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06/03/2017

Le conflit israélo-palestinien peut-il se résoudre sans arbitre ?

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Le conflit israélo-palestinien peut-il se résoudre sans arbitre ?
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pourles Echos.

Un ou deux États ? En Israël, les propos de Trump sur le Proche-Orient ont suscité plus d'interrogations que de réponses. La seule solution pour imposer la paix ne peut venir que de la base et non plus du sommet.

"Si vous ne partagez pas ce jouet, je vous le retire." Entre le King David Hôtel à Jérusalem et la tour du YMCA qui lui fait face se situe un petit jardin d'enfants. Je suis le témoin d'une scène on ne peut plus banale, mais qui, en ces lieu et heure, devient incroyablement symbolique. Une institutrice essaie, non sans mal, de séparer deux bambins qui se disputent une modeste pelle.

De fait, aujourd'hui, sur le terrain du plus vieux conflit du monde, personne ne joue plus le rôle dévolu à l'institutrice, personne ne semble plus pousser Israéliens et Palestiniens à partager la terre sur laquelle ils cohabitent de manière toujours plus déséquilibrée. La France a eu beau convoquer une conférence internationale sur le sujet, personne ne semble y prêter la moindre attention. Ce que l'on retient, par contre, ce sont les déclarations contradictoires de Donald Trump et de certains de ses porte-parole, comme la nouvelle ambassadrice aux Nations unies, Nikki Haley. Faut-il "un ou deux États" ? Quelles sont les intentions du locataire de la Maison-Blanche ?

L'ambiguïté n'est pas, dans ce cas précis, le fruit de l'amateurisme et de la ­confusion, mais le produit d'une volonté délibérée de gagner du temps. Il est urgent de ne rien faire, ou plutôt de détourner l'attention sur une autre voie, beaucoup plus séduisante, parce que beaucoup plus globale. Oubliés Oslo ou Camp David, dépassée la négociation directe ente les deux parties. Aujourd'hui, une solution régionale s'impose. Il faut élargir la négociation, pour déboucher sur une paix qui transcende la simple dimension Israël-Palestine du conflit et couvre l'ensemble des relations entre l’État hébreu et le monde arabe. Il y a une "opportunité sunnite" immédiate, unique, qu'il convient de saisir avant qu'il ne soit trop tard. Israël et les régimes sunnites du Golfe, au premier rang desquels l'Arabie saoudite, ont un ennemi commun, l'Iran, toujours plus ambitieux et menaçant, qui a déjà déployé plus de 75 000 combattants chiites dans l'ensemble de la région, de la Syrie à l'Afghanistan.

Une vision irréaliste

Peu importe que le plan Abdallah ait été proposé par la partie arabe dès 2002, et qu'Israël l'ait peu ou prou ignoré, la solution est là, incomparable, et elle peut passer par un ou deux États. C'est du moins ce que semblent impliquer les déclarations initiales de Donald Trump, faisant écho à certaines visions de la droite israélienne. Mais faut-il prendre au sérieux une telle démarche ? Certes, les monarchies sunnites ont peur de l'Iran, mais elles sont avant tout soucieuses de la survie de leurs régimes. Comment pourraient-elles s'engager dans un processus de paix avec Israël si l’État hébreu continuait sa politique d'implantations et se refusait à la moindre concession ? Cette vision d'un accord entre sunnites et Israël, sous la bénédiction de Washington, est au moins aussi irréaliste que pouvait l'être dans les années 1970, avant la révolution iranienne, celle d'un triangle stratégique régional "non arabe" entre Téhéran, Ankara et Jérusalem.

De fait, ni le gouvernement israélien ni l'Autorité palestinienne ne semblent réellement se concentrer sur la problématique rouverte par les propos de Donald Trump : un ou deux États. A Jérusalem, le sujet qui domine toutes les discussions est celui de la relation avec la "nouvelle Amérique". L'élection de Donald Trump est-elle un bienfait qui tient du miracle, ou plutôt un cadeau empoisonné pour Israël ? Sur le plan idéologique, il existe une affinité certaine entre les orientations initiales de la présidence Trump et la majorité au pouvoir en Israël. On retrouve, de Washington à Jérusalem, un même mélange de nationalisme, sinon de populisme. On peut même se demander si Israël n'a pas ouvert la voie à l'Amérique sur ce chemin politique et culturel trouble. Mais plus de 70 % de la communauté juive américaine a voté contre Donald Trump et ne se reconnaît en rien dans les orientations et le style du nouveau président. Une large proportion de la population israélienne éduquée ne se reconnaît d'ailleurs pas davantage dans la politique et le style de Benyamin Netanyahu !

Approche bipartisane

Israël se trouve confronté à un dilemme. Au nom des intérêts mêmes de l’État juif, le gouvernement israélien peut-il prendre le risque de se couper des valeurs défendues avec détermination par la communauté juive américaine ? Alors que les actes antisémites, libérés par le climat de xénophobie ambiant, se multiplient sur le territoire américain, que doit faire Israël ? Se féliciter de la fermeté anti-iranienne de Washington ou garder ses distances avec un partenaire compromettant et de plus imprévisible ? Le "peuple du Livre" peut-il ­confier son avenir à l'homme des "faits alternatifs" ?

L'expression qui revient en permanence à Jérusalem est celle d'"approche bipartisane", comme s'il était plus que jamais nécessaire, face à la bipolarisation de l'Amérique, de pratiquer une double diplomatie. L'une qui traite avec l'exécutif et l'autre qui garde le lien avec la minorité démocrate au Congrès, et, plus globalement, avec la société civile libérale dans son ensemble.

Pendant que les politiques et les diplomates s'agitent, des hommes de bonne volonté agissent. Sur le territoire d'une colonie de peuplement proche de Jérusalem, j'ai rencontré des colons religieux qui dialoguent avec des Palestiniens. Pour eux, la terre appartient à Dieu et non aux hommes. Ils veulent substituer le respect, la non-violence et l'espoir à l'intolérance, à la haine et à la peur. Des rêveurs, des marginaux sans doute,mais, depuis sa création en 2014, l'organisation Roots a réuni plus de 20 000 personnes, Israéliens et Palestiniens confondus.

Le drame est que chaque partie, pour des raisons avant tout internes, préfère ne pas traiter de la question, persuadée sans doute que le temps joue pour elle. Le temps démographique pour les Palestiniens, le temps stratégique et technologique pour les Israéliens. En l'absence d'"institutrice" capable et désireuse d'imposer le partage, la paix ne peut venir que d'en bas et non d'en haut.

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