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Rapport
MAI 2020

Seine-Saint-Denis :
les batailles de l'emploi
et de l'insertion

<p><strong>Seine-Saint-Denis : </strong><br />
les batailles de l'emploi<br />
et de l'insertion</p>
Rapporteure générale
Agnès Audier
Rapporteure Générale pour l'Institut Montaigne

Agnès Audier possède une longue expérience dans les secteurs privé et public. Elle est aujourd’hui administratrice de grands groupes cotés, Senior Advisor au BCG, et experte des sujets digitaux ou sociétaux. Elle porte une attention forte depuis 25 ans aux politiques publiques telles que la lutte contre l’exclusion ou la mobilité. Elle a accompagné de grandes organisations privées, parapubliques ou publiques, en tant que spécialiste des enjeux de transformation, notamment dans leurs volets humains et digitaux.

Baptiste Larseneur
Expert Résident et Responsable de projets - Éducation

Baptiste Larseneur est expert résident sur les questions d'éducation et responsable de projets liés au développement du capital humain et au développement économique des territoires à l'Institut Montaigne.

Personnes auditionnées

Les opinions exprimées dans ce rapport n’engagent ni ces personnes ni les institutions dont elles sont membres.

Les personnes auditionnées ou rencontrées dans l’élaboration de ce travail

  • Mohamed Amoura, chargé de mission au cabinet de la préfète déléguée pour l'égalité des chances de Seine-Saint-Denis, Préfecture de la Seine-Saint-Denis
  • Daniel Auverlot, recteur, Académie de Créteil
  • Matthias Avignon, directeur des opérations Ile-de-France, Adie
  • Gilles Babinet, conseiller sur les questions numériques, Institut Montaigne
  • Frédéric Bardeau, président cofondateur, Simplon
  • Anne-Leila Batel, responsable partenariats privés, Groupe SOS
  • Jacques Beltran, Vice President Global Affairs, Dassault Systemes
  • Abdelkader Bentahar, délégué aux partenariats inter-entreprises & institutionnel de Saint-Denis, SNCF
  • Jean-Jacques Blanc, directeur général, NQT
  • Douglas Cabel, Director innovation & market intelligence, OpenClassrooms
  • Michel Cadot, préfet, Région Ile-de-France
  • Thomas Cargill, chargé de mission attractivité économique, ANRU
  • Corinne Cherubini, directrice régionale, Direccte - Ile-de-France
  • Yazid Chir, président cofondateur, NQT
  • Mathieu Cornieti, président, Impact Partenaires
  • Mariane Cuoq, chargée de mission Innovation sociale et développement économique, ANRU
  • Nicolas Divet, responsable des relations publiques, Bayes Impact
  • Christophe Divi, directeur ESS 2024, Les Canaux
  • Eloy Dorado, directeur régional adjoint, Direccte - Seine-Saint-Denis
  • Jean-Benoît Dujol, directeur de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, délégué interministériel à la jeunesse, Ministère de l'Éducation Nationale et de la Jeunesse
  • Maylis Dupont, adjointe en charge du pôle expérimentation et innovation inclusive, Département de la stratégie, Ministère du Travail – DGEFP
  • Jean Dutoya, développeur de projets à impact, Directeur associé, Groupe Amnyos
  • Frédérique Fragonard, directrice associée, TimGrid
  • Louis Gallois, président, Fédération des Acteurs de la Solidarité
  • Romain Gardelle, sous-directeur en charge du développement territorial, Caisse d'allocations familiales de Seine-Saint-Denis
  • Hélène Genety, responsable partenariat et mécénat, Les Compagnons du Devoir
  • David Giffard, directeur général projets groupe, Groupe SOS
  • Aurélien Gomez, directeur des affaires territoriales, Air France
  • Nicolas Grivel, directeur général, ANRU
  • Alexandre Grosse, ancien chef de service du budget et des politiques éducatives territoriales, Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO)
  • Paul Guis, co-directeur, Le choix de l'École
  • Jean-Baptiste Hagenmüller, directeur du projet d’hôpital (APHP) du Campus Hospitalo-Universitaire Grand Paris Nord à St-Ouen, APHP
  • Saïd Hammouche, président fondateur, Mozaïk RH
  • Nicolas Hazard, président fondateur, INCO
  • Théodore Hoenn, chargé de Projet, Impact Partenaires
  • Jean-Marc Huart, ancien directeur général, Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO)
  • Olivier Klein, maire, Mairie de Clichy-sous-Bois
  • Céline Lains, directrice du programme urbanisme et innovation territoriale, Secrétariat général pour l'investissement (SGPI)
  • Elisabeth Le Masson, déléguée à la promotion économique et à l'emploi Grand Roissy - Le Bourget, Direction Environnement, RSE et Territoires, Groupe Aéroports de Paris
  • Xavier Lemoine, maire, Mairie de Montfermeil
  • Lorraine Lenoir, directrice des opérations, Social Builder
  • Olivier Léon, chef du service des études et de la diffusion, Insee
  • Catherine Lespine, Senior Advisor, INSEEC U
  • Yves Lichtenberger, professeur émérite, Université Gustave Eiffel
  • Esther Mac Namara, vice-présidente secteur public, OpenClassrooms
  • Vincent Marcadet, chargé de mission "Urbanisme et Territoires", Secrétariat général pour l'investissement (SGPI)
  • Benjamin Martin, ancien directeur des affaires publiques France, Uber
  • Stéphane Martinez, fondateur, Moulinot Compost
  • Bertrand Martinot, ancien directeur général adjoint en charge du développement économique, de l’emploi et de la formation, Région Ile-de-France
  • Christelle Meslé-Génin, présidente fondatrice, JobIRL
  • Abdellah Mezziouane, directeur de Projet Emploi à la Direction Générale des Services, Région Ile-de-France
  • Anne-Claire Mialot, préfète déléguée pour l’égalité des chances auprès du préfet de la Seine-Saint-Denis, Préfecture de la Seine-Saint-Denis
  • Marc-François Mignot-Mahon, CEO, Galileo Global Éducation
  • Jean-Baptiste Mouton, secrétaire général adjoint au rectorat, Académie de Créteil
  • Olivier Noblecourt, ancien délégué interministériel à la prévention et la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes (DILPEJ), Ministère des solidarités et de la santé
  • Marie-Christine Parent, directrice régionale Ile-de-France, Insee
  • Bruno Peron, directeur territorial, Pôle emploi - Seine-Saint-Denis
  • Matthieu Piton, chargé de mission emploi, formation, politique de la ville, éducation, Préfecture de la région d'Ile-de-France
  • Julie Pomonti-Messas, cheffe de projets et partenariats, Groupe SOS
  • Olivier Riboud, directeur pédagogie - programme éducation et insertion professionnelle, Fondation Total
  • Fabienne Rosenwald, directrice, Direction de l'évaluation de la prospective et de la performance (DEPP)
  • Olivier Salloum, directeur commercial, Moulinot Compost
  • Marianne Sénéchal, directrice de projet - Maîtrise d’œuvre des infrastructures de la ligne 16 du Grand Paris Express, Egis
  • Safia Tami, directrice des partenariats et du recrutement chez Industreet, Fondation Total
  • Jérôme Teillard, chef de projet réforme à l'accès à l'enseignement supérieur, Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI)
  • Chenva Tieu, fondateur, Entretiens de l'Excellence

Contributeurs

  • Baptiste Larseneur, chargé de projets, Institut Montaigne
  • Jean Owona, consultant, Boston Consulting Group
  • Thomas Pereira da Silva, chargé de projets, Institut Montaigne
  • Amaël Pilven, haut fonctionnaire

Ainsi que :

  • Victor Bus, assistant chargé d’études, Institut Montaigne
  • Florian Rosemann, assistant chargé d’études, Institut Montaigne
  • Emilie Siguier, assistante chargée d’études, Institut Montaigne

 

Ainsi que le cabinet du président du département de la Seine-Saint-Denis et les services départementaux.

Que connaissons-nous réellement de la Seine-Saint-Denis ? Ce département est un territoire paradoxal. Lieu d’accueil de sièges sociaux de grandes entreprises, vitrine que la France offre au monde lors d'événements planétaires tels que la Coupe du Monde de football ou les Jeux Olympiques, ce département est également celui d’une grande pauvreté, des émeutes de 2005 ou de l’explosion du communautarisme.

Plongée dans une profonde crise sociale et économique suite à la désindustrialisation qu’elle a connue dans les années 70, la Seine-Saint-Denis fait l’objet d’une tentative de reconquête par les pouvoirs publics depuis les années 80.Objet de toutes les politiques, de tous les dispositifs prioritaires, de toutes les expérimentations, la Seine-Saint-Denis attire l’attention des autorités publiques qui tentent d’assurer son bon développement. L’Institut Montaigne, avec le soutien de J.P. Morgan, a souhaité conduire un travail relatif à l’insertion et à l’accès à l’emploi dans ce territoire complexe et très particulier. Pourquoi plusieurs décennies d’intervention des pouvoirs publics n’ont pas permis d’endiguer la constitution d’une extrême pauvreté et de générer des chemins vers l’emploi pour des milliers de Séquanos-Dionysiens ? De quelles opportunités dispose la Seine-Saint-Denis pour permettre aux personnes les plus éloignées de l’emploi de vivre du fruit de leur travail ? De quels atouts disposent le département dans les années à venir ?

Ce travail formule l’hypothèse qu’avec une meilleure coopération entre les différents acteurs, les politiques déployées pourraient être beaucoup plus efficaces. Il s’attache donc à mieux comprendre leurs interactions et ce qui se joue à l’intersection de la mise en œuvre des politiques publiques nationales, de l’action des collectivités locales, des acteurs de l'économie sociale et solidaire et des entreprises. Il identifie également les opportunités à venir, notamment la vague exceptionnelle de grands travaux prévus dans les vingt prochaines années, ainsi qu’un ambitieux projet de transformation numérique.

Connaissez-vous vraiment la Seine-Saint-Denis ?

1
Quel est le montant des investissements publics programmés dans le département sur les vingt prochaines années ?
2 Mds d’euros
10 Mds d’euros
20 Mds d’euros
Bonne réponseMauvaise réponse
Le département est au cœur d’une vague exceptionnelle de grands chantiers appelés à poursuivre le développement du territoire et dont l’un des enjeux est de réduire les inégalités par rapport aux autres départements de l’Île-de-France. Le montant de ces grands travaux est estimé à 20 milliards d’euros pour la Seine-Saint-Denis.
2
Quelle est la part de la population qui est de nationalité étrangère ?
23,2 %
35,8 %
48,1 %
Bonne réponseMauvaise réponse
Une singularité démographique de la Seine-Saint-Denis est la proportion élevée de résidents étrangers dans sa population. Selon le dernier recensement de 2015, dans le département, 23,2 % de sa population était de nationalité étrangère, contre 6,5 % en France métropolitaine.
3
Quel est le nombre de travailleurs résidants hors du département et venant travailler chaque jour en Seine- Saint-Denis ?
36 %
43 %
55 %
Bonne réponseMauvaise réponse
L’examen des flux domicile-travail du département en 2015 montrait ainsi que 274 811 actifs travaillant en Seine-Saint-Denis résidaient dans un autre département (soit 43 % des emplois dans le département). A contrario, 339 830 habitants de Seine-Saint-Denis travaillaient dans un autre département.
4
Combien de grands projets prévus dans les années à venir dépassent 1 milliard d’euros d’investissement dans le département ?
Deux
Cinq
Sept
Bonne réponseMauvaise réponse
Cinq projets représentent un investissement public de plus d’un milliard d’euros dans le département : le Grand Paris Express (6,7 Mds €), le Charles de Gaulle express (1,8 Mds €), plusieurs infrastructures des futurs JO de 2024 (2 Mds €), l’aménagement du Terminal 4 et le développement de l’aéroport Paris-Charles-De-Gaulle (8 Mds €) et la réalisation du Campus hospitalo-universitaire Grand Paris Nord (1 Md €).
Quel est le montant des investissements publics programmés dans le département sur les vingt prochaines années ?
20 Mds d’euros

Quelle est la part de la population qui est de nationalité étrangère ?
23,2 %

Quel est le nombre de travailleurs résidants hors du département et venant travailler chaque jour en Seine- Saint-Denis ?
43 %

Combien de grands projets prévus dans les années à venir dépassent 1 milliard d’euros d’investissement dans le département ?
Cinq

Un territoire complexe à analyser

La Seine-Saint-Denis est un territoire de pauvreté réelle. Près d’un tiers des habitants vivent avec moins de 1 060 euros par mois (considéré comme le seuil de pauvreté). Le département est largement frappé par le chômage puisque sur les quarante communes qui le composent, onze connaissent un taux de chômage supérieur à 20 %, contre 8,1 % au quatrième trimestre 2019 en France métropolitaine. Ce dernier frappe particulièrement les jeunes puisque 28 % des personnes âgées de 18 à 24 ans sont sans emploi ni formation. Enfin, plus d’un habitant sur dix dans ce département est allocataire du RSA, contre 5,1 % en France métropolitaine.

Cependant, ce constat alarmant doit être relativisé pour trois raisons.

La Seine-Saint-Denis est un territoire hétérogène

L’analyse des indicateurs communaux permet d’établir une dissociation géographique des difficultés à l’intérieur du département.

Les communes les plus en difficulté sont celles de l’ouest du département et de la première couronne parisienne, où l’habitat collectif prédomine. Elles concentrent des difficultés socio-économiques importantes et ne bénéficient pas suffisamment du dynamisme économique liée à l’implantation d’entreprises dans le département. En revanche, les communes localisées dans la partie est du département et caractérisées par une plus faible densité de population et de vastes zones pavillonnaires, présentent des indicateurs comparables à la moyenne nationale.

Un département fortement créateur d’emplois

Depuis le début des années 2000, l’implantation d’entreprises privées issues du secteur de l’économie tertiaire se traduit par des créations d’emplois plus dynamiques dans le département qu’au niveau national. Malheureusement ces emplois ne profitent que trop faiblement aux Séquanos-Dionysiens. Ainsi, dans le département, le nombre d’emplois augmente nettement plus vite (+ 8,5 %) que le nombre de personnes en emploi (+ 0,9 %).

Cela s’explique par le fait que l’offre d’emploi de cadres et professions intellectuelles supérieures est plus élevée que les besoins de la main d’œuvre locale (1,3 emplois pour 1 actif occupé), tandis que l’offre d’emploi des ouvriers et employés est au contraire inférieure aux caractéristiques de la main d’œuvre locale (6 emplois pour 10 actifs). Ainsi, les employeurs du département sont contraints de recourir à une main d’œuvre extérieure pour obtenir le niveau de qualification souhaité, tandis que les résidents sont incités à sortir du département pour travailler.
 

Seine-Saint-Denis : les batailles de l'emploi et de l'insertion - Infographie dynamisme économique du territoire


Le phénomène de "sas"

La Seine-Saint-Denis compte 63 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) qui regroupent 39 % de la population du département. Dans ces QPV, les nouveaux arrivants disposent de revenus plus faibles que ceux qui y sont déjà installés, eux-mêmes disposant de revenus plus faibles que ceux qui quittent ces quartiers. Ainsi, les QPV joueraient pleinement un rôle de "sas" pour des populations fragilisées et contribuent à leur accession à une classe moyenne.

La stagnation des indicateurs socio-économiques en Seine-Saint-Denis trouverait donc son explication, non dans l’inconséquence des politiques publiques - qui permettraient une promotion individuelle - mais dans le renouvellement des populations qui est à l’œuvre dans ces quartiers.

Un département massivement aidé par les outils de la politique de la Ville

Si un sentiment d’abandon est souvent véhiculé par les acteurs locaux, la Seine-Saint-Denis a pourtant bénéficié durant les dernières décennies d’une succession de dispositifs prioritaires qui se sont progressivement étendus à plusieurs champs des politiques publiques.

Une mobilisation exceptionnelle principalement portée par les pouvoirs publics

Depuis l’origine, le département de la Seine-Saint-Denis fait partie des territoires ciblés par la politique de la Ville, qui se donne pour objectif de réduire les écarts de développement entre les quartiers et d’y améliorer les conditions de vie.

Des opérations "habitat et vie" lancées en 1977 aux quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), des ZEP (zone d’éducation prioritaire) lancée en 1981 aux REP, REP+ en passant par les ZRU (zone de redynamisation urbaine) ou ZFU (zone franches urbaines), la Seine-Saint-Denis a fait l’objet d’investissements massifs en matière de rénovation urbaine, de développement de l’activité économique ou de restauration de l’équité scolaire.

À titre d’exemple, la communauté d’agglomération de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil est le territoire qui a bénéficié du plus important plan de rénovation urbaine sur le territoire national avec un investissement de près de 600 millions d’euros pour une agglomération qui compte environ 60 000 habitants.

Une vague exceptionnelle de grands travaux

Après la construction du Stade de France ou l’implantation de nombreuses agences sanitaires susceptibles de dynamiser l’accès à l’emploi dans le département, la Seine-Saint-Denis, sous l’impulsion des pouvoirs publics et dans le prolongement des actions engagées, va être profondément redessiné durant les vingt prochaines années.

Une vague exceptionnelle de grands travaux, sans équivalent sur notre territoire national, y est programmée durant les vingt prochaines années. Cinq grands projets (le Grand Paris, la Cité olympique, l’extension de Roissy - Terminal 4 -, le CDG express et le nouvel hôpital de l’APHP) doivent sortir de terre pour un montant d’investissement public estimé dans le département à 20 milliards d’euros.

Un besoin de coopération entre les acteurs : un enjeu d’efficacité des importants efforts déployés

Dans les domaines de l’insertion et de l’accès à l’emploi en Seine-Saint-Denis, les relations entre les acteurs publics et privés sont perfectibles. L’étude ne nie pas l’insuffisance de financements qui rend impossible la conduite efficace de telle ou telle action, mais s’attache à démontrer qu’une meilleure coopération entre les acteurs corrigera l’échec des politiques publiques dans le domaine de l’emploi.

Les grands acteurs agissent selon leurs enjeux-ressources et contraintes

L’approche sociologique a permis d’établir que les acteurs présents sur le territoire, avant tout en quête de valorisation de leur action individuelle, ne parviennent pas à collaborer dans l’intérêt du territoire. Ils se livrent à une concurrence inefficace et sont guidés par l’atteinte d’indicateurs de gestion parfois incompatibles avec le suivi d’un dossier complexe et de long terme.

Ce manque de coopération est doublé d’outils ne favorisant pas le développement de projets structurants pour le département : nous nous intéressons ici aux contrats de ville et aux appels à projets.

Deux outils historiques de la politique de la ville "en butée"

Depuis plusieurs décennies, la mise en œuvre de la politique de la Ville s’est construite autour de contrats : les contrats de ville. Signés à l’échelle intercommunale, depuis 2014, ils sont ciblés sur les quartiers prioritaires et visent une triple action : sociale, urbaine et économique. Cette politique contractuelle présente plusieurs faiblesses :

  • Elle est d’abord un mécanisme de tour de table de financement de dispositifs avec recherche d’un "effet de levier", peu propice à la réalisation d'objectifs communs.
  • Elle est ensuite très éloignée d’une approche par publics prioritaires et portent davantage sur des approches territoriales.
  • Enfin, ces contrats sont signés et mis en œuvre par des acteurs qui connaissent une instabilité permanente rendant ainsi relativement inefficaces les ambitions et les actions contractualisées. À titre d’exemple, la Seine-Saint-Denis a connu quatre préfets différents sur ces dix dernières années et dix préfets depuis 2000.

Deuxième outil fréquemment utilisé dans le cadre de la politique de la ville, l’appel à projets engendre plusieurs effets pervers. Il induit une absence de coopération entre les acteurs issus de l’économie sociale et solidaire, d’une part, et une absence de réflexions communes sur les objectifs à atteindre et les moyens d’y parvenir, d’autre part. Ainsi, les opérateurs clés de la Seine-Saint-Denis sont rarement en situation de coopération, alors même que leurs savoir-faire sont davantage complémentaires que redondants.

Neuf dispositifs victimes de ces contraintes

Plusieurs enjeux clés sont insuffisamment pris en compte. Nous avons identifié neuf enjeux dont la résolution pourrait grandement accroître l’impact des efforts entrepris depuis plusieurs années par les acteurs en place :

  1. la politique RH des agents publics
  2. le financement du RSA (prestation et insertion)
  3. les dispositifs visant à l’apprentissage de la langue française
  4. les solutions pour les personnes en situation de handicap
  5. les solutions de garde d'enfants pour les demandeurs d’emplois
  6. l’orientation scolaire
  7. la création d'entreprise par les demandeurs d'emploi
  8. l'accompagnement des entreprises dans l'embauche
  9. les sujets de sécurité pour les grandes entreprises

Nous vous proposons d’accorder une attention particulière à deux d’entre eux.

L’enjeu de gestion des ressources humaines des fonctionnaires est identifié comme l’une des causes de l’inefficacité relative de l’action de l’État dans le département, particulièrement dans le domaine de l’éducation.
 

Seine-Saint-Denis : les batailles de l'emploi et de l'insertion - Infographie coopération entre les acteurs (éducation et RSA)

 

L’absence d’une véritable stratégie de gestion des ressources humaines dans le département aboutit, dans le domaine de l’éducation, à ce que des enseignants débutants soient affectés dans des établissements confrontés aux plus grandes difficultés scolaires et à un turnover important des équipes pédagogiques. À titre d’exemple, 35,7 % et 50 % des professeurs des écoles primaires et des enseignants du second degré restent moins de deux ans dans la même école ou le même établissement en Seine-Saint-Denis et le taux d’efficacité de la suppléance (le remplacement des enseignants absents) est de 51,26 %, c’est-à-dire près de 25 points inférieurs aux taux de suppléance sur toute la France (78,41 %). Cette situation induit une perte de temps scolaire qui peut être estimée à une année sur l’ensemble de la scolarité des enfants de Seine-Saint-Denis.

Autre sujet qui mérite une attention particulière, le financement des actions d’insertion et d’accès à l’emploi dans le département.

Aujourd’hui, le financement de la prestation de revenu de solidarité active (RSA) pèse trop lourdement sur le département. L’absence de compensation de cette charge, transférée par l’État en 2008, fait peser sur le Conseil départemental un reste à charge (différence entre les sommes allouées par le département et les recettes perçues de la part de l’État) de 215,2 millions d’euros.

Cette situation n’est plus tenable dans la mesure où elle a pour principale conséquence, par effet domino, une diminution de la part des financements dédié aux politiques d’insertion.

Faire de la Seine-Saint-Denis un territoire d’expérimentation numérique

Nous n'entendons pas assez le potentiel qu'a la Seine-Saint-Denis à se transformer du point de vue du numérique. Pourtant, elle possède de véritables atouts.

D’une part, les difficultés que ce département connaît permettent d’en faire un terrain idéal pour des disruptions et approches par "saut de grenouille". D’autre part, le territoire présente des atouts essentiels pour affronter la transformation numérique avec notamment la jeunesse de la population, la proximité de Paris et l’accès au marché du travail le plus dynamique de France en matière de numérique. Nous mettons en lumière trois pistes potentielles.

  • Le développement du numérique éducatif : les mauvais résultats scolaires enregistrés dans le département sont une limite importante à l’employabilité des jeunes. Face à ce problème, le numérique offre des pistes de solution en permettant l’individualisation des enseignements et en s’adaptant à la progression des élèves.
  • Le développement de la e-administration de façon plus importante qu’elle ne l’est aujourd’hui pourrait être une solution face aux problèmes rencontrés par la population (temps d’attente pour recevoir les aides sociales, complexité des démarches administratives, etc.).
  • L’optimisation des politiques publiques : une plus grande utilisation des données via les techniques de big data ou d’intelligence artificielle permettrait, sur la base de données bien structurées, de réaliser des analyses pour comprendre des phénomènes, anticiper des événements et ainsi mener des actions concrètes.

Quatre objectifs pour favoriser l’emploi en Seine-Saint-Denis

1
Crédibiliser l’action publique par une impulsion forte et volontariste d’un État exemplaire
Détails

Quelques exemples d’actions concrètes pour atteindre cet objectif :

  • Valoriser les actions de coopération entre les acteurs publics et privés et sanctionner les absences ou "prétendues" coopérations, qui entravent la réalisation des objectifs (collectivités locales qui sous-investissent sur des sujets politiquement peu porteurs, ou acteurs de l'économie sociale et solidaire qui préfèrent travailler seuls).
     
  • Faire évoluer les dispositifs contractuels (contrats de ville) pour aller vers des objectifs communs, par public, en valorisant les complémentarités des acteurs. De façon plus générale, privilégier des approches centrées sur l’identification de publics prioritaires et non plus seulement sur des domaines ou des territoires prioritaires.
     
  • Privilégier la rédaction d’appels d’offres visant des présentations en consortium, avec une complémentarité des répondants. Le "Pic expérimental" pourrait donner la direction.
2
Favoriser une coopération efficace entre acteurs publics et privés sur les enjeux d’emploi, d’insertion, d’école et d’enseignement supérieur
Détails

Quelques exemples d’actions concrètes pour atteindre cet objectif :

  • Poser collectivement un diagnostic précis sur des politiques publiques qui manquent d'attention ou de moyens, et qui limitent les résultats d'autres politiques. Ce diagnostic devrait permettre de réinvestir pour "dégripper" le fonctionnement des institutions pénalisées par des dysfonctionnements que l'on sait gérer lorsqu'on met en place les moyens. Ont notamment été identifiés au cours de notre réflexion :
    • le Français Langue Étrangère (FLE), en sortant ce dispositif des primo-arrivants ;
    • les classes de transition pour les plus de 16 ans qui maîtrisent mal le français ;
    • les solutions pour personnes en situation de handicap, notamment IME, ITEP et dispositifs d’accompagnement dans les classes ;
    • les places de gardes ou dans les crèches pour les femmes au RSA majoré (ou demandeuses d'emploi plus généralement) ;
    • l'orientation des jeunes du collège à l'université.
       
  • Accompagner le département pour qu’il puisse dégager des marges de manœuvre financières sur les sujets d’insertion, la situation actuelle conduisant à une impasse. La solution trouvée pour le département de La Réunion (reprise de la prestation du RSA par l’État à partir du 1er janvier 2020), après la Guyane et à Mayotte, pourrait servir de base de discussion.
     
  • Monter, avec tous les acteurs, un plan ambitieux d’insertion des allocataires du RSA facilité par une meilleure solidarité nationale sur le financement des prestations de RSA.
     
  • Monter un plan ambitieux d’accompagnement vers la création d’entreprise pour les demandeurs d’emploi et allocataires des minima sociaux, couvrant l’ensemble du département avec des opérateurs comme ADIE, les résultats en termes de sortie de la pauvreté étant très bons. Le sujet de passage à l’échelle serait essentiellement financier, puisque les actions entreprises localement donnent de très bons résultats.
3
Coopérer pour maximiser l’impact des grands travaux sous maîtrise d’ouvrage publique
Détails

Quelques exemples d’actions concrètes pour atteindre cet objectif :

  • Faire des clauses sociales un vecteur puissant de création d’emplois pour les Séquanos-Dionysiens : les clauses sociales imposent aux entreprises qui gagnent des marchés publics de réserver des heures à des publics loin de l’emploi. En Seine-Saint-Denis, l’ensemble des grands chantiers prévus devrait intégrer cette dimension. Cependant, plusieurs écueils apparaissent. D’une part, les clauses sociales peuvent être activées à l’échelle régionale et non nécessairement à l’échelle de la Seine-Saint-Denis et, d’autre part, le département doit être en capacité de proposer des profils adaptés aux donneurs d’ordre.
    Il est donc nécessaire :
    • d’organiser un suivi administratif des donneurs d’ordre afin de s’assurer de la mise en œuvre de ces clauses.
    • d’organiser le dispositif d’insertion pour qu’il puisse qualitativement et quantitativement être cohérent avec les besoins anticipables des entreprises répondant aux appels d’offre publics.
    • de clarifier le débat sur les publics prioritaires bénéficiant de ces clauses sociales.
       
  • Consolider les besoins prévisionnels d’emploi sur l’ensemble des grands chantiers engagés en Seine-Saint-Denis.
    À ce stade, les pouvoirs publics ne disposent pas d’une vision consolidée des besoins prévisionnels d’emploi dans le cadre des différents chantiers, ni des enjeux de leur gestion et des compétences au regard de l’ampleur des investissements consentis. Il n’y a d’ailleurs pas d’étude globale capable d’analyser les besoins d’emploi et leurs répartitions, sur l’ensemble des projets qui seront conduits dans le département de la Seine-Saint-Denis.

L’étude la plus approfondie concerne les Jeux Olympiques. Elle mériterait d’être étendue à l’ensemble des grands projets prévus dans le département. Cela permettrait d’adopter un raisonnement global, sur la durée.

4
Réussir la révolution numérique en Seine-Saint-Denis
Détails

Quelques exemples d’actions concrètes pour atteindre cet objectif :

  • Demander aux administrations et agences nationales qui lancent des actions d’e-administration d'envisager systématiquement des expérimentations en Seine-Saint-Denis.
     
  • De façon plus générale, travailler avec les acteurs de terrain sur la façon de lancer dans le département des initiatives ayant fait leurs preuves ailleurs, ou de passer à l’échelle les "POC" ("preuves de concept").
     
  • Construire une cartographie des initiatives digitales publiques et privées existantes, au-delà de celles que nous avons recensées dans ce rapport. Mobiliser en parallèle le CGI, l’ANRU et l’équipe PIC de la DGEFP sur les initiatives d’autres quartiers difficiles potentiellement mobilisables.
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