Le ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie a été le principal acteur de la politique nationale japonaise en matière de masques. Le ministère a créé un programme de subventions pour stimuler la production locale, en sélectionnant d'abord un groupe de trois entreprises à la fin du mois de février (Kowa et Xins pour la fabrication de masques, et Hata Industries pour la fabrication de composants). Le 13 mars, la sélection d’un deuxième groupe de huit entreprises a été annoncée. Au total, 120 entreprises ont été invitées à augmenter leur production. En 2018, le marché japonais avait absorbé 5,5 milliards de masques, dont 20 % produits sur le marché intérieur et 70 % importés de Chine. L'augmentation de la production nationale réduit considérablement la dépendance à l'égard de l'approvisionnement chinois. L'importation n'est toutefois pas exclue : le ministère de l’Économie a ainsi encouragé les importations en provenance de Chine depuis la reprise de ces activités chinoises, le 17 février. L’objectif est de garantir une augmentation progressive pour atteindre, début avril, une importation hebdomadaire de 20 millions d'unités par semaine. Le ministère a annoncé que ces mesures devraient suffire à atteindre l'objectif d'approvisionnement fixé par Shinzō Abe. Début avril, une certaine tension pesait encore sur l'offre de masques ; le gouvernement japonais décide alors, en complément des masques chirurgicaux, d'envoyer deux lots de masques en tissu lavables et réutilisables à 50 millions de foyers japonais.
La dimension numérique
Contrairement à la Corée du Sud, à Singapour, à Taiwan et à Hong Kong, le Japon a relativement peu recours aux outils numériques. Tout d’abord, aucune quarantaine n’est imposée aux ressortissants japonais dans la mesure où l'hospitalisation est obligatoire en cas de test positif. Mais la gestion de crise au Japon comporte tout de même une certaine dimension numérique, avec notamment des interrogations quant à la protection juridique de la vie privée. Les gouvernements locaux ont créé des comptes officiels spécialisés sur Line, l’application de messagerie gratuite la plus populaire au Japon. Les utilisateurs peuvent ajouter ces comptes dans leurs "amis", et saisir des données personnelles afin que l'application puisse déterminer s'ils doivent ou non faire l’objet d’une consultation dans un centre dédié au coronavirus. Des conseils sont également formulés, et leurs données sont collectées. Mais il ne s'agit pas là d'une approche de type contact tracing, car l’application ne permet pas l’accès à la liste des contacts enregistrés dans l'application Line de l'utilisateur et ne détecte pas les interactions sociales de l’individu via la fonction Bluetooth. Le logiciel de l’application, qui fait appel à l'intelligence artificielle, demande régulièrement des mises à jour aux utilisateurs enregistrés. Dans la préfecture de Kanagawa, 210 000 personnes s'étaient inscrites à la fin du mois de mars. Le ministère de la Santé s’appuie également sur l'application Line pour mener une "enquête nationale sur les nouvelles contre-mesures de lutte contre le nouveau coronavirus" en interrogeant les utilisateurs sur les différents symptômes associés au Covid-19 et sur leur code postal.
Fin mars, une étape importante a été franchie par le gouvernement japonais lorsqu'il a demandé aux opérateurs de téléphonie mobile et aux plateformes populaires comme les GAFA et Yahoo! Japon de fournir des données anonymisées dans l’objectif d’aider à l'identification précoce des foyers de contagion. Cette mesure fait suite à la création d'une "Section de réponse aux foyers de contagion" (クラスター対策班) dans le cadre des "mesures de base". Dans la pratique, lorsque les établissements médicaux recensent de nouveaux cas positifs, une équipe dédiée y est envoyée pour mener une enquête épidémiologique. Une data team placée sous la direction du NIID rassemble des experts en analyse de données de l'université d'Hokkaido, une équipe d’agents du NIID dédiés au contact tracing et des analystes de la gestion des risques de l'université de Tohoku. Mais compte tenu de la législation japonaise en matière de protection des données personnelles, les investigations qu’ils mènent reposent beaucoup sur la coopération humaine.
Faire face au coût économique
La gestion de la crise au Japon s’est faite avec, en arrière-plan permanent, la question de l’enjeux de taille de l’imminence des Jeux olympiques de Tokyo en 2020, finalement reportés à l'été 2021, un report décidé à la fin du mois de mars. Cela ne s’est pas fait sans controverse : l'ancien Premier ministre et figure de l'opposition Yukio Hatoyama a accusé le gouvernement d'avoir adopté une approche "les Jeux olympiques avant tout", marquée par des mesures faibles en réponse à la crise du coronavirus qui ne visaient selon lui qu’à donner l'impression que la ville "prenait le contrôle du virus". Cette accusation omet cependant le fait que la décision d’un report des Jeux olympiques était rendue nécessaire par la propagation internationale du virus et ne découlait ainsi pas exclusivement de la situation à Tokyo. Les Jeux olympiques sont une affaire de prestige international, mais aussi d'investissement et de gains économiques, et leur report met en lumière le coût économique de la crise pour le Japon. Le Centre japonais pour la recherche économique estime que le Japon a investi entre 32 et 41 milliards de dollars dans des projets d'infrastructure - principalement par le biais d'entreprises publiques -, y compris pour augmenter la capacité hôtelière du pays. Le Comité olympique estime que le coût supplémentaire induit par le report des Jeux s’élève à 300 milliards de yens (2,7 milliards de dollars US), un montant qui n’inclut pas les gains retardés pour le PIB japonais en 2020.
Au-delà des Jeux olympiques, la réponse japonaise à la crise doit tenir compte de l'environnement macroéconomique mondial et de l'impact de l'affaiblissement de l'activité intérieure, en particulier si le gouvernement décide d'imposer l'état d'urgence. Un premier ensemble de mesures économiques est approuvé à la mi-février, avec 500 milliards de yens (4,5 milliards de dollars US) centrés sur les secteurs du tourisme et du voyage (le Japon notant une baisse de 58 % du tourisme entrant en février par rapport à l'année précédente et une perte de revenus estimée à 2,8 milliards de dollars US pour les compagnies aériennes japonaises entre février et avril). Au milieu du mois de mars, le gouvernement annonce un deuxième ensemble de mesures d'urgence de 4,2 milliards de dollars US, comprenant des subventions pour les indépendants et pour les parents obligés de rester à la maison en raison de la fermeture des écoles.
Au moment où cet article est écrit, une décision majeure de politique économique est dans les tuyaux. Le gouvernement japonais prépare un plan de relance massif de 60 000 milliards de yens (556 milliards de dollars), soit près de 10 % du PIB, sous la forme d'un budget spécial qui doit recevoir l’approbation du Parlement. Les mesures envisagées comprennent des allègements fiscaux pour les petites et moyennes entreprises, des subventions visant à maintenir l’emploi, des assouplissements à destination des banques pour l’octroi de prêts et, probablement, des distributions ciblées de liquidités aux ménages éligibles.
Copyright : Philip FONG / AFP
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