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11/05/2017

Les défis du président Macron

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Les défis du président Macron
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Italie, Démocratie et Populisme

 

Marc Lazar, Professeur d'Histoire et de sociologie politique à Sciences Po et Président de la School of government de la Luiss (Rome), revient sur l'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République et sur les défis qui l'attendent.

La France a donc élu un jeune prince républicain. Le 7 mai 2017 marque un tournant de la vie politique française. Emmanuel Macron est le plus jeune président de la République de notre pays, battant de quelques mois Louis-Napoléon Bonaparte âgé de 40 ans lorsqu’il emporta l’élection de décembre 1848. Il a marginalisé, pour le moment du moins, les deux principaux partis de gouvernement de droite et surtout de gauche qui dominaient la vie politique nationale depuis plus de 40 ans. Il a fait le pari que le vieux clivage entre la droite à la gauche, celui dont l’historien René Rémond disait qu’il formait la summa divisio de la France structurant la compétition politique mais aussi les cultures et les mentalités, était en voie d’épuisement, et qu’on pouvait le dépasser en opposant les progressistes aux conservateurs. Il arrive au pouvoir un an seulement après avoir constitué son propre mouvement, performance que seul, en Italie, dans un tout autre genre, avait réussi Silvio Berlusconi qui en quelques mois, en 1994, avait fondé un parti et gagné une campagne éclair. Ses propositions sont de facture libérale en économie et pour le marché du travail, mais un libéralisme à la française où l’État reste toujours présent, et de gauche pour la formation, l’école, l’immigration et les questions de société. Il a tenté d’insuffler de l’optimisme dans un des pays les plus pessimistes du monde et joué la carte de l’innovation, notamment avec le numérique. Enfin, il a fait de l’Europe l’un de ses arguments fondamentaux de campagne, ce qui n’avait jamais été le cas. Ce qui explique l’engouement qu’il suscite dans les chancelleries de l’Union européenne et à Bruxelles.

Mais la tâche qui l’attend est immense. Emmanuel Macron doit relever d’innombrables défis. Il lui faut déjà une majorité au Parlement et rien n’est moins sûr. Mais à qui lui ferait remarquer qu’il prend un risque considérable en envoyant à la bataille ses amis d’En Marche ! dont la moitié devrait être de nouvelles pousses, il répondrait que les mêmes le dissuadaient l’an dernier de partir à la conquête de l’Élysée ou lui conseillaient de se présenter aux primaires socialistes du mois de janvier. L’homme a tranché deux fois et deux fois il a vu juste. Beaucoup de son avenir dépendra donc du résultat des législatives des 11 et 18 juin. Ce sont celles-ci qui lui permettront ou pas de réaliser son projet et d’exercer le pouvoir comme il l’entend. S’il dispose d’une majorité à lui tout seul, sa conception quelque peu gaullienne de la politique qu’il a esquissée à plusieurs reprises et qui a été illustrée par la mise en scène de sa traversée de la cour Napoléon du Louvre le 7 mai au soir – la rencontre d’un homme quasi providentiel qui ne craint pas la solitude du pouvoir avec le peuple - contrebalancée par sa volonté de partir "du bas" pour prendre en compte les aspirations de la population, pourra se déployer. Sinon, il devra faire des compromis. Dans les deux cas, cela ne sera pas simple.

Car il a vaincu mais pas convaincu. Marine Le Pen a certes été battue mais elle a agrégé plus de 10 millions de suffrages, ce qui est inédit. L’abstention élevée et le nombre des suffrages blancs et nuls record attestent une profonde insatisfaction par rapport aux deux rivaux. Toutes les enquêtes d’opinion ont révélé qu’Emmanuel Macron a gagné par défaut : seuls 16% de ses électeurs, selon Ipsos, ont voté pour lui par approbation de son programme. La France est fracturée politiquement. En Marche ! formera une constellation centrale, hétéroclite mais unie sur un sujet essentiel, l’Europe. Les Républicains, divisés, chercheront à résister, le Parti socialiste, lui aussi déchiré en interne, risque de connaître une Bérézina. Enfin, il est possible qu’émergent deux pôles d’opposition, à l’extrême droite et à l’extrême gauche. Deux extrêmes décidés à en appeler au "peuple", qui poursuivront, au-delà de leurs divergences politiques et de leurs différenciations sociologiques, des buts communs : abattre le nouveau Président, faire capoter ses réformes, fustiger l’Europe. Une vaste recomposition du paysage politique est donc en cours. Le pays est fragmenté socialement, géographiquement, culturellement et selon les générations, avec une partie de la population qui souffre, a peur (67% des Français selon Ipsos), broie du noir, gronde (70% des Français sont en colère) et fait preuve d’une immense défiance à l’égard de ses responsables politiques, de ses classes dirigeantes qu’elle rejette et parfois déteste. Certaines réformes, à commencer par celle du marché du travail, seront donc difficile à faire passer. D’autant que le président Macron ne suscite guère d’enthousiasme (47% des Français ne l’aiment pas) et qu’il ne bénéficiera donc pas d’un état de grâce.

Il n’a donc pas seulement à relancer une économie toujours mal en point, ce qui constitue d’ailleurs un handicap dans la négociation avec l’Allemagne qu’il veut vite engager. Il lui faudra à la fois protéger les plus faibles et encourager les plus entreprenants. Il devra satisfaire aux exigences contradictoires de citoyens qui veulent un Président qui leur serve de référence mais qui les écoute également, car l’aspiration démocratique est forte. Il s’agira aussi de redonner confiance, refaire société, tisser un nouveau rapport entre les populations et leurs élites. De vastes chantiers pour ce jeune homme.

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