Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
15/02/2018

Les paradoxes de la "révolution verte" chinoise

Imprimer
PARTAGER
Les paradoxes de la
 Institut Montaigne
Auteur
Institut Montaigne

Que retenir des suites de l’accord de Paris sur le climat ? Si le désengagement des Etats-Unis sous l’impulsion de Donald Trump est sans doute l’événement qui a le plus suscité de réactions, pour les spécialistes du climat, un autre phénomène pourrait avoir encore plus d’importance : l’engagement de la Chine sur les questions environnementales.
 
Il serait tentant de réduire l’intérêt de la Chine pour le sujet écologique à une opportunité géopolitique : profiter du désengagement de l’Amérique de Trump pour devenir la puissance incontournable en matière de technologies vertes. C’est en effet l’objectif affiché des dirigeants chinois qui profitent de la déroute de l’Amérique sur la question.
 
Néanmoins, réduire à ce point le débat serait passer à côté d’une tendance réelle : depuis plusieurs années, la Chine multiplie les mesures en faveur des énergies renouvelables. L’année 2013 est vue comme un tournant dans la politique chinoise : l“airpocalyspe” à Pékin (une pollution de l’air sans précédent) provoque alors l’ire de la classe moyenne urbaine et force le gouvernement à réagir. Xi Jinping doit annoncer des mesures d’urgence. La qualité de l’air ne s’améliorera pas de manière visible, mais l’environnement est officiellement reconnu comme un problème majeur, au même titre que d’autres politiques chinoises historiques telles que la lutte contre la pauvreté. Selon les mots du pouvoir central lui-même, "la guerre contre la pollution" est déclarée.
 
En effet, il ne faut pas sous-estimer les pressions dont le pouvoir central de Xi Jinping fait l’objet : l’écologisme est passé d’une cause marginale principalement portée par les paysans - dont l’environnement avait été affecté par l’industrialisation - à un problème de santé publique majeur, affectant la classe moyenne urbaine chinoise qui, plus organisée, a pu faire pression de manière efficace sur le pouvoir. Illustrant ce propos de façon concrète, la Chine comptait en 1994 seulement huit ONG environnementales officielles, contre plus de 8 000 aujourd’hui. La population civile est plus sensibilisée aux questions d’environnement et d’écologie, ce qui marque un vrai tournant que le gouvernement central de Xi Jinping a dû prendre en compte.

Des efforts…

Reflétant cette pression, beaucoup des efforts environnementaux chinois se concentrent sur la qualité de l’air dans les grands centres urbains, notamment à Pékin. Les particules fines PM 2,5, les plus meurtrières (car les plus fines), tuent 1,6 million de personnes chaque année dans le pays, soit 4 000 personnes par jour. Des mesures radicales ont été prises pour tenter de résoudre cette catastrophe sanitaire sans précédent : à Pékin, les entreprises les plus polluantes ont dû quitter les lieux et des "zones sans charbon" ont été créés, dans lesquelles trois millions de foyers sont passés au gaz et au chauffage électrique. Ces mesures ont porté leurs fruits, la pollution des particules fines ayant diminué de 35,6 % de 2017 par rapport à 2012 dans la capitale. A tel point qu’Emmanuel Macron, en visite officielle à Pékin, en janvier 2018, a réagi en déclarant qu’il "n’avait jamais vu Pékin comme ça" parlant du ciel bleu, et ajoutant que "la Chine a des capacités brutales d’ajustement".
 
Le président de la République ne s’y est pas trompé en annonçant lors de cette même visite une "année franco-chinoise de la transition écologique" pour 2018-2019 : la Chine est l’acteur sur lequel il faut compter en matière d’industrie écologique. Tout simplement parce que malgré son statut de plus gros pollueur de la planète, la Chine est également le premier investisseur dans les technologies vertes, et ainsi le leader mondial de la transition énergétique. Selon l’agence internationale de l’énergie (AIE), la Chine est responsable de 40 % de la croissance d’énergie solaire photovoltaïque, et a déjà dépassé son objectif de 2020. Un chiffre qui donne le tournis, lorsque l’on sait que les entreprises chinoises correspondent à 60 % des capacités de production de cellules solaires. Cela est loin d’être une exception : la Chine est aussi le leader mondial en termes d’énergie hydroélectrique (conversion de l’énergie hydraulique en électricité), de bioénergie (extraction de l’énergie présente dans la biomasse) ainsi que de véhicule électrique.
 
Cette dominance attire dans le pays investisseurs et entrepreneurs du monde entier, y compris américains et européens. Ce n’est pas seulement la Chine qui a besoin de l’industrie des énergies renouvelables : l’inverse est aussi vrai. En plus de la politique volontariste du gouvernement, le marché chinois, avec sa classe moyenne dont la taille comme le pouvoir d’achat grandissent en permanence, est une opportunité incroyable pour les développeurs dont les technologies pourraient s’y massifier rapidement. Grâce à un phénomène d’économie d’échelle (diminution du coût moyen de production qui résulte de l'accroissement des quantités produites), le prix de ces nouvelles technologies pourrait baisser rapidement, leur permettant ainsi de devenir la norme. 
 
Cet espoir semble conforté par la politique autoritariste et volontaire des tenants du pouvoir central sur le sujet. La récente interdiction, au 1er janvier 2018, de l’importation de 24 catégories de déchets solides en est un des exemples les plus frappants. La Chine souhaite désormais privilégier une collecte locale de déchets pour son industrie du recyclage et limiter la pollution qui en résulte. 
 
Loin de la médiatisation de cette décision, d’autres projets sont en cours : le 13ème plan quinquennal met l’accent sur l’environnement en fixant des objectifs chiffrés de réduction de la pollution. Concernant les transports, les mesures sont multiples : on peut citer la limitation du nombre de nouvelles voitures habilitées à circuler dans certaines villes comme Pékin, ou encore l’initiative d’électrifier tout le réseau de bus de la ville de Shenzhen. L’instauration d’une loi taxant les émissions polluantes des activités industrielles est également une initiative significative. 

Insuffisants ? 

Nuançant le propos précédent, la loi taxant les émissions polluantes reste limitée : elle n’inclut pas le CO2, dont la Chine est le premier émetteur mondial ! Il est aussi utile d’ajouter que les recettes de cette taxe reviennent désormais aux gouvernements locaux pour une raison précise : réfractaires à la mise en place d’une politique écologique qui freinerait la croissance économique, les tenants de l’administration locale compliquent la mise en place de mesures décidées par le pouvoir central, avec pour résultat de rendre certaines lois plus symboliques qu’efficaces. Greenpeace a donc salué ce changement de bénéficiaires qui devrait inciter les autorités locales à mettre en place cette mesure. On peut néanmoins encore douter de la bonne volonté des cadres locaux : ils sont encore notés personnellement par le pouvoir central sur les résultats économiques de leur région, se trouvant en tenailles entre l’industrie et l’écologie.
 
La route est encore longue pour la Chine dont le mix énergétique est toujours fortement dépendant du charbon. Le pays en est le premier producteur et consommateur, produisant et consommant pas moins de la moitié du stock mondial. Le paradoxe chinois - oscillation permanente entre croissance sous stéroïdes et limitation des dégâts environnementaux - atteint là son paroxysme. En effet, en matière de mobilité décarbonée, malgré son statut de premier investisseur, la Chine alimente ses voitures et transports électriques avec de l’électricité produite à base de… charbon ! Ainsi, l’industrie verte chinoise, si elle se développe de manière significative (production de voiture à hydrogène, de moteurs propres, etc.) n’est elle-même pas exempte de pollution.  

Inégalitaires ?

L’environnement n’est devenu un problème majeur pour le gouvernement que lorsque des protestations émanant de la classe moyenne se sont faites entendre. Ainsi, non seulement la lutte contre la pollution se concentre sur la qualité de l’air au détriment d’autres types de dégradations du sol ou de l’eau, mais cette lutte est également concentrée dans les métropoles les plus riches et les plus importantes : si la qualité de l’air s’est améliorée à Pékin, ce n’est pas le cas au niveau national, l’usage du charbon ayant augmenté. Il y a un risque de création d’écologie à deux vitesses : entre les urbains et les ruraux, le centre et la périphérie, les villes d’envergure internationales et les autres. 

Ainsi, déplacer les sources polluantes à la périphérie calmera la pression publique qui pèse sur le gouvernement rendant les villes comme Pékin plus vivables et attractives. En revanche, cela ne diminuera pas les émissions chinoises au niveau planétaire. Auréolée du titre de plus grand émetteur de carbone - et plus largement de gaz à effet de serre - ainsi que de plus grand producteur et de consommateur de charbon, la Chine risque de garder son titre de plus mauvais élève de la classe du point de vue environnemental pendant longtemps encore, et ce malgré des efforts certains. L’écologie s’annonce comme un nouveau paradoxe chinois : le plus gros pollueur de la planète est aussi l’acteur indispensable d’une transition énergétique durable.

 

Par Aude Marville pour l'Institut Montaigne.

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne