Une autre motivation était d’obtenir la levée des sanctions onusiennes après avoir tout essayé les années précédentes, en vain. Non qu’elles concernent la relation avec l’Ethiopie – le Conseil de sécurité des Nations unies reprochait à l’Erythrée de soutenir des groupes armés somaliens et de ne pas chercher à résoudre son conflit avec Djibouti – mais un rapprochement donnait des gages de bonne volonté et surtout permettait de recruter Addis-Abeba pour obtenir la levée des sanctions : c’est exactement ce qui s’est passé.
Enfin, comme Abiy, Issayas voit aussi la paix comme un moyen de marginaliser le FPLT, son ennemi historique. Défait par Abiy, replié à Mekele, il est pris en tenaille. Il y a une alliance objective d’Issayas et d’Abiy contre ce qui reste du FPLT, et plus largement une préoccupation commune d’éviter la montée du sentiment indépendantiste tigréen.
Pour toutes ces raisons, parce que la paix est dans l’intérêt de chacune des parties, elle devrait durer – et même survivre aux chefs d’Etats. Si Abiy était assassiné (il a déjà échappé à une attaque à la grenade le 23 juin 2018), ou si Issayas mourrait de maladie ou était déposé par un coup d’Etat – autant de scénarios qu’il faut envisager –, les raisons précédentes subsisteraient. Le pire pour l’Ethiopie, déjà entourée de la Somalie et du Soudan du sud, serait la "somalisation" de l’Erythrée, c’est-à-dire l’effondrement de l’Etat, le morcellement du territoire et l’émergence d’un foyer jihadiste. Elle sera donc prête à faire des concessions le cas échéant pour éviter ce scénario noir.
Quels sont les liens entre la Chine et Djibouti, et quelle est la stratégie Chinoise que Washington essaie de contrer ?
Les Etats-Unis sont l’un des trois parrains régionaux de la paix éthio-érythréenne, avec les Emirats arabes unis (EAU) et l’Arabie saoudite. Chacun a ses raisons. Dans le cas américain, il s’agit effectivement et en premier lieu de contrer les ambitions chinoises dans la région. La Chine est très présente en Afrique de l’Est d’une manière générale mais le cas de Djibouti est particulier puisque ce petit État accueille la première base militaire chinoise outre-mer. Celle-ci permet à Pékin d’accroître ses capacités de projection dans l’Océan indien et en Afrique, Djibouti étant à un endroit stratégique, à l’entrée du détroit de Bab el-Mandeb, au carrefour de la mer Rouge et du golfe d’Aden. La Chine n’est d’ailleurs pas la seule à l’avoir compris, puisque beaucoup d’autres Etats ont une présence militaire à Djibouti (France, Etats-Unis, Japon, Italie, Allemagne, Espagne), ce qui constitue une manne financière importante pour ce petit Etat qui est l’un des plus pauvres au monde.
La base chinoise fait l’objet de nombreuses spéculations sur sa taille et sa fonction réelles, qui semblent s’éloigner de ce qui était initialement présenté comme une "base de soutien logistique". Elle est notamment dotée d’un impressionnant complexe souterrain qui ferait environ 23 000 m2, relié à un réseau de tunnels et de bunkers. On parle d’une capacité théorique de 10 000 hommes, même si elle en a aujourd’hui beaucoup moins. Pour Pékin, cette base n’est que le premier jalon d’un réseau de ports à l’usage au moins dual (d’abord civil mais potentiellement militaire) sur tout le pourtour de l’Océan indien, que l’on appelle le "collier de perles" et qui inquiète non seulement les Etats-Unis mais aussi l’Inde, qui s’estime victime d’une stratégie d’encerclement.
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