Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
17/12/2015

La crise ukrainienne : l’émergence d’une politique européenne de sécurité à géométrie variable ?

Imprimer
PARTAGER
La crise ukrainienne : l’émergence d’une politique européenne de sécurité à géométrie variable ?
 Institut Montaigne
Auteur
Institut Montaigne


Deux événements importants pour les relations entre la Russie et l'Union européenne (UE) se tiennent ce mois-ci. Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, s'est rendu au Forum économique international de Saint-Pétersbourg le 16 juin 2016 où il a rencontré le président russe : aucun haut responsable de l'UE ne s'était rendu en Russie depuis le début du conflit en Ukraine en 2014. Néanmoins, le Conseil européen va probablement renouveler les sanctions économiques à l'égard de la Russie qui prennent fin le 31 juillet 2016. Retour sur la crise ukrainienne, symptomatique de la dégradation des relations entre la Russie et l'UE.

Dans le cadre de l’édition 2015 du Forum de Genshagen pour le dialogue franco-allemand consacré au thème "la politique de sécurité européenne à la hauteur des défis du futur ? Jalons pour les 20 prochaines années",  l’atelier – "Quel rôle pour l’UE dans la nouvelle architecture de sécurité européenne ? Les conséquences de la crise en Ukraine" réunissait Hans-Peter Bartels, commissaire parlementaire aux forces armées (Ombudsman), ancien député au Bundestag (SPD) et président de la Commission de la défense, Hans-Dieter Heumann, ancien ambassadeur, directeur du Centre of International Security and Governance (CISG), ancien président de l’Académie fédérale pour la politique de sécurité (BAKS) et Maxime Lefebvre, ambassadeur, ancien représentant permanent de la France auprès de l’OSCE, il était modéré par Christian Lequesne, directeur de recherche au Centre des recherches internationales (CERI), Sciences Po Paris.

Le "conflit gelé" ukrainien, une crise symptomatique de la dégradation des relations entre la Russie et l’UE.

Suite au refus du gouvernement ukrainien de signer un accord d’association avec l’Union européenne, les premières manifestations pro-européennes de "l’EuroMaïdan" éclatent à Kiev en novembre 2013. Une escalade de violence déchire alors l’ex-République populaire, dans un conflit opposant les partisans d’un rapprochement avec l’UE aux militants prorusses. S’ensuit l’annexion de la Crimée en mars 2014, puis la proclamation de l’autodétermination, par les sécessionnistes, de la "République populaire de Donetsk" et de la "République populaire de Louhansk" dans l’est de l’Ukraine (région du Donbass). Après l’échec d’un premier protocole de paix en septembre 2014, les accords Minsk II, de février 2015, permettent finalement d’ébaucher un accord de cessez-le-feu fragile. L’Ukraine apparaît dès lors comme le terrain d’un nouveau "conflit gelé", après l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Moldavie.

La crise ukrainienne est au cœur d’une équation géopolitique complexe, dont font partie l’Ukraine et la Russie, mais aussi les États-Unis, l’Union européenne, et notamment les Etats membres qui partagent une frontière avec la Russie et l’Ukraine (Estonie, Lettonie, Lituanie et Pologne). Entretenant une politique étrangère ambiguë, la Russie semble imposer à l'Union européenne un calendrier imprévisible, dont l’Ukraine, après la Géorgie, serait désormais le nouveau théâtre de conflits. Les troubles qui agitent l’Ukraine depuis plus de deux ans sont ainsi symptomatiques des problématiques qui régissent les relations entre l’Europe de l’Ouest et la Russie depuis la fin de la guerre froide. L’hypothétique résolution de la crise ukrainienne constituerait-elle "la véritable conclusion de la fin de l’Histoire" ?

OTAN vs. Russie : le retour de l’outil militaire en Europe ?

Contrairement à l’Union européenne qui s’est construite à rebours des logiques militaires, la Russie refuse de se concevoir comme le membre additionnel d’une vaste coopération internationale entre États-nations. Elle perçoit ainsi le rapprochement de ses anciennes Républiques populaires avec l’UE ou l’OTAN comme une manœuvre pro-occidentale destinée à les soustraire à son spectre d’influence. La perspective d'adhésion de l'Ukraine à l'UE, via le partenariat oriental notamment, est ainsi apparue, aux yeux des Russes comme le franchissement d'une ligne rouge. Quant au déploiement par l’OTAN d’une forte présence militaire dans les pays Baltes, le long de la frontière russe en juin 2015, il constitue pour Vladimir Poutine "la démarche la plus agressive du Pentagone depuis la guerre froide". Si la guerre froide appartient désormais au passé – telle que l’illustre l’interdépendance des États, invalidant une conception bipolaire des relations internationales –, la Russie se conçoit toujours comme une grande puissance. Bien que l’UE se rassemble autour de valeurs communes, elle doit désormais également se réunir autour de priorités et d’intérêts stratégiques communs.

Construire une relation de confiance avec la Russie, partenaire économique et politique clé pour l’UE.

S’il apparaît complexe de définir les contours d’un partenariat entre l’UE et la Russie, son urgence n’est plus à démontrer. Dans un contexte international bouleversé par la crise syrienne, l’expansion de Daesh et les crises migratoires qui en découlent, la Russie est devenue un pays charnière pour la diplomatie de l’UE. Une relation renforcée avec la Russie permettrait à l’Union de lutter plus efficacement contre l’émergence d’un terrorisme totalitaire, menaçant sa sécurité intérieure comme extérieure. Or l’éloignement géographique n’empêche pas la Russie de penser les crises ukrainienne et syrienne de façon conjointe : la résolution de l’une est ainsi mise en balance avec la résolution de l’autre.

Bien que la doctrine militaire russe mette la provocation au cœur de sa diplomatie, la Russie n'en est pas moins fragile, du fait notamment de la baisse du prix du pétrole. Face à un élargissement européen parfois perçu comme une menace, la stratégie de l’Union doit donc être double : tout en maintenant des positions fermes, elle ne peut s’absoudre de tisser une vraie relation de confiance avec les Russes. Cela permettrait également à l’UE de s’émanciper d’une puissance américaine qui risquerait, à l’avenir, de diminuer son investissement dans la défense européenne.

Le "format Normandie" et les accords Minsk II : quand le couple franco-allemand s’impose à l’UE

La crise ukrainienne a poussé l’Union à s’affirmer comme un acteur géopolitique à part entière. Notamment, par une action commune à tous ses États membres, elle décrète la mise en place de sanctions économiques à l’encontre de la Russie, le 29 juillet 2014, qui sont aujourd’hui prolongées jusqu’en juin 2016. Par ailleurs, il a fallu une action resserrée autour du tandem franco-allemand, et avec l’appui de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE),  pour réussir à apaiser des tensions devenues paroxystiques entre l’Ukraine et la Russie.

En effet, en marge des commémorations des soixante-dix ans du Débarquement en Normandie, Vladimir Poutine et le nouveau Président ukrainien Petro Porochenko se rencontrent le 6 juin 2014 pour la première fois sous l’égide d’Angela Merkel et de François Hollande. Cette réunion quadripartite, dont le cadre inédit sera désormais désigné sous le nom de "format Normandie", amorce la reprise du dialogue russo-ukrainien, tout en promouvant un nouveau modèle de gestion de crise. C’est également par le "format Normandie" que les accords de Minsk II, définissant les conditions du cessez-le-feu, sont signés le 12 février 2015. Au-delà de l’efficacité contestée de ces accords, le couple franco-allemand est bel et bien parvenu à agir de façon conjointe. Face à un appareil européen difficile à piloter, la négociation sous un format réduit apparaît comme une solution efficace dans les perspectives courtermistes d’une gestion de crise. La persistance de ce nouveau mode d’action, parallèlement à la recherche d'une architecture européenne de sécurité, pourrait-elle constituer une alternative durable ?

En définitive, alors que la crise ukrainienne a mis en lumière les failles d’une politique étrangère européenne non-coordonnée, elle a également mis en avant les outils efficaces dont l’Union pouvait disposer. D’autant plus que, si les États membres possèdent aujourd’hui des intérêts géopolitiques communs, nombreux sont ceux qui demeurent encore "non alignés" : alors que la Pologne et les pays Baltes demandent un engagement accru de l’UE et de l’OTAN, par crainte d’une invasion russe, d’autres, comme la France, cherchent à les tempérer. Outre l’émergence d’une Union de la défense à géométrie variable, la résolution du conflit en cours illustre la pertinence d’une institution telle que l’OSCE. De par la transparence réelle des outils militaires dont l’organisation internationale dispose, elle représente une alternative de poids, contre un OTAN qui cristallise les craintes russes de velléités hégémoniques américaines.

Aller plus loin :
Penser l’Europe de la défense au Forum de Genshagen
Comment l’Europe peut-elle contribuer à la stabilisation et la sécurité dans son voisinage ? [Compte-rendu 2]
Consulter le programme
Lire le message du Président de l’Assemblée nationale française, M. Claude Bartolone

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne