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21/04/2022

Le localisme de Marine Le Pen : une atteinte directe au pouvoir d’achat des Français

Le localisme de Marine Le Pen : une atteinte directe au pouvoir d’achat des Français
 Cécile Maisonneuve
Auteur
Experte Associée - Énergie, Territoires, Développement durable

Les analyses du programme écologique de Marine Le Pen évoquent souvent son programme énergétique (arrêt de l’éolien, relance massive du nucléaire, etc.) mais se penchent rarement sur son autre volet : le localisme. Aux dires de la candidate du Rassemblement National, il s’agit pourtant d’un pilier important de son programme puisqu’elle en fait, avec l’assainissement des finances publiques - peu perceptible d’après l’opération Présidentielle 2022 de l’Institut Montaigne -, l’un des deux leviers de création de richesse pour notre pays. Il s’agit d’actionner un "nouveau modèle économique reposant sur le localisme et le patriotisme économique", le localisme consistant à "produire, consommer et recycler au plus près. L’exact inverse du mondialisme que l’on nous impose depuis des décennies et qui a passablement abîmé notre planète". Sans surprise, "le premier secteur concerné par cette politique sera bien entendu l’agriculture".

Le localisme, une idéologie réactionnaire

Le silence des commentateurs sur cette partie du programme de Marine Le Pen ne doit rien au hasard. En se saisissant de ce thème, propulsé dans son programme par Hervé Juvin, économiste qui a théorisé l’écologie au Front National, la candidate d’extrême-droite s’inscrit dans une thématique qui résonne tant à gauche qu’à droite. Pour les premiers, le localisme renvoie à la philosophie rousseauiste : le local garantit l’autarcie, l’indépendance économique et donc la souveraineté. Il est également gage d’une démocratie authentique, directe. Ainsi, loin de la démocratie libérale et représentative, "nous débarrasser de la hiérarchie dans la société est indispensable pour contester la domination de l’homme sur la Terre et les vivants. Cette version du localisme résonne actuellement dans de nombreux milieux écologistes, à Notre-Dame-des-Landes notamment". À droite, la filiation de cette idéologie est à chercher du côté de la critique de l’universalisme des Lumières d’un Herder, revu et corrigé par Heidegger. Reprise dans les années 1970 par Alain de Benoist, cette vision du localisme prône une vision du local qui "devient l’espace limité par excellence au sein duquel les autochtones peuvent veiller sur leur propre identité et se défendre contre les agressions extérieures. Au contraire, la ville moderne est le domaine de l’illimité, de l’anonymat, du brassage cosmopolite et de la mondialisation hors sol". Ces deux approches du localisme ne sont pas étanches : Andréa Kotarac, ancien membre de La France insoumise, est aux côtés d’Hervé Juvin lorsque ce dernier crée le parti localiste en novembre 2020. 

À la différence de l’écologie politique toutefois, l’enracinement local prôné par Juvin se définit aussi comme une fermeture à tout flux de l’échange, qu’il s’agisse des biens et services mais aussi des personnes. Le localisme, dans le programme de Marine Le Pen, est consubstantiel à la fermeture des frontières ; il vise à favoriser un entre-soi fondé sur l’appartenance à une terre et un héritage culturel communs, faisant de l’immigré un intrus. Immigration, multinationales, finance mondialisée, ces différents éléments sont vus comme un tout qui menace le territoire nourricier. "Tout écologue sait bien qu'un système vivant complexe ne survit pas aux espèces invasives". déclarait l’économiste à BFMTV en 2019, embrayant : "C'est aujourd'hui la finance mondialisée. […]. Et puis, ce sont aussi les migrations de masse".

Le localisme, un projet de décroissance qui ne dit pas son nom

Dans la perspective du Rassemblement National, il ne s’agit pas pour autant de renier le libéralisme économique, pas plus que la croissance auquel il est associé. "La liberté économique à l'intérieur, aucun problème, mais la libre circulation des marchandises et des capitaux avec l'extérieur, c'est terminé, résume Marine Le Pen. Le progrès s'appelle "localisme" et donc "circuits courts". Le progrès s'appelle "juste échange" et non "libre-échange'', "démocratie de proximité'' et donc "citoyens''… Le progrès aujourd'hui s'appelle "protections'' et surtout "Nations"". Il s’agit là encore d’une différence majeure avec l’écologie politique qui prône, elle aussi, le local comme échelle pertinente de production et de consommation mais rejette le libéralisme économique et le modèle de croissance qui lui est associé. Son localisme est un projet de décroissance.

Là réside l’incohérence majeure du programme écologique de la candidate d’extrême-droite  : le localisme n’est compatible ni avec le libéralisme économique ni avec la croissance.

Là réside l’incohérence majeure du programme écologique de la candidate d’extrême-droite  : le localisme n’est compatible ni avec le libéralisme économique ni avec la croissance. Il est antinomique du maintien et, a fortiori, du renforcement du pouvoir d’achat. D’une certaine manière, le programme du Rassemblement National le reconnaît. En écrivant que "nous organiserons la préférence générale pour les acteurs locaux, tout en prévenant les conflits d’intérêts et la sous-productivité", le parti d’extrême-droite prend acte de ce que la science économique a démontré de longue date, à savoir que favoriser un nombre limité d’acteurs - locaux en l’occurrence - réduit la concurrence donc la productivité, et in fine la croissance. 

Plus encore, comment est-il possible de prévenir la sous-productivité, comme le prétend le programme de Marine Le Pen, tout en prônant le libéralisme économique ? Nul ne le dit car nul ne le sait… et nul ne le peut. Il s’agit là de choix incompatibles.

L’autre mécanisme par lequel le localisme réduit le pouvoir d’achat, c’est l’inflation : là encore, rien de nouveau en économie, réduire l’échange en favorisant systématiquement le local donc en niant les avantages comparatifs consubstantiels aux échanges entre nations, territoires, etc. est facteur d’inflation. D’ores et déjà, même si la France reste pour l’heure relativement épargnée, l’inflation remonte partout et massivement en Europe, sous l’effet de l’augmentation des prix de l’énergie, qui va se poursuivre dans les mois ou années qui viennent du fait, d’une part, du mouvement structurel de transition énergétique et, d’autre part, à moyen-terme, du fait des difficultés du parc nucléaire français et de la politique européenne de sortie du gaz russe. Le projet localiste de Marine Le Pen est de nature à étendre l’inflation à l’ensemble des biens et services, à commencer par l’alimentation, ce qui est particulièrement pénalisant pour les ménages modestes à faible pouvoir d’achat.

Le localisme, un accélérateur de désindustrialisation et de paupérisation des classes populaires

Le localisme n’est en réalité qu’un protectionnisme qui ne dit pas son nom. Surfant sur la vague protectionniste actuelle, partagée par nombre de tendances politiques bien au-delà du seul Rassemblement National, le programme de la candidate d’extrême-droite entend ainsi "protéger notre économie de la concurrence déloyale et revoir les accords de libre-échange qui ne respectent pas les intérêts de la France". Cette formulation floue laisse la porte ouverte à une démondialisation systématique et porte, là encore, atteinte au pouvoir d’achat. Car fermer nos frontières aux biens et services importés, c’est évidemment s’exposer à des mesures réciproques. Nulle part n’est évoqué le fait que la France est le sixième exportateur mondial de biens et de services  : qui peut croire que ses partenaires commerciaux ne répondront pas à la fermeture de son marché par la fermeture du leur ? Quid des 130 000 entreprises françaises exportatrices et des emplois associés ? 

Dans un pays en butte à la désindustrialisation, la fermeture des frontières françaises accélérerait encore le recul de l’emploi industriel dans la mesure où les industries qu’il reste encore en France sont exportatrices nettes, qu’il s’agisse de l’aéronautique, du spatial, de la chimie, de la cosmétique, de l’agroalimentaire ou de l’industrie pharmaceutique. La disparition de ces emplois à haute valeur ajoutée serait une atteinte forte au pouvoir d’achat des salariés concernés et de leur famille, plus encore dans la mesure où ce ne sont pas les emplois alternatifs locaux que le Rassemblement National propose de créer qui s’y substitueront.

La disparition de ces emplois à haute valeur ajoutée serait une atteinte forte au pouvoir d’achat des salariés concernés et de leur famille.

Promettre un accroissement de pouvoir d’achat aux classes populaires qui aspirent à renouer avec l’emploi industriel tout en promouvant le protectionnisme, relève a minima de l’incohérence. 

Le localisme contre l’innovation

Enfin, le localisme du Rassemblement National, en s’attaquant aussi bien aux biens et aux services qu’aux personnes, est incompatible avec toute politique d’innovation. Son corollaire, la "démétropolisation" prônée par le Rassemblement National à l’occasion de la campagne pour les élections municipales de 2020, signifie en effet la déconstruction des écosystèmes et des effets d’échelle nécessaires à l’innovation, caractéristiques de la métropolisation en cours au niveau mondial depuis une quinzaine d’années et qui se poursuivra, quoi qu’en veuillent les nostalgiques d’une France qui n’a jamais existé. 

Affaiblir le niveau métropolitain ne renforcera pas les petites villes, villes moyennes ou territoires ruraux, les dynamiques territoriales fonctionnant le plus souvent, non en vases communicants, mais comme un réseau neuronal de liens visibles et invisibles. L’innovation, nécessaire à la croissance et au pouvoir d’achat, ne se décrète pas mais est le fruit de ces liens multiples et divers. 

Contre le localisme, des stratégies territoriales reflétant la diversité des territoires pour une transition juste

Loin de nourrir la croissance et le pouvoir d’achat, le localisme prôné par la candidate d’extrême-droite affaiblira les territoires et leurs habitants. L’enjeu de la croissance durable et du pouvoir d’achat consiste, non pas à réduire l’ensemble des problèmes à l’échelle locale, mais à construire des politiques publiques qui articulent les différentes échelles territoriales. D’aucuns, à l’instar d’Emmanuel Macron, parlent de "planification" territoriale. En d’autres temps, il eût été question d’aménagement du territoire. Nous nous contenterons de prôner des stratégies territoriales différenciées, reflets de la diversité des territoires, qui échappent au double écueil de logiques nationales uniformisatrices qui ne fonctionnent plus et du tout-local qui n’a pas de sens face aux défis mondiaux que nous devons affronter, qu’ils soient géopolitiques, climatiques, sanitaires ou énergétiques. Là réside le réservoir de croissance et d’innovation nécessaire à une transition écologique équitable.

 

Copyright : ALAIN JOCARD / AFP

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