour réagir à ces chocs combinés et elles auront besoin d’aide, sous forme de subventions, pour lutter contre le virus, et de programmes d’ajustement pour s’adapter aux autres chocs. Aider les économies émergentes et en développement est un enjeu majeur et urgent, non seulement dans leur propre intérêt, mais aussi pour l’évolution de la pandémie et donc pour le reste du monde. Il est difficile pour les économies développées d’être généreuses alors qu’elles font face à la crise chez elle. Mais il est essentiel qu’elles le soient.
Pour conclure, je pense que "quoi qu’il en coûte" signifie dépenser autant que nécessaire pour combattre le virus et éviter la faim et les faillites. Être prêts et déterminés à dépenser plus si la demande ne se redresse pas, mais en gardant les options ouvertes. Et, du moins pour les économies développées, ne pas s’inquiéter de l’augmentation de la dette qui en résulte.
Copyright : Christof STACHE / AFP
1C’est peut-être le bon moment de réexaminer la proposition de Michael Kremer sur la façon de récompenser la recherche dans un contexte similaire.
2Selon un sondage de la Réserve fédérale américaine réalisé en 2018, seulement 61 % des personnes interrogées auraient suffisamment de liquidités pour faire face à une dépense imprévue de 400 dollars. Selon une étude réalisée en septembre 2019 par le JPMorgan Chase Institute, la moitié des petites entreprises américaines disposent de moins de 15 jours de trésorerie.
3Selon une estimation rapide de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la production française en mars 2020 (quand la France est passée en confinement strict) a été inférieure de 35 % à la normale.
4Les grands programmes d’investissement public, aussi nécessaires soient-ils, ne sont pas le bon instrument pour relever le défi qui se pose.
5Comme je l’ai expliqué dans un autre billet sur la dette italienne, les marchés des obligations souveraines sont exposés à de multiples équilibres. Avec un taux peu volatile, la dette est sûre. Mais si les investisseurs commencent à s’inquiéter et augmentent les écarts, la dette peut en effet devenir dangereuse, et les inquiétudes des investisseurs se réaliser d’elles-mêmes. Dans les économies développées, ce mauvais équilibre peut être éliminé par l’engagement de la banque centrale à maintenir le taux bas.
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