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09/04/2020

Orban ou la démocratie sous respirateur au temps du Covid-19

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Orban ou la démocratie sous respirateur au temps du Covid-19

On ne sait pas si Viktor Orban a lu Machiavel, mais il a retenu une leçon importante de l’auteur du Prince : une crise peut fournir une opportunité pour étendre son emprise sur le pouvoir, sur tous les pouvoirs. C’est précisément ce qu’a fait le Premier ministre hongrois en faisant adopter le 30 mars par le Parlement, où son parti, le Fidesz, a une majorité des deux tiers, une "loi sur la protection contre le coronavirus" qui lui permet de gouverner par décret pour une durée illimitée. Certes, d’autres pays en Europe ont adopté des "états d’urgence", mais ce sont des dispositifs encadrés, clairement définis et pour une durée déterminée. Dans le cas hongrois, il n’y a ni contre-pouvoirs judiciaires ou institutionnels, ni limite dans le temps. Un ancien ministre de la justice (2002-2004), Peter Barandy, déclarait au lendemain de l’adoption de la loi à Budapest que "l’Assemblée nationale n’existe plus, son fonctionnement n’est plus qu’une illusion". Il n’y a plus de contre pouvoirs et ce qui restait des médias indépendants est clairement menacé par la nouvelle loi, qui prévoit des sanctions allant jusqu’à cinq ans de prison pour "déformation des faits" ou atteintes à l’"efficacité de la protection" contre le virus.

Il y a une décennie, Orban avait utilisé la crise pour s’ériger en protecteur des Hongrois des effets de la mondialisation et de la crise financière. En 2015, il fit construire une clôture à la frontière avec la Serbie pour protéger le pays d’une "invasion" des migrants et remporta les élections sur ce thème. Aujourd’hui, pour protéger la Hongrie du coronavirus, il s’arroge les pleins pouvoirs et parachève la dérive de son pays vers un régime autoritaire.

Le dernier classement du World Press Freedom Index plaçait la Hongrie à la 87e place. C’était avant l’adoption de la nouvelle loi qui instaure une forme de censure d’État sur les médias.

La tendance n’est pas nouvelle. Le parti Fidesz, au pouvoir depuis dix ans, s’était d’abord attaqué à l’État de droit, à la nomination des juges à la Cour constitutionnelle et plus généralement à la séparation des pouvoirs. Dans le même temps, le Fidesz avait pris le contrôle de l’audiovisuel public, puis, par l’entremise d’oligarques proches du pouvoir, sur ce qui restait de publications indépendantes. Le dernier classement du World Press Freedom Index plaçait la Hongrie à la 87e place. C’était avant l’adoption de la nouvelle loi qui instaure une forme de censure d’État sur les médias.

Ainsi, la crise actuelle et les pleins pouvoirs à son gouvernement ont permis à Viktor Orban de franchir un pallier dans une dérive qui va de ce qu’il appelait en 2014 la "démocratie illibérale" vers un régime "autoritaire électoral", une première au sein de l’UE.

Quelle réaction des autres pays de Visegrad ?

La loi d’exception votée par Orban a suscité des réactions au sein de l’UE, mais peu ou pas en Europe centrale. On n’imite pas, mais on ne condamne pas. Tous les chefs de gouvernement dans le Groupe de Visegrad ont décrété un état d’urgence, sauf la Pologne. En Pologne, c’est l’opposition qui, au nom de l’urgence sanitaire, réclame le report d’une élection présidentielle prévue début mai. La campagne est de fait suspendue à cause de l’interdiction de rassemblement, mais le PiS de Kaczynski a décidé de passer outre et a fait voter le 6 avril une modification du code électoral introduisant la généralisation du vote par correspondance. Il ne faut pas que le Covid-19 ne compromette la réélection qui semblait assurée du Président Duda. D’autant que les effets économiques en Europe centrale de la récession qui s’annonce à l’Ouest pourraient aussi changer la donne politique.

Deux traits communs aux pays du Groupe de Visegrad méritent d’être mentionnés. D’abord, ces pays sont aujourd’hui beaucoup moins touchés par l’épidémie que l’Europe occidentale et surtout le Sud. Ils l’attribuent à la fermeture précoce de leurs frontières (de même que l’Autriche), y compris aux autre pays de l’UE et aux mesures sévères introduites. D’Ouest en Est, on peut observer une gradation des "libéraux" (Grande Bretagne) aux "rigoristes" (Europe Centrale) avec la France dans une position intermédiaire.

Le deuxième constat provisoire, c’est qu’en temps de crise (migratoire ou sanitaire), l’Europe est absente et qu’il est préférable de prendre les devants. Certains comme Orban, mais aussi Vucic à Belgrade, en tirent des conclusions géopolitiques. Alors que Bruxelles interdisait l’exportation des respirateurs en dehors de l’UE, le président serbe déclarait : "la solidarité européenne est un conte de fées", à la différence de l’aide chinoise ou russe. Orban, dans la même veine, déclarait le 27 mars : "En ce qui concerne l’aide liée au coronavirus, la Hongrie a reçu le soutien de la Chine et du Conseil Turc" (association de pays turcophones). Les retombées politiques de la pandémie dans les perceptions centre-européennes de l’Union ne seront pas négligeables.

Orban s’est arrogé les pleins pouvoirs persuadé que, dans l’urgence sanitaire, les Européens regarderaient ailleurs, sans voir que la démocratie hongroise au temps du Covid-19 a été placée sous respirateur.

Tandis que Viktor Orban constatait l’inefficacité de la réponse de l’Europe au Covid-19, il fut semble-t-il surpris par la rapidité de la réponse européenne. Réaction prudente au lendemain du vote de la loi donnant les pleins pouvoirs à Orban de la part d’Ursula von der Leyen qui, le 31 mars, rappelait le souci de préserver les droits fondamentaux et les valeurs démocratiques sans toutefois mentionner la Hongrie. Le président du Parlement européen, Davide Sassoli, demandait le lendemain que la Commission évalue si la nouvelle loi hongroise était compatible avec l’article 2 du Traité de l’Union avant d’ajouter : "Pour nous, les parlements doivent rester ouverts et la presse doit rester libre. Personne ne peut s’autoriser à utiliser la pandémie pour saper nos libertés".

La réponse européenne à la crise du Covid-19 a révélé la persistance d’une division Nord-Sud apparue au lendemain de la crise financière il y a plus d’une décennie. Les réactions politiques des pays membres ont plutôt révélé une différence Est–Ouest. La déclaration des ministres des Affaires étrangères a rallié 16 pays et exprime bien que "les mesures d’urgence doivent être limitées au strict nécessaire, proportionnées et limitées dans les temps". Elle ne mentionne pas non plus la Hongrie, mais personne ne s’y est trompé. À commencer par les pays du Groupe de Visegrad qui, comme pour l’usage de l’article 7 par la Commission, n’ont pas signé, réticents à sanctionner Orban car craignant qu’un jour eux-mêmes puissent être pointés du doigt.

C’est finalement au PPE que se décide véritablement le sort de la "question hongroise" pour l’Europe. Le Fidesz en a été suspendu l’an dernier, et malgré le nouveau pas franchi par Orban dans sa dérive autoritaire, le PPE reste divisé entre les adeptes de la suspension et ceux de l’expulsion. Manfred Weber, qui dirige le groupe au Parlement européen, semble rester sur sa position de longue date de protecteur indulgent du leader hongrois. Treize partis membres du PPE (Nordiques, Benelux, Grèce et la Plateforme civique polonaise à l’initiative de Donald Tusk) ont demandé l’expulsion du Fidesz. À l’inverse, la CDU/CSU ainsi que Les Républicains en France pensent qu’il est urgent d’attendre. Orban a beau jeu de répondre à la direction du PPE : "Votre discussion, en pleine pandémie, est un luxe que je ne peux me permettre". Orban s’est arrogé les pleins pouvoirs persuadé que, dans l’urgence sanitaire, les Européens regarderaient ailleurs, sans voir que la démocratie hongroise au temps du Covid-19 a été placée sous respirateur.

 

Copyright : FERENC ISZA / AFP

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