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01/06/2016

Réformes du marché du travail en Irlande: le "tigre celtique" rugit-il toujours?

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Réformes du marché du travail en Irlande: le
 Blanche Leridon
Auteur
Directrice Exécutive, éditoriale et Experte Résidente - Démocratie et Institutions


La réforme du Code du travail par ordonnances, premier chantier du quinquennat Macron, annonce des débats virulents, tant sur la forme que sur le fond. Avant la France, de nombreux pays européens se sont engagés sur cette voie. Comment ont-ils réformé leur marché du travail ? Quels sont les résultats ? Tour d'horizon dans six pays. Aujourd'hui : l'Irlande.

Blanche Leridon, Chargée d'études à l'Institut Montaigne, se penche sur l'Irlande, qui a connu une croissance économique à deux chiffres brutalement stoppée par la crise.

LE MARCHE DU TRAVAIL IRLANDAIS AVANT LES REFORMES

  • De la croissance explosive à la crise massive

Cas isolé en Europe, l’Irlande d’avant crise se caractérise par un dynamisme et une croissance sans équivalent dans l’Union. Alors que le pays figurait parmi les plus pauvres d’Europe dans les années 1980, on observe, dès les années 1990, un retournement radical de sa situation économique. En une vingtaine d’années seulement le pays, qu’on renomme alors "le tigre celtique", connait une ascension fulgurante, devenant l’un des Etats les plus riches de l’Union, avec une croissance de 11 % en 1999. Ces performances ne suffiront cependant pas à endiguer l’arrivée brutale de la crise en 2008. Au dynamisme expansif d’avant crise se substitue une récession, dont l’ampleur est tout aussi impressionnante. Le marché du travail irlandais en ressort profondément bouleversé : hausse du chômage, dégradation de la situation des moins de 25 ans et installation massive et pérenne du chômage de longue durée.

  • Trois crises simultanées ont ébranlé le tigre celtique

Le marché du travail irlandais a été ébranlé par trois crises simultanées. Une crise immobilière tout d’abord, alimentée par l’explosion de la bulle spéculative qui se développait depuis l’adoption de l’euro par l’Irlande. Une crise bancaire ensuite, très directement issue de l’éclatement de la bulle immobilière, suivie d’une contraction de l’économie réelle (14 % entre 2008 et 2009), et d’une hausse de la dette publique (120 % du PIB en 2011). Enfin, une crise brutale sur le marché du travail : en 2011, le chômage atteint son niveau record, avec un taux de 15,1 %, contre 4,8 % en 2007. La part du chômage de longue durée passe quant à elle de 30 à 60 % entre 2007 et 2012. L’importance du chômage, exacerbée par l’intensité de la crise, est également le fruit d’une inadéquation croissante entre l’offre et la demande de travail. L’Irlande est en effet passée d’une économie centrée sur le marché des biens à une économie structurée sur celui des services, nécessitant des compétences techniques et technologiques élevées, auxquelles le système de formation irlandais n’est pas en mesure de répondre.

LES REFORMES DU MARCHE DU TRAVAIL EN IRLANDE

  • Les premières réformes ont négligé la question de l’emploi

Uniquement focalisées sur l’aspect budgétaire, les réformes engagées au début de la crise n’ont traité qu’à la marge le problème de l’emploi. La réduction de la dépense publique est ainsi passée par la réduction des dépenses de l’Etat (6 milliards d’euros entre 2010 et 2013), la baisse de la masse salariale dans la fonction publique, ou encore la réduction des pensions des fonctionnaires. Les rares mesures portant directement sur le marché du travail concernaient les allocations chômages (passage de 188 à 144 euros par semaines pour les moins de 25 ans) ; la réduction du salaire minimum (de 8,5 à 7,5 euros pendant une année seulement), la réduction du temps de travail et la modération salarial. Toutes ces mesures accumulées font de l’Irlande le pays qui a appliqué la plus forte modération salariale en Europe entre 2008 et 2010 selon le COE.

  • Des réformes structurelles qui tardent à se mettre en place

Même au pic de la crise, le marché du travail irlandais continue d’être régi par une législation inchangée depuis la fin des années 1990. Le National Employment Action Plan de 1998 et le National Training Fund Act de 2000, efficaces en période de croissance, se sont retrouvés inopérants en temps de crise. Basés sur la formation, ces deux plans comportaient peu de mesures d’activation et l’accompagnement des demandeurs d’emploi y occupait une place mineure. Cette législation s’inscrit, en outre, dans un écosystème caractérisé par un droit du travail parmi les plus flexibles d’Europe, un système d’indemnisation du licenciement peu incitatif au retour à l’emploi et une place importante consacrée au dialogue social.

  • Un seul axe de réforme : l’activation

Il faut donc attendre 2011 pour assister à l’engagement de réformes structurelles spécifiquement dédiées à l’emploi. L’originalité de ces réformes réside dans l’unité de leur ambition : l’activation. Deux objectifs prévalent alors : le renforcement de l’accompagnement des demandeurs d’emploi et la refonte du système de formation

- Un accompagnement des demandeurs d’emploi renforcé
Pour permettre un meilleur accompagnement des chômeurs, c’est tout le service public de l’emploi (SPE) qui a été réformé. Initialement scindé en deux (un organisme en charge de l’indemnisation, un autre en charge de l’orientation), les deux antennes du SPE ont fusionné au sein d’une nouvelle agence : Intreo. A cette nouvelle structure s’agrègent de nouvelles méthodes : l’accompagnement des demandeurs d’emploi est désormais beaucoup plus ciblé, régulier et organisé. Parallèlement, des incitations financières sont mises en place pour favoriser le retour à l’emploi (exemption de la charge sociale universelle pour les faibles revenus) et des sanctions sont mises en place en cas de non-respect des engagements des demandeurs d’emploi. En 2013, le programme se réoriente vers les chômeurs de longue durée, dont la proportion ne cesse de croitre. Enfin, en 2015, le SPE irlandais opère une externalisation de ses activités de placement. Des agences de placement privées, dont une part de la rémunération dépend de la performance, se substituent donc au service public traditionnel, lui permettant une économie de l’ordre de 185 millions d’euros (données COE).

- Un système de formation refondé
Afin de mettre un terme à l’inadéquation persistante entre les compétences et les besoins du marché de l’emploi irlandais, une importante réforme du système éducatif est mise en place en 2013. L’Education Training Board Act et le Further Education and Training Act devaient en être les principaux piliers. Tout le système régional de formation est réorganisé (passage de 33 à 16 entités chargées de l’éducation et de la formation, transfert du pilotage des activités de formation à un nouvel organisme, le SOLAS). Vivement critiquées pour leur lenteur et leur manque d’ambition, ces mesures seront complétées par une réforme du système d’apprentissage et la mise en place de l’ICT Skills Plan, qui propose des formations dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, secteur où l’offre d’emploi est insuffisamment satisfaite.

LES EFFETS DES REFORMES

  • La vigueur retrouvée mais toujours plombée par le chômage de longue durée

Depuis décembre 2011, le taux de chômage n’a cessé de diminuer en Irlande, pour atteindre 8,4 % en avril 2016. Le chômage des moins de 25 ans décroit de façon tout aussi spectaculaire : de 81 000 en décembre 2009, on passe à 32 000 chômeurs en avril 2016. La croissance, de son côté, bondit : elle est de 7,8 % en 2015, soit la plus importante d’Europe. Malgré ces performances, un certain nombre de problèmes demeurent. Le chômage de longue durée est certainement le plus important d’entre eux. Il représente toujours près de 60,6 % du chômage total en 2016 selon l’OCDE et est supérieur de 14 points à la moyenne des pays de l’OCDE. Le taux d’emploi reste quant à lui nettement inférieur à son niveau de 2007 (63,6 % en 2016 contre 69,7 % en 2007).

L’Irlande doit donc poursuivre les efforts entrepris sur la réduction du chômage sans omettre sa principale composante : le chômage de longue durée. C’est à cette condition seulement que le "tigre celtique" pourra retrouver son dynamisme des années 1990-2000 et poursuivre son ascension fulgurante.

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