Ces discours sont objectivement fondés mais la stratégie de communication qui les sous-tend, et qui repose sur des omissions judicieuses, laisse de côté des aspects importants et ne dit pas tout des restrictions - d’ordre réglementaire ou même cachées - qui contraignent encore les activités des entreprises étrangères opérant en Chine.
François Godement place le récit de l’ouverture dans le contexte plus large des politiques macroéconomiques et industrielles chinoises. La Chine reste attractive du point de vue des entreprises étrangères, et c’est là un succès politique. Mais les analyses chinoises mettent aussi l’accent sur un autre aspect de la bonne politique de gestion : la capacité de l’État à mener des politiques de porte ouverte sans saper la chasse gardée des entreprises chinoises. En effet, vingt ans après l’entrée de la Chine à l’OMC, ceux qui critiquent l’ouverture du pays sont ceux qui continuent de façonner les débats publics dans le pays. Les sources analysées pour ce numéro prennent souvent position contre ces voix critiques. Une autre idée émerge du débat : il convient pour la Chine de continuer à courtiser les entreprises étrangères. Celles-ci n’ont pas à se plier aux trajectoires décidées par leurs gouvernements, ce qui offre à la Chine un espace politique lui permettant de contrer les tentatives étrangères de rechercher un découplage sélectif dans certains secteurs économiques.
Philippe Aguignier s’intéresse au cas du secteur financier. Aujourd’hui, les parts de marché gagnées par les acteurs étrangers restent en dessous de 2 % dans le secteur bancaire et assurantiel. Les commentateurs chinois reconnaissent la contribution des institutions financières étrangères à la croissance du secteur financier chinois - et dans des domaines comme la finance verte ou des instruments de hedge fund complexes, les acteurs étrangers ont encore du savoir-faire à apporter à la Chine. Ces commentateurs ont tendance à expliquer le caractère limité des parts de marché des acteurs étrangers par les choix stratégiques faits par ces derniers, faisant valoir qu’ils ont sûrement manqué le coche dans le secteur immobilier par exemple, avant la tempête qui le secoue aujourd’hui. De plus, à leurs yeux, un ratio plus élevé de pénétration étrangère dans le secteur financier chinois n’est pas un objectif en soi - et c’est là une leçon de la crise asiatique de 1997-1998.
Cette justification des limites auxquelles font face les entreprises étrangères en Chine et l’accent mis sur les progrès de l’environnement réglementaire ne résolvent néanmoins pas la question de la montée du risque politique, que les experts chinois choisissent confortablement d’ignorer - il s’agit bien sûr d’une thématique trop sensible pour être traitée dans une publication. Le renforcement du cadre réglementaire a ses mérites, mais il ne suffira pas à prémunir les entreprises contre le risque de devenir les victimes collatérales de jeux géopolitiques pour lesquels elles n’ont qu’une marge de manœuvre limitée.