Le décor est d’ailleurs planté dès le premier épisode : le spectateur averti reconnaîtra le principal bâtiment utilisé pour le tournage, celui de l’aéroport désaffecté de Tempelhof, symbole du blocus de Berlin. "Gardes-frontière" entre les deux mondes, tampons sur des "passeports", "ambassades" et relations "diplomatiques", échanges de prisonniers, le tout dans une ambiance sinistre : tout rappelle la séparation entre les deux républiques allemandes.Counterpart est lent, sombre et sobre : il n’y a quasiment aucun effet numérique, on est dans une ambiance low-tech dont l’esthétique décalée rappelle parfois celle du film Brazil (1985). La photographie et la musique – essentiellement des cordes – sont particulièrement soignées.
On apprend, au fil des épisodes, que la "Grippe de Munich" est une création humaine : elle est le fruit du choix des scientifiques à la tête de la mystérieuse administration (Management, qui reste invisible jusqu’aux trois-quarts de la série) qui gouverne le passage entre les deux mondes. Ceux-ci ont décidé, très tôt, de créer une arme biologique de dissuasion mutuelle, craignant que l’un des deux mondes ne cherche à anéantir l’autre.4 Le communisme est mort, dit l’un d’entre eux. Justement, la nature animale de l’homme risque désormais de reprendre le dessus, rétorque l’autre : l’un des deux mondes cherchera toujours à anéantir l’autre. Et si nous avons cette conversation, ajoute-t-il, nos doubles ont certainement eu, ou auront, la même…
En 1995, la Grippe de Munich a causé une pandémie globale dans le monde alternatif (Prime). Est-ce par accident ? Délibérément ? Au-delà de son bilan humain, elle a accéléré la divergence des deux univers : elle a retardé le développement de Prime, puis l’a conduit à une sorte de Renaissance. Mais qui dit pandémie dit recherche d’un coupable – que l’on songe à la manière dont l’administration Trump évoque le "virus chinois" – voire d’un bouc émissaire – hier les Juifs (la Peste noire…), aujourd’hui Bill Gates. Il "faut" donc se venger. Des orphelins de parents morts de la Grippe sont embrigadés dans une organisation qui va ensuite les infiltrer dans le monde Alpha – si nécessaire en tuant leur double.
Les habitants d’Alpha "doivent-ils" connaître le même sort que Prime ? Cette interrogation éthique ancienne a des échos qui ne sont pas étrangers, dans la sphère géopolitique, à qui veut bien réfléchir sur les conséquences de la dissuasion : si celle-ci en venait à échouer, faudrait-il déclencher le feu nucléaire alors que tout est déjà perdu ? Ceux qui apportent une réponse positive ne parlent pas de vengeance – les représailles pures et simples sont interdites par le droit international – et se justifient en disant que le crime ne doit jamais rester impuni afin que d’autres puissent être dissuadés ; mais ce principe peut-il être conciliable avec la destruction massive causée par les armes nucléaires (ou biologiques) ? Ceux qui répondent par la négative sont sur un terrain éthique plus solide, mais cette réponse crée alors une difficulté majeure qui confine à l’aporie : comment le défenseur peut-il convaincre l’attaquant que sa détermination à riposter est totale pour que, justement, l’événement ne puisse pas se produire ? Être prêt au suicide pour éviter la mort : c’est le dilemme central de la dissuasion.
Le dernier épisode de la deuxième saison se conclut comme il se doit sur un cliffhanger qui, heureusement, la série n’ayant pas été poursuivie, n’appelle pas nécessairement de suite. Sa morale, s’il y en avait une, pourrait être : on risque toujours d’être puni par où on a péché.
The Last Ship, tentation autoritaire et égoïsmes nationaux
The Last Ship (2014-2018), adaptation d’un roman de William Brinkley, fait de ce point de vue exception. Elle est centrée sur la geste d’un navire de guerre américain envoyé en mission en Arctique pour rechercher l’origine d’une pandémie massive qui ravage l’humanité.
Avec Michael Bay, expert en blockbusters tonitruants (Armageddon, Pearl Harbor, Transformers) et producteur exécutif de la série, on sait à quoi s’attendre : "No cure. No country. No surrender". Écrite au marteau-piqueur, jouée à la truelle, réalisée au rouleau compresseur, cette ode à la gloire de la Navy et des Marines ne mérite pas d’entrer au panthéon des séries contemporaines, même si on y trouve quelques épisodes spectaculaires et que les personnages militaires féminins y sont plutôt valorisés, ce qui est encore assez rare dans la production hollywoodienne. Le jeu d’Eric Dane, qui incarne Tom Chandler, le commandant héroïque du Nathan James, ne mérite guère la récurrence des plans serrés sur ses mâchoires qui le sont tout autant. Par comparaison, celui de John Wayne est un modèle d’expressivité et de sensibilité.
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