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03/05/2017

“Les Français, en choisissant leur prochain président de la République, jouent un rôle mondial”

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“Les Français, en choisissant leur prochain président de la République, jouent un rôle mondial”
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Quel regard le monde porte-t-il sur l'élection présidentielle française ? Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse la situation.

Quel regard porte le reste du monde sur l’élection présidentielle française et quelle place occupe l’actualité internationale dans cette campagne ?

Un véritable contraste nous frappe en cette élection présidentielle. Il n’y a jamais eu, dans l’histoire de la Vème République, d’élections qui aient tant captivé l’intérêt international pour notre pays. Au-delà de l’Europe, le monde entier s’intéresse à ce qui se passe en France : de l’Amérique latine à la Russie de Poutine et de la Chine aux États-Unis de Trump. À l’inverse, l’actualité internationale et la politique étrangère n’occupent que très peu de place dans la campagne en France. Il existe donc un vrai décalage entre l’attention qui nous est portée et l’attention que nous portons au reste du monde depuis plusieurs mois.

L’intérêt du monde pour la France est compréhensible. Nous nous situons presque dans une élection "à l’Américaine" : en ce que l’on sent que le résultat des élections françaises aura un impact sur l’équilibre régional et sur le reste du monde. En effet, une victoire de Marine Le Pen serait synonyme de la fin du projet européen et constituerait un gain pour tous ceux qui souhaitent affaiblir l’Europe. À l’inverse, si Emmanuel Macron est élu le 7 mai prochain, le résultat sera non seulement perçu comme une victoire pour le camp des démocrates en France, mais aussi et surtout comme une victoire pour le projet européen et pour le camp de la démocratie. Dans ce contexte, on peut affirmer que les Français, en choisissant leur prochain président de la République, jouent un rôle mondial.

L’élection présidentielle française pourrait-elle constituer une troisième impulsion à l’élan anti-système en application de la logique "jamais deux sans trois" après le Brexit et la victoire de Donald Trump ?

La victoire du camp du Brexit suivie de l’élection de Trump font régner une sorte de Schadenfreud (joie malsaine) au Royaume-Uni et aux États-Unis à l’égard de nos élections. Les peuples britanniques et américains regardent la France en se disant que s’ils ont commis ces erreurs, les Français iront inévitablement dans la même direction. Si on suit cette logique, Marine Le Pen a ses chances de remporter l’élection le 7 mai prochain.

À la formule "jamais deux sans trois" ma réponse est oui, nous assisterons à la réalisation de ce dicton, mais celui-ci aura une toute autre signification. Nous nous sommes beaucoup attardés sur les scrutins britanniques et américains, et la présence de Marine Le Pen au second tour n’a été une surprise pour personne. Cependant en regardant l’Europe de plus près, on s’aperçoit que d’autres événements ont structuré l’actualité politique ces derniers mois. Après la victoire en Autriche d’un candidat écologiste alors que le candidat d’extrême droite était favori, après la défaite au Pays-Bas du parti de Geert Wilders, battu assez sèchement, Emmanuel Macron incarne une alternative optimiste face à l’extrême droite française. Sa victoire prouverait que l’Europe ne succombera pas aux forces populistes nationalistes, à l’image des dérives polonaise, hongroise et turque, et que ces dernières ne sont pas irrésistibles. En France un modèle beaucoup plus conforme aux principes du projet porté par l’Union européenne pourrait donc l’emporter.

Au vu des récentes déclarations de Marine Le Pen, sommes-nous en mesure de parler d’une "Trumpisation de sa campagne" et plus généralement pouvons-nous effectuer un rapprochement entre l’élection présidentielle française et l’élection présidentielle américaine de 2016 ?

Nous assistons en effet à une "Trumpisation" de Marine Le Pen. Non pas au sens du programme du candidat Trump mais au sens de ses cent premiers jours en tant que président, qui ont été marqués par des retournements, des incohérences et des contradictions flagrantes. Les prises de positions adoptées pendant l’entre-deux tours par Marine Le Pen sur l’Euro ou sur l’Europe ont été légitimement dénoncées par Macron : son programme bascule dans l’incohérence. Le modèle de Trump est intéressant car loin d’encourager les Français à voter pour Marine Le Pen, il permet aux électeurs de réaliser qu’il serait préférable d’avoir un président plus cohérent avec l’ordre établi.

Néanmoins il existe une différence majeure entre la France de 2017 et les États-Unis de 2016 concernant la perception que les Français ont d’Emmanuel Macron et la perception que les Américains avaient d’Hillary Clinton. La candidate du parti démocrate, sans porter un jugement sur les qualités qui auraient été les siennes si elle avait remporté l’élection, n’était pas une bonne candidate pour son parti. Macron apparaît comme beaucoup plus pugnace, jeune, et sur le terrain. Il n’a donc pas les handicaps qu’avait Clinton, qui incarnait une élite bureaucratique.

Toujours dans le cadre d’une comparaison avec les États-Unis, en affirmant que nous assistons à une élection à l’Américaine dans son style et dans son importance, il fait sens d’effectuer une comparaison au niveau des personnalités des candidats. Emmanuel Macron concilie l’apparence de Kennedy en 1960 et la consistance intellectuelle et le style de campagne d’Obama en 2008. S’il remporte la présidentielle et dispose des marges de manœuvre nécessaires pour gouverner, Macron représentera un tournant dans l’histoire démocratique en France. Obama a fait tomber le mur de la couleur de la peau en 2008, on pourra dire qu’Emmanuel Macron a rétabli la croyance en la démocratie en Europe en 2017.

Si on pousse la comparaison avec la politique américaine jusqu’au bout, on peut affirmer qu’en 2017, les Français s’apprêtent à voter comme les Américains l’ont fait en 2008. Si Macron échoue, les Français en 2022 voteront de la même manière que les Américains en 2016, nous plaçant ainsi dans une continuité tragique. La responsabilité d’Emmanuel Macron est donc considérable et est à la hauteur des espoirs - peut être trop grands - que l’on place en lui.

En 1973, Henry Kissinger parlait de "l’année de l’Europe". Irons-nous plus loin en 2017, en parlant de "l’année de la France ?" Celle-ci coïncidera-t-elle avec un rebond de l’Europe ? Cela reste à voir…

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