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24/08/2018

Qui est Imran Khan, nouveau Premier ministre pakistanais ? 3 questions à Christophe Jaffrelot

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Qui est Imran Khan, nouveau Premier ministre pakistanais ? 3 questions à Christophe Jaffrelot
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Sorti vainqueur des élections générales qui se sont tenues en juillet dernier au Pakistan, Imran Khan, ancienne star du cricket, a pris la tête samedi 18 août d’un gouvernement de coalition. Il a prononcé le lendemain son premier discours en tant que Premier ministre, présentant sa vision d’un “nouveau Pakistan”. Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CERI-Sciences Po/CNRS, professeur invité à King’s College London, nous livre son analyse.

Qui est Imran Khan, le nouveau Premier ministre Pakistanais, qui a prêté serment samedi 18 août dernier ?

Imran Khan a successivement été connu comme le capitaine de l’équipe de cricket du Pakistan ayant remporté la première coupe du monde du pays en 1992, un philanthrope qui a notamment créé un hôpital pour cancéreux et finalement un homme politique à l’origine, en 1996, d’un parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI - Mouvement pakistanais pour la justice). 

A la tête du PTI, la lutte contre la corruption de la classe politique a été son principal cheval de bataille. Il a également fait preuve d’un virulent nationalisme anti-américain lorsque les Etats-Unis ont multiplié les frappes de drones à la fin des années 2000. Populiste, il combine des traits idéologiques contrastés. Il a hérité d’une image moderne, voire cosmopolite, du fait de sa carrière sportive et d’un premier mariage avec la fille de Jimmy Goldsmith. Mais il a ensuite redécouvert l’islam et défend la charia. Sa troisième épouse, qu’il considère comme son guide spirituel, porte un voile qu’aucune autre Première dame du Pakistan n’a jamais arboré.     

Dimanche 19 août dernier, Imran Khan a prononcé son premier discours en tant que Premier ministre. Quels sont les principaux enjeux auxquels il devra faire face au cours de son mandat ? 

L’urgence de l’heure est financière : le Pakistan est au bord de la banqueroute. Or se tourner vers le FMI, comme il y a 5 ans, est difficile car les Etats-Unis - dont la voix y est importante - ont déjà fait savoir que toute ligne de crédit serait conditionnée à une présentation au FMI des termes de la dette déjà contractée par Islamabad auprès de la Chine. Ni Pékin, ni surtout Islamabad ne souhaitent cependant rendre publiques des informations qui révèleraient combien le Pakistan a aliéné sa souveraineté en acceptant de participer à la Belt and Road Initiative, par laquelle les Chinois entendent notamment réhabiliter la “route de la soie”. Si le FMI n’est pas sollicité, les Chinois feront peut-être un effort. Le Pakistan se tournera également sans doute vers l’Arabie saoudite, mais cela donnerait à Riyad un argument de plus pour exiger des Pakistanais qu’ils participent à la guerre au Yémen (ce qu’Islamabad refuse de faire pour ne pas indisposer son voisin iranien). Imran Khan, à peine arrivé au pouvoir, est confronté à une question financière qui est, en fait, lourde d’implications géopolitiques.   

Un autre enjeu majeur concerne l’Afghanistan, où les Talibans ne cessent de progresser (ils contrôlent maintenant 40 % du pays) et où Daech s’efforce d’exister par des coups d’éclat. Le Pakistan tient à participer aux négociations que les grandes puissances - à commencer par la Russie - cherchent à mener pour rétablir la paix dans le pays. Imran Khan a, jadis, été désigné par certains groupes Talibans comme un interlocuteur légitime. Mais trouver un accord qui convienne à toutes les parties sera difficile, car Ashraf Ghani, le Président afghan, va vouloir éviter que le Pakistan n’exerce une trop grande influence sur son pays et l’Inde - avec l’Iran - va s’efforcer de l’y aider, en apparaissant comme un partenaire de Kaboul, ce que l’armée pakistanaise voit d’un très mauvais oeil.

Au plan intérieur, la montée de l’islamisme reste un défi, comme les élections récentes l’ont confirmé. Pour la première fois, des groupes extrémistes proches de l’armée avaient été invités à se normaliser en jouant le jeu électoral. Certains de leurs candidats ont obtenu des scores remarqués, témoignant notamment d’une radicalisation d’un courant de l’islam pakistanais, les Barelwis, qui était jusque-là plutôt modéré. Si Imran Khan partage certaines des idées des groupes islamiques, il ne peut que s’inquiéter des tensions que la montée de l’islamisme pourrait engendrer, notamment entre Sunnites et Chiites (qui constituent 20 % de la population environ).            

Le Premier ministre Pakistanais a appelé à un dialogue renouvelé avec l’Inde. Quel est l’état actuel des relations et des échanges entre les deux puissances voisines ?

Les relations entre les deux pays sont au plus bas depuis deux ans, comme en témoigne le nombre record de violations du cessez-le-feu qu’on enregistre au Cachemire, à l’origine de victimes civiles et militaires dont personne ne parle. Un réchauffement des relations entre les deux pays est très improbable. 

  • D’un côté, Narendra Modi, le Premier ministre indien, entre en campagne (les élections générales devraient avoir lieu au Printemps). Il a fait de l’image de fermeté qu’il a acquise vis-à-vis du Pakistanl’un de ses atouts électoraux, et fera tout pour le conserver. 

  • D’un autre côté, Imran Khan sera très prudent. Après tout, c’est parce qu’il a voulu faire la paix avec l’Inde que son prédécesseur, Nawaz Sharif, a perdu la confiance de l’armée, dont le pouvoir est immense au Pakistan et qui ne veut en aucun cas normaliser les relations bilatérales : en perdant cet ennemi, l’armée perdrait sa principale raison d’être et peinerait à justifier son budget colossal. En réalité, Imran Khan est aujourd’hui à la tête du pays car les militaires souhaitaient remplacer Sharif et n’ont trouvé personne d’autre ! Il va lui être fort difficile de s’émanciper de cette tutelle, surtout lorsqu’il sera question du dossier indien.



 

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