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04/12/2020

Covid-19, deuxième round : réconforter ou protéger les néerlandais ?

Trois questions à Louise van Schaik

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Covid-19, deuxième round : réconforter ou protéger les néerlandais ?
 Louise van Schaik
Responsable du programme Europe et des Affaires Internationales à l'Institut Clingendael

La stratégie néerlandaise pour faire face au virus est d’abord passée par une stratégie "d’immunité collective" et de "confinement intelligent", jusqu’à restreindre des libertés individuelles pourtant si chères aux Néerlandais. Confinement renforcé, couvre-feu, fermeture des bars et restaurants : c’est un véritable arsenal de nouvelles mesures qui cette fois a été mis en place par le gouvernement, à l’inverse de la première vague. Anuchika Stanislaus, Chargée d’Affaires Internationales à l’Institut Montaigne, a interrogé Louise van Schaik, Responsable du programme Europe et Affaires Internationales au Clingendael Institute, sur les tenants et les aboutissants de la politique actuelle du gouvernement néerlandais, son évolution, et ses résultats.

Quelles conclusions peut-on tirer de la gestion de la première vague de l’épidémie et comment ces conclusions guident-elles les choix actuels du gouvernement ?

Tout d’abord, je dois admettre que le gouvernement néerlandais n’a pas tant appris de la première vague. Quelques leçons ont toutefois été tirées et guident les choix actuels, comme par exemple :

  • La fermeture des écoles peut avoir un impact social considérable ;
     
  • S’il n’est pas contenu, le virus peut submerger les hôpitaux et mener à une pénurie de lits de réanimation ;
     
  • Les contaminations sont restées basses tout au long de l’été,  ce qui a permis d’asseoir l’efficacité des confinements mis en place au cours de la première vague

Malheureusement, ce dernier élément a poussé la population à penser qu’elle en avait fini avec ce virus. Les contaminations ont repris de nouveau  à la fin de l’été, dès la mi-août, avec un pic de 10 000 contaminations par jour. Nous sommes aujourd’hui environ à 5 000 contaminations par jour, et sommes soumis à un confinement partiel, qui mêle ouverture des écoles et "verrouillage" de la vie sociale.  

Tester les personnes contaminées a été l’une des principales difficultés rencontrées par  les Pays-Bas notamment à cause de notre modèle assez décentralisé. Cela est significatif dans le  domaine de la santé, géré par les centres régionaux (GGZ), dont l’accès est en grande partie privatisé par les assurances privées. Nous avons longtemps célébré notre système de santé qui pourvoit des soins de qualité à des tarifs accessibles. Le Covid-19 en a révélé de nombreuses failles. Nous n’avions par exemple que 1 100 lits de réanimation au début de la pandémie, contre 1 800 en Belgique.

Le gouvernement néerlandais n’a pas tant appris de la première vague.

Les tests étaient d’abord confiés à des centres de santé qui s’occupent en temps normal de la vaccination infantile et du suivi pédiatrique (les "GGDs"). Ces centres devaient alors trouver les cas contacts, tracer les contaminations, contrôler la propagation de l’épidémie et organiser les tests... nous avons réalisé que les attentes à leur égard n’ont malheureusement pas été comblées.

La situation s’est certes améliorée une fois que l’armée a assuré le suivi et l’organisation des tests plus rapidement. De nouveaux instruments de tests plus efficace ont alors pu être déployés.

Les Pays-Bas ont également fait preuve de maladresse dans le développement et la mise en place de l’application nationale anti-Covid. Ils ont demandé à plusieurs développeurs de préparer une application mais aucun n’a réussi à en créer une qui remplisse les critères respectant la sécurité des données. Le gouvernement a finalement lancé une application respectueuse des données personnelles mais très peu de néerlandais l’ont téléchargée rendant caduque son efficacité. Le parti qui dirige actuellement les Pays-Bas, le Parti populaire libéral et démocrate (VVD) est un parti libéral qui attache beaucoup d’importance à la liberté des citoyens et aux valeurs libérales, ce qui influence sa gestion de la crise sanitaire. Le pays est par ailleurs très conservateur de par son ministre de la Santé, Hugo de Jonge, qui est lui membre d’un parti gouvernant en coalition avec le VVD, le parti chrétien-démocrate (CDA). Celui-ci voulait établir des règles strictes pour les Pays-Bas, mais qui resteraient moins strictes qu’en France ou en Italie. Les néerlandais sont par exemple très loin d’accepter de devoir remplir un formulaire pour aller au supermarché, et se sont insurgés quand ils ont compris que les infractions aux règles instaurées pour lutter contre le Covid-19 seraient inscrites dans leur casiers judiciaires, jugeant ces mesures disproportionnées et arbitraires.

Il est très probable que d’autres protestations aient lieu fin décembre autour d’un tout autre sujet très sensible pour les Néérlandais : celui des feux d’artifices, aujourd’hui interdits aux Pays-Bas. Les feux d’artifice ont une importance bien grande relativement à la plupart des autres pays. Les Pays-Bas ont en effet une tradition qui consiste à tirer des feux d’artifice le soir du nouvel an. Des boutiques spécifiques en vendent afin que tout le monde puisse faire son propre feu d’artifice. L’importation de feux d’artifices illégaux depuis l’Allemagne et la Belgique a engendré la nuit du 31 décembre un chaos plus proche d’une guerre qu’une fête. Si la police, les pompiers et les hôpitaux se plaignent de ces épisodes de Saint-Sylvestre depuis des années pour que des feux d’artifice soient davantage organisés et contrôlés, comme ils le sont en France, cela pourrait devenir un sujet explosif dans les semaines qui précéderont le 31 décembre 2020, les feux d’artifices étant à certains néerlandais ce que les armes à feu sont à certains américains.

Quels sont les atouts de la stratégie nationale de lutte contre la propagation du virus ?

Le gouvernement est en permanence tiraillé entre intérêts économiques et intérêts sanitaires. Ils ont ainsi essayé de mettre en place un confinement qui ne pénaliserait pas significativement les petits commerces, à l’exception des bars et restaurants qui demeureront fermés au moins jusqu’à Noël. Tous les magasins peuvent rester ouverts tant que les gens portent des masques et ne sont pas plus de deux à la fois à l’intérieur d’un espace clos. Les Pays-Bas ont baptisé avec fierté le confinement printanier le "confinement intelligent" car l’économie a été moins touchée que celle avec qui ils aiment se comparer: le Royaume-Uni. La priorité du gouvernement a toujours été de soulager les hôpitaux, cette considération guidant ensuite le degré de sévérité du confinement.

En ce qui concerne la vaccination, les Pays-Bas, avec la France, l’Allemagne et l’Italie, ont conclu le premier accord avec les fabricants de vaccins, qui a ensuite été repris par l’UE. Beaucoup d’argent a été investi pour acheter des vaccins, et on estime désormais que nous avons acheté 30 millions de doses pour une population qui est de 17 millions. Nous nous posons alors les questions suivantes : allons-nous donner ces vaccins gratuitement à des pays émergents, ou à nos voisins européens, comme par exemple dans les Balkans ? De plus, il sera difficile d’administrer le vaccin à toute la population néerlandaise au vu de la défiance grandissante à ce sujet dans le pays. 

Une des leçons que nous avons tirées du premier confinement était que la propagation rapide du virus dans une zone devait d’abord être contenue au moyen d’un confinement régional.

Comment sont organisés les arbitrages politiques ? Y-a-t-il une verticalité des pouvoirs ?

Le gouvernement néerlandais peut prendre des mesures temporaires mais il ne peut pas instaurer un état d’urgence. Ce n’est pas dans la culture néerlandaise, et la population a tendance à être très sceptique quelles que soient les mesures prises. Le port du masque n’est devenu obligatoire que très récemment par exemple : le gouvernement était hésitant et notre Institut de Santé Publique (RIVM) maintenait qu’il n’y avait aucune preuve de son efficacité. À un moment tout cela a changé, et une loi a finalement rendu les masques obligatoires dans les lieux clos depuis le 1er décembre.
 
Une des leçons que nous avons tirées du premier confinement était que la propagation rapide du virus dans une zone devait d’abord être contenue au moyen d’un confinement régional. Nous avons un comité scientifique "Security regions", des institutions qui regroupent les pompiers et le personnel médical, et une "équipe de gestion épidémique" constituée d’experts en santé publique et des épidémiologistes, tous deux consultés en permanence sur les politiques mises en place. Cependant, il s’avère que les Pays-Bas sont beaucoup trop petits en taille pour qu’un confinement régional puisse être efficace, ce qui a conduit cette politique à échouer complètement en août et septembre. Il ne faut que 45 minutes en train pour aller de Rotterdam à Amsterdam, et seulement 20 minutes pour aller à la Haye : nos villes sont trop denses et connectées pour qu’une approche régionale puisse fonctionner. L’ouest des Pays-Bas forme en réalité une seule et même métropole espacée de petites zones rurales ou naturelles.
 
Il est important également de noter que des élections législatives sont prévues pour mars 2021, et pèsent sur les choix politiques. Le ministre de la Santé sera le candidat du parti chrétien-démocrate, et Mark Rutte se représentera après 10 ans au pouvoir en tant que Premier Ministre. La ministre en charge du Développement et de la Coopération internationale, Sigrid Kaag, sera également la candidate du parti de centre gauche, Démocrates 66. La gestion de la crise a été hasardeuse sur plusieurs points : les tests, le traçage et bien sûr sur l’app dont la mise en place a été une véritable saga. C’est Hugo de Jonge, le ministre de la Santé, qui devrait en faire les frais, plutôt que Mark Rutte, qui devrait remporter les élections sauf surprise, ce qui est possible vu la volatilité de l’électorat néerlandais.

 

Copyright : Koen Van WEEL / ANP / AFP

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