Certes, le centralisme n’est pas une garantie de succès et nos compétiteurs américains et chinois ont leurs propres divisions internes ; il n’empêche, la gouvernance spatiale européenne est plus une source de faiblesse qu’une force aujourd’hui. La repenser n’est pas simple et ne se fera pas en un jour, mais il faut ouvrir ce chantier.
Au regard des élections européennes, n’a-t-on pas le sentiment que l’Europe va aussi rater ce tournant cette fois-ci, après avoir raté la révolution numérique ?
C’est peu dire que les sujets industriels ont été – si on met de côté le cas Huawei – absents, y compris en France et en Allemagne, au cours de la période électorale européenne qui vient de s’achever.
Comme pour beaucoup des technologies d’avenir (intelligence artificielle, batterie, etc.), l’Europe court le risque de succomber de nouveau à la malédiction du numérique, où GAFA puis acteurs chinois ont pris une place archi-dominante. Or, les conséquences ne se font pas sentir qu’en matière de fiscalité ou de protection des données : ces mêmes GAFA sont l’élément moteur dans le financement, en partie privé, des nouveaux acteurs spatiaux tel que SpaceX, ou Blue Origin (fondée par Jeff Bezos, le patron d’Amazon). La raison en est simple : l’espace est une extension de la Terre pour diffuser, capter et valoriser de la data. Et l’espace est aussi une passion très profonde chez certains acteurs tels que Musk et Bezos.
Pour l’Europe – qui dispose par ailleurs de très belles entreprises – ne pas avoir de très grands groupes prêts à mettre le paquet (c’est-à-dire des milliards de financement privé !) sur ces technologies du futur est un obstacle, y compris pour faire émerger un véritable New Space européen.
Il faut donc faire sans et se poser la question de comment valoriser nos atouts, car nous en avons heureusement beaucoup !
Quels sont les rendez-vous importants des prochains mois pour le spatial européen ?
Le plus important est la conférence ministérielle de l’ESA, Space19+, qui se tiendra à Séville en novembre 2019. Celle-ci aura pour objectif de définir les projets prioritaires dans les années qui viennent devant être financés et pilotés par l’ESA. Cela représente plusieurs milliards d’euros mais aussi des décisions très structurantes à prendre, telles que : faut-il participer aux projets lunaires portés par les USA, et si oui comment ? Faut-il investir dans les nouveaux marchés en orbite (question des débris, notamment) ?
Au niveau de l’Union européenne, il y aura au moins trois volets importants.
Premièrement, les négociations sur le règlement dit "Espace" ont commencé avant les élections. Elles devront être conclues et validées par la nouvelle Commission et le nouveau Parlement. Ce règlement vise à simplifier, à harmoniser et à approfondir les règles en matière spatiale. Nouveauté : la GSA, agence dédiée uniquement à Galileo, pourrait devenir une agence de l’Union européenne pour le programme spatial.
Deuxièmement, il pourrait y avoir une nouvelle direction, au sein de la Commission, dédiée à l’espace. Plus généralement, pour les grandes nations spatiales telles que France, Allemagne et Italie, la question des postes clef au sein de la Commission est un enjeu de premier rang.
Troisièmement, il y a un débat budgétaire à trancher. La Commission a fait avant les élections des propositions relativement ambitieuses en termes de budget pour la période 2021-2027. Mais là encore, rien n’est fait puisque le nouveau Parlement et la nouvelle équipe exécutive auront à valider le budget.
Selon vous, sur quels axes l’Europe doit-elle agir pour affirmer une ambition industrielle et technologique spatiale ?
Le premier, qui est le plus symbolique mais aussi le plus important, est de prendre conscience des risques pour l’Europe de se voir distancer, et de réaffirmer l’ambition de faire partie des grandes puissances spatiales. Mais les discours ne suffisent pas : les budgets, l’organisation doivent aussi être à la hauteur.
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