
François Godement, Conseiller pour l'Asie à l'Institut Montaigne
Tout État manie une politique étrangère déclarative. Ses actes peuvent différer de celle-ci. "L’hypocrisie organisée", pour reprendre l’expression de Stephen D. Krasner, est une particularité immuable des relations internationales : les normes sont reconnues mais sont aussi violées, à des degrés divers. Pourtant, cette même hypocrisie peut servir à préserver ou rétablir la paix, en empêchant un conflit généralisé, une escalade ou en offrant des portes de sortie négociées. Pour cela, il faut bien sûr que le langage diplomatique ne soit pas qu’un outil de propagande.
Depuis 2007, début du second mandat de Hu Jintao, le prédécesseur de Xi Jinping, le "soft power" est devenu un objectif affiché du Parti communiste chinois. Appliqué par les penseurs chinois aux relations internationales, le concept a trouvé sa traduction dans la notion de "pouvoir discursif" (话语权). Zheng Bijian, conseiller international de Deng Xiaoping qui a introduit par ailleurs l’idée d’une "ascension pacifique" de la Chine, fut aussi le premier à avoir recours à cette expression dans une interview accordée à la chaîne de télévision Shanghai Oriental en 2004.
Xi Jinping fait lui aussi référence au pouvoir discursif et met l’accent depuis 2013 sur la nécessité de "bien raconter l'histoire de la Chine" (讲好中国故事). Mais ses propos sur l’environnement international sont souvent émaillés d’exhortations à la lutte. Cette dernière notion est directement dérivée de sa vision du rôle historique du Parti communiste chinois (PCC), à l’intérieur comme à l’extérieur. Alors que le 20e Congrès du Parti s’ouvre le 16 octobre 2022, la lutte constitue toujours le message principal de Xi dans un contexte de "changements profonds sans précédent depuis un siècle" en cours dans le monde, un monde dans lequel le PCC doit garder une longueur d’avance. En d’autres occasions, Xi Jinping a célébré ce qu’il considère comme "une opportunité stratégique pour la Chine comme il n'en arrive qu’une fois tous les cent ans".
Mais là n’est pas le cœur du discours de politique étrangère chinoise que mettent en avant les sources analysées dans ce numéro de China Trends. D’autres tendances se détachent. La première consiste à présenter la Chine comme État non hégémonique, mais constructif et rationnel - en opposition à l’attitude que les auteurs attribuent quasi constamment à l’Amérique et à l’Occident. Pour ces auteurs, l’ordre international est dépassé, mais la raison invoquée n’est pas une bascule du pouvoir vers les pays émergents et en développement au détriment des États-Unis et de leurs alliés (les auteurs chinois n’utilisent pas plus l’expression de "Sud global", pas plus qu’ils ne parlaient de "Tiers Monde" avant que Deng Xiaoping n’évoque après 1978 un "troisième monde" au sens très différent). Le recours à la force, la coercition et la manipulation demeurent des attributs occidentaux. Les anciens chefs de file de l’ordre international sont incapables de résoudre les nouveaux défis mondiaux.