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27/03/2017

L’Amérique ne peut se passer ni de l’Europe, ni de la Chine

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L’Amérique ne peut se passer ni de l’Europe, ni de la Chine
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pourles Echos.

Après avoir ? fort mal ? reçu Angela Merkel, Donald Trump accueillera Xi Jinping le mois prochain. Malgré ses provocations, le président américain a besoin d'une Europe forte et des capacités économiques de la Chine.

"Le camp du Drap d'Or". C'est en 1520 que François Ier et Henry VIII cherchèrent à s'impressionner l'un l'autre dans une rencontre qui restera dans l'Histoire, plus pour la magnificence de son cadre que pour la clarté de ses résultats diplomatiques. Les historiens décriront-ils un jour la première rencontre entre les présidents Xi Jinping et Donald Trump, qui se tiendra le mois prochain à Mar-a-Lago - la "Maison-Blanche d'hiver" de Donald Trump -, comme l'équivalent contemporain du camp du Drap d'Or ?

Symbole de la complexité de notre monde, on compterait presque aujour­d'hui sur le leader communiste pour donner des leçons de libéralisme économique au nouveau président américain...

En l'espace de quelques semaines, Donald Trump aura reçu la chancelière d'Allemagne et le président chinois, les leaders de deux pays qui sont désormais perçus, depuis l'arrivée du nouveau président à la Maison-Blanche, comme des alternatives possibles aux États-Unis. En termes de leadership moral pour l'Allemagne et de leadership économique, sinon global, pour la Chine. La chancelière d'Allemagne est de plus en plus décrite comme le vrai leader du "monde libre", tandis que le président chinois est celui qui pourrait succéder un jour au président des États-Unis comme le leader du monde tout court. Le problème, bien sûr, c'est qu'aucun de ces "héritiers possibles" ne se sent désireux ou prêt à prendre ce relais, considéré comme trop lourd. L'Amérique de Donald Trump a beau être hypernationaliste, protectionniste, imprévisible et plus encore, peut-être incohérente, elle n'est pas non plus volontaire pour transmettre officiellement ou officieusement à d'autres le fardeau des responsabilités mondiales.

La carotte et le bâton

En recevant de matière glaciale Angela Merkel , Donald Trump entendait faire passer un message politique à son électorat d'abord, à l'Allemagne ensuite : "Nous n'avons pas les mêmes valeurs : vous croyez en l'Europe, à l'ouverture des frontières, en matière de réfugiés comme en matière de biens. Vous avez tout faux. Votre grand voisin de l'est, la Russie, est beaucoup plus réaliste que vous."

Trump voudra-t-il demain séduire son hôte chinois par le luxe un peu clinquant de sa "Maison-Blanche d'hiver", ou le menacera-t-il d'une guerre commerciale, au nom de "l'Amérique d'abord", si la Chine ne consent pas à créer des emplois sur le sol américain, et à des sacrifices en matière de commerce ? Il y aura sans doute un peu des deux, dans le discours de Trump, avec un rythme qui semble devenir sa marque de fabrique, la carotte d'abord, le bâton ensuite.

En réalité l'Amérique a autant besoin de l'Allemagne et de la Chine que ces deux pays ont besoin d'elle, et ce, pas seulement en matière d'échanges commerciaux. L'Amérique, contrairement à ce qu'elle proclame aujourd'hui, a besoin d'une Europe plus forte, plus confiante et plus stable, derrière l'Allemagne et, si les électeurs français en décident ainsi, derrière un couple franco-allemand rééquilibré et renforcé. De la même manière, une guerre commerciale serait parfaitement contraire aux intérêts de Pékin et Washington. Les deux pays ont plus que jamais besoin l'un de l'autre, pour poursuivre leur croissance du côté chinois, pour retrouver l'équilibre financier du côté américain. Même en matière d'infrastructures, la nouvelle priorité de Donald Trump, si l'Amérique veut aller vite, elle a besoin de la Chine. Objectifs américains et capacités chinoises vont de pair, dans ce domaine comme dans bien d'autres.

Passage de flambeau

Pourtant, dans les années à venir, moins d'Amérique signifiera nécessairement plus d'Allemagne et plus de Chine. Toute la question est de savoir si, à leurs niveaux respectifs, Berlin et Pékin veulent et peuvent prendre une part plus importante dans les affaires du monde. Cela suppose que l'Allemagne transcende pleinement le traumatisme historique qui a été le sien pour retrouver un rôle à la hauteur de ses moyens économiques. Or ce traumatisme est toujours présent chez elle, et en partie au moins dans la mémoire de ses voisins, à l'est bien plus qu'à l'ouest bien sûr. L'Allemagne ne peut continuer à consacrer 1,2 % de son budget à ses dépenses de défense et de sécurité. Elle doit mettre une part plus significative de sa richesse au service de la protection des frontières de l'Europe et à la stabilisation de pays situés de l'autre côté de la Méditerranée comme la Libye. Elle ne peut se contenter de servir de modèle ou de contre-modèle (c'est une affaire de point de vue) en matière d'accueil des réfugiés.

Un passage éventuel de flambeau suppose aussi que la Chine, fière de retrouver le statut qui était le sien jusqu'au début du XIXe siècle, accepte de dépasser son égoïsme sacré pour jouer un rôle plus important et responsable dans son environnement régional et tout particulièrement à l'égard de la Corée du Nord. On peut penser que Washington agiterait moins la menace de la guerre si Pékin exerçait enfin des pressions économiques sérieuses sur le régime de Pyongyang. Au moment où Washington semble prêt à sacrifier ses dépenses de soft power pour une interprétation désormais anachronique de la puissance, Pékin doit joindre les actes à la parole. Se présenter comme le nouveau champion du multilatéralisme ou de la mondialisation contribue certes au soft power de la Chine, mais demeurera insuffisant tant que l'empire du Milieu retrouvé se contentera de poursuivre trop visiblement la seule défense de ses propres intérêts.

C'est bien là le cœur du problème : un monde se termine, un autre n'est pas prêt à lui succéder. La Chine ne deviendra jamais universaliste et son internationalisme est encore timide. L'Allemagne, par contre, peut être un modèle de réussite économique, de rigueur morale et de confiance, mais elle s'est reconstruite depuis plus de soixante-dix ans à partir d'une distance méfiante à l'encontre de la notion de puissance au sens classique du terme. L'Amérique n'est plus l'Amérique, mais elle n'a pas, et sans doute pour longtemps, de successeur.

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