Alors que le pays traverse depuis un an l’une des plus crises politiques les plus importantes de son histoire, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, instrumentalise aujourd’hui la pandémie du coronavirus pour affaiblir davantage la démocratie. Où en est la crise politique en Israël ? Quel est l’impact de la pandémie sur cette crise ? La démocratie israélienne peut-t-elle résister ? Samy Cohen, directeur de recherche émérite au CERI de Sciences Po, répond à nos questions.
Où en est la crise politique en Israël ?
La démocratie israélienne traverse la crise la plus grave de son histoire. Trois élections législatives en un an, du jamais vu, n’ont pas réussi à départager les deux principaux candidats, Benyamin Netanyahou et Benny Gantz, ancien chef d’état-major et leader de la coalition Bleu-Blanc. Aucun des deux n’a obtenu à lui seul une majorité suffisante pour former un gouvernement sans l’appoint du parti d’Avigdor Lieberman, Israël Beitenou.
Gantz a mené ses campagnes électorales, assez falotes par ailleurs, en les centrant sur le refus d’entrer dans un gouvernement dirigé par un Premier ministre inculpé. Il en a fait son principal argument de campagne. Netanyahou est en effet inculpé de trois chefs d’accusation : fraude, corruption et abus de confiance. Tous les autres grands enjeux politiques, économiques et sociaux, l’avenir des territoires occupés, le système des soins et le haut niveau de pauvreté dans la société israélienne, sont ainsi passés à la trappe.
À l’issue du troisième tour, du 2 mars 2020, Gantz se voyait confier par le Président de l’État la responsabilité de former un gouvernement. Avec une courte majorité de 61 députés (sur 120), il s’apprêtait à faire voter une loi qui interdirait dans l’avenir à un Premier ministre inculpé de former un gouvernement. Une loi "anti-Bibi" destinée, en cas de quatrième round, à se débarrasser enfin de cet animal politique hors-pair qu’est Netanyahou. Cette majorité était suffisante pour voter cette loi, mais trop faible pour former un gouvernement, dans la mesure où certains soutiens de Gantz s’étaient déclarés hostiles à une coalition soutenue par la Liste arabe unifiée.
C’est à ce moment là qu’on apprend, à la surprise générale, l’imminence de la constitution d’un gouvernement d’"urgence nationale", prévoyant un système de rotation entre Benny Gantz et Benyamin Netanyahou. Ce dernier serait le premier à prendre les rênes du gouvernement pour un an et demi. Bien que Gantz garde la possibilité de faire voter la loi "anti-Bibi", c’est une décision assez incompréhensible pour beaucoup de ses électeurs qui y voient une capitulation, une trahison. Le chef de la coalition ayant renié sa parole, Bleu-Blanc éclate, se séparant de son principal allié centriste Yesh Atid.
C’est un coup sévère pour la démocratie, fondée sur la confiance des citoyens dans leurs représentants, censés respecter leur parole. Le verdict ne s’est pas fait attendre : un sondage publié par la quotidien Maariv, le 8 avril, donne 18 députés à Bleu-Blanc, alors que le Likoud en obtiendrait 42 (contre 36 actuellement). Netanyahou pourrait disposer, dans l’hypothèse d’une quatrième élection, d’une coalition de droite de 64 députés, suffisante pour former un gouvernement. De quoi l’encourager à torpiller les pourparlers avec Benny Gantz et provoquer un quatrième round électoral, nullement exclu à cette heure-ci si aucune solution politique ne se dégage.
Ajouter un commentaire