À la British Library, l'équivalent de notre Bibliothèque nationale, une grande exposition s'achève dans quelques jours sur les royaumes anglo-saxons et leur unification avant la conquête normande en 1066. La qualité exceptionnelle des objets d'art et des manuscrits présentés peut conduire à renforcer le nationalisme des Britanniques : "Notre civilisation était grande et sophistiquée dès le VIIIe siècle : nous n'avons aucun complexe d'infériorité à avoir par rapport au continent européen ou à l'Islam." Et l'exposition de se conclure sur cette phrase : "C'est grâce aux Anglo-Saxons que l'anglais est resté la langue du pays" après le XIe siècle. Et c'est lui qui est devenu la langue du monde, et non le français. On pourrait tirer la leçon politique inverse quand on voit la richesse et l'intensité des échanges entre les royaumes saxons et l'empire de Charlemagne ou la papauté, et dire : "C'était déjà l'interaction entre eux et nous qui faisait notre grandeur et notre créativité."
Roulette russe
C'est précisément cette question du maintien de l'ouverture ou de l'éventuel rétablissement des frontières qui est au coeur de la problématique irlandaise. Une question qui semble aussi impossible à résoudre que pouvait l'être celle du Schleswig-Holstein dans l'Europe de la seconde moitié du XIXe siècle. Dépasser la question des frontières entre l'Irlande du Nord et l'Irlande, consolider le climat de paix et de réconciliation entre les deux parties, ou remettre en cause l'acquis précieux d'hier ?
Les divisions au sein du Parti conservateur, l'aveuglement des unionistes d'Irlande du Nord, les petits calculs électoralistes du Parti travailliste, la détermination responsable (sur cette question au moins) de Bruxelles : les plaies du passé sanglant de l'Irlande - qui ne sont pas pleinement cicatrisées - menacent de se rouvrir à tout moment. On joue avec le feu sur cette question des frontières.
Dans une atmosphère délétère, chaque camp se prépare à blâmer l'autre pour la responsabilité d'un échec qui semble inévitable. On a même l'impression désormais que chaque camp souhaite un échec, qui conduirait à un nouveau référendum pour les opposants au Brexit et à une sortie sans pénalités pour ses partisans : "Que voulez-vous, il n'y a pas eu d'accord, pourquoi et qui devrions-nous payer ?" Chacun, de fait, prend ses désirs pour des réalités.
Une sortie de l'Union sans accord, suivie de nouvelles élections, qui risquent de ne rien résoudre compte tenu des divisions profondes au sein de la société britannique, on se rapproche irrésistiblement du scénario catastrophe.
Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 11/02/19).
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