Ces derniers mois, les émissions de gaz à effet de serre issues des technologies numériques ont pris une place médiatique importante, notamment du fait de la publication de rapports aux conclusions détonantes. Ainsi, les rapports du Shift Project et du Haut Conseil pour le Climat ont tous deux évoqué un accroissement sensible des externalités environnementales du numérique. Si ces chiffres ont pu faire l’objet d’importantes polémiques (voir ci-après), il ont eu le mérite de montrer combien ce sujet reste encore largement méconnu.
Malgré cela, le législateur a souhaité s’emparer de la question sans attendre. Ainsi, le Sénat a adopté le 12 janvier une proposition de loi transpartisane visant à "réduire l’empreinte environnementale du numérique". Celle-ci s’articule autour de quatre grandes idées.
Premièrement, faire prendre conscience aux utilisateurs de l’impact environnemental du numérique : informer, sensibiliser, et responsabiliser les usagers, particuliers et entreprises aux bonnes pratiques évitant le gaspillage ou l’utilisation disproportionnée d’énergie associée aux services numériques. Cela introduit d’une façon générale le principe de sobriété numérique.
Deuxièmement, limiter le renouvellement des terminaux numériques, dont la fabrication est le principal responsable de l’empreinte carbone du numérique en France. La proposition de loi vise notamment à sanctionner l’obsolescence logicielle, à améliorer la lutte contre l’obsolescence programmée et à soutenir les activités de reconditionnement et de réparation par une baisse du taux de TVA à 5,5 %.
Troisièmement, promouvoir des usages numériques écologiquement vertueux, en rendant notamment obligatoire l’écoconception des sites web et prévoyant l’instauration d’un référentiel général de l’écoconception.
Enfin, quatrièmement, faire émerger une régulation environnementale pour prévenir l’augmentation des consommations et émissions des réseaux et des centres de données.
Ces propositions font suite à un rapport du Sénat essayant d’évaluer les impacts environnementaux de toute la chaîne de valeur du "secteur numérique", des terminaux aux centres de données en passant par les réseaux.
On ne peut évidemment que louer une telle approche qui, dans le monde actuel et à venir, dans lequel la contrainte environnementale doit devenir une exigence première, ne fait que porter la lumière sur un secteur qui n’a pas fait de cet enjeu une priorité (probablement parce qu’il se percevait comme suffisamment à l’avant garde de la modernité pour s’affranchir d’un regard critique sur ses externalités).
Mesurer l’impact environnemental du numérique : un enjeu considérable
Il n’en reste pas moins que mesurer l’impact environnemental du numérique est d’une grande complexité. L’effet rebond, la théorie souvent évoquée selon laquelle les améliorations technologiques augmentent la facilité d’utilisation d’un service, et donc sa consommation, est percutante mais très difficile à mesurer, et cela pour plusieurs raisons.
Notons tout d’abord que, en une vingtaine d’années, le coût d’administration de la donnée a été divisé d’un facteur de l’ordre de 70 000 : un système de traitement et de stockage qui coûtait un million d’euros en 1995 ne valait plus qu’une quinzaine d’euros en 2015. Ce principe s’applique à la performance de calcul, de stockage et de transport (du fait de la prédiction de Moore) et se retrouve également, avec des échelles variées, à l’efficacité énergétique. Ainsi, un ordinateur des années quatre-vingt-dix tel que le Macintosh II consommait 230 watts et son écran 205 watts, soit un total de 435 watts. Il est incomparablement moins puissant (150 000 fois moins de transistors) qu’un smartphone Samsung S8 de 2016 qui, lui, consomme entre 8 et 12 watts lorsqu’il est utilisé.
L'univers numérique est un domaine où les ruptures technologiques sont constantes. Ainsi, le processeur le plus "puissant" du marché - le Nvidia A100 tensor, comprenant 52 milliards de transistors - voit sa suprématie contestée par un processeur d’un genre nouveau, n’utilisant plus des électrons mais des photons, développé par l’entreprise Lightmatter, qui offre des performances de 1,5 à 10 fois supérieures pour une consommation d’énergie 6 fois moindre. Ce type d’innovations de rupture est plus fréquent qu’on ne l’imagine généralement et celles-ci s’appliquent également aux architectures technologiques. Ainsi, un centre de données récent utilisant des technologies de refroidissement dites "adiabatiques" peut consommer 40 % d’énergie en moins que son équivalent utilisant des technologies numériques traditionnelles.
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