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Sondage : les Français et l'apprentissage
 

 

 

78 % des Français estiment que le système scolaire actuel prépare mal les élèves au monde du travail.

81 % pensent que les formations en apprentissage permettent de trouver un premier emploi facilement et 84 % considèrent cette formation comme une mesure efficace pour lutter contre le chômage selon une enquête ELABE pour l'Institut Montaigne réalisée auprès de 1 051 personnes âgées de 15 ans et plus.

Malgré l’engouement des Français et les engagements des gouvernements successifs en faveur de l’apprentissage, le nombre d’apprentis a baissé de 4 % depuis 2010, et le chômage de masse des jeunes, lui, subsiste dans des proportions alarmantes.

Convaincus que l'apprentissage est l'une des pistes les plus fécondes pour favoriser l'accès à l'emploi des jeunes, nous proposons trois mesures concrètes pour faire de l’apprentissage la voie professionnelle initiale de droit commun : 

  1. Confier aux régions, en lien avec les professionnels, le pilotage territorial de la formation professionnelle initiale ;
  2. Introduire des systèmes de préparation à l’apprentissage, que ce soit pour les élèves en formation scolaire ou les jeunes déscolarisés ;
  3. Adapter le système de certifications aux mutations de l’économie.

1/ Confier aux régions, en lien avec les professionnels, le pilotage territorial de la formation professionnelle initiale

Définir une gouvernance au service de l’apprentissage

L’apprentissage pâtit en France d’une gouvernance inefficace qui freine l’impulsion politique donnée par l’exécutif. En effet, la coexistence d’une voie de formation professionnelle initiale par voie scolaire, pilotée par l’Education nationale, et d’une voie d’apprentissage qui relève de la compétence des Conseils régionaux, interdit un véritable pilotage de la carte des formations professionnelles initiales. Les rectorats ont en effet pour souci essentiel de développer ou de maintenir leurs effectifs dans la voie scolaire (lycées professionnels), tandis que les régions cherchent à développer l’apprentissage. Concrètement, il est aujourd’hui à peu près impossible de faire évoluer la carte des formations professionnelles initiales de manière souple et cohérente. Cette situation est bien entendu un obstacle à la fois à l’adaptation de l’offre de formation aux besoins du monde économique et à la rationalisation des coûts (implantations parfois inadaptées, impossibilité de fermer certaines classes en lycée professionnel dont on sait pourtant qu’elles devraient l’être).

Les Conseils régionaux apparaissent aujourd’hui comme la collectivité locale la plus à même de réaliser les arbitrages nécessaires sur la carte des formations initiales compte tenu de leurs compétences générales en matière de développement économique, – confirmée par la loi NOTRe - de formation professionnelle continue et par leur proximité avec le monde économique.

C’est pourquoi nous proposons que les régions soient pleinement responsables de la définition de la carte des formations initiales, c’est-à-dire les formations réalisées par voie scolaire, au sein de lycées professionnels, et celles réalisées par voie professionnelle, au sein de CFA. Il s’agirait ainsi de créer un bloc de compétences homogène "formation professionnelle initiale".

Cette compétence devrait s’exercer en étroite coopération avec les branches professionnelles et les organismes consulaires apportant leur connaissance précise des besoins en compétences des entreprises de la région. Concrètement, la carte des formations professionnelles initiales devrait être co-construite avec des commissions sectorielles regroupant les représentants des milieux économiques.

 

Le Conseil régional : pôle de compétences unique pour la formation professionnelle initiale

Cette décentralisation de la carte de formation professionnelle initiale au niveau des régions impliquerait logiquement le transfert du personnel dédié, dont notamment :

  • Les Services académiques d’inspection de l’apprentissage (SAIA).

Les SAIA sont actuellement logés au sein des rectorats. Ils sont responsables du contrôle pédagogique des formations dispensées en CFA.

Afin de renforcer la fonction d’inspection et de contrôle de la qualité des formations en apprentissage, nous préconisons la fusion autour de SAIA "rénovés", des compétences d’inspection académique et de travail, ces dernières ne pouvant être dissociées. Les SAIA "rénovés" devront prendre une part active à la construction de la carte de formation professionnelle initiale, et avoir une fréquence de visite régulière en CFA et en entreprise.

  • Les Centres d’Information et d’Orientation (CIO).

Il est nécessaire de professionnaliser la fonction de conseiller en orientation et de la placer sous l’égide de la région afin de s’appuyer sur ses équipes pour pallier au caractère subsidiaire de l’orientation vers l’apprentissage. En effet, les dispositifs d’apprentissage sont encore largement méconnus des enseignants de collège et, parfois, des conseillers d’orientation eux-mêmes. Un exemple assez emblématique de la faible visibilité de l’apprentissage dans nos dispositifs d’orientation est l’exclusion de l’option d’apprentissage au sein du dispositif d’orientation AFFELNET en fin de troisième, situation à laquelle il faudrait remédier d’urgence.

  • Les enseignants en lycées professionnels.

Le transfert aux régions des personnels enseignants des lycées professionnels, qui ferait suite au transfert opéré en 2005 des personnels techniques, ouvriers et de service (TOS), permettrait une gestion cohérente de l’ensemble du personnel pédagogique de l’enseignement professionnel en général, en cohérence avec la maîtrise par la région de l’ensemble de la carte des formations. Moyennant quelques modifications statutaires, et sous réserve de maintien de rémunération, ces enseignants devraient avoir la possibilité d’enseigner dans des CFA. Leur carrière pourrait y gagner en diversité.

Cette décentralisation implique toutefois une exigence de résultats qui pourrait se traduire par l’indexation des dotations de décentralisation ou par des transferts de recettes aux régions dépendant directement des efforts consentis par les régions en la matière, ainsi que des résultats obtenus.

2/ Les passerelles de transition, gages d’insertion réussie dans l’apprentissage

Tous les pays qui ont massivement développé l’apprentissage au niveau des formations secondaires ont consacré des moyens considérables à ménager des périodes de transition ou de sas entre l’état scolaire (ou l’état de décrochage scolaire) et l’apprentissage. Tout simplement parce que l’apprentissage est une voie particulièrement exigeante en termes de maturité, de savoir-être et de savoirs de base (mathématiques, littératie…). La majorité des jeunes de 15-17 ans en cours de scolarité ou en situation de décrochage scolaire sont inemployables, quelles que soient les primes à l’embauche que l’Etat pourra créer pour inciter à leur recrutement. Les propositions qui suivent ont pour but d’instaurer des passerelles vers l’apprentissage, véritables chaînons manquant dans le système français.

Généraliser les DIMA au collège

Des Dispositifs d’initiation aux métiers de l’alternance (DIMA) ont été institués par la loi "Cherpion" du 11 juillet 2011. Ils établissent des cursus spécifiques de préparation à l’apprentissage, accessibles aux jeunes âgés d’au moins 15 ans, indépendamment de leur origine scolaire. Ils constituent des passerelles d’aide à l’orientation vers l’apprentissage, entre le collège et la formation professionnelle, permettant aux élèves de découvrir un environnement professionnel correspondant à un projet d'entrée en apprentissage, tout en conservant leur statut scolaire. Ils se fondent sur une pédagogie inductive et participent ainsi à la prévention au décrochage scolaire, en apportant une réponse adaptée à l’ennui que rencontrent certains collégiens en classe.

En DIMA, les jeunes collégiens volontaires ont surtout accès à un parcours de découverte des métiers renforcé, à travers des enseignements d’ouverture au monde du travail et plusieurs stages d’initiation ou d’application en entreprises.

Cependant, les DIMA restent aujourd’hui anecdotiques. Selon l’Onisep, sur les 977 CFA recensés par la DEPP, seulement 430 proposent ce dispositif de préapprentissage.

Une cause de cet échec est la complexité de mise en œuvre et de suivi d’un DIMA qui nécessite une coopération étroite entre les CFA et les collèges. Le dispositif requiert donc un accompagnement soutenu des chefs d’établissement, et, au préalable, des efforts de communication, de sensibilisation et d’incitation à l’apprentissage que l’Education nationale n’assume pas au collège.

Par ailleurs, si les DIMA étaient initialement ouverts dès l’âge de 14 ans, la promulgation de la loi de refondation de l’Ecole en 2013 a retardé leur accès aux jeunes de 15 ans révolus, et sous condition d’avoir réalisé au préalable une année entière de troisième. Ces conditions nouvelles d’âge et de scolarité ont eu pour conséquence de limiter considérablement l’accès et l’aide à l’orientation des jeunes vers l’apprentissage. Durant l’année scolaire 2016-2017, 5 169 collégiens ont eu accès aux DIMA, ils étaient 6 670 en 2012-2013.

Créer une voie de préparation à l’apprentissage pour certains jeunes en décrochage scolaire

Afin de remédier aux problèmes d’insertion socioprofessionnelle des jeunes "décrocheurs" du système d’éducation et de formation professionnelle - les NEET - il est indispensable d’instaurer une passerelle préparatoire dédiée à l’insertion par l’apprentissage, logée auprès des missions locales, et d’y consacrer des financements spécifiques qui permettent notamment de rémunérer les jeunes sur le modèle de la "Garantie Jeunes". La formation intégrerait, entre autres, des enseignements visant à un renforcement des compétences de base, un coaching personnel afin d’accompagner les jeunes dans leur projet académique et professionnel, des stages de découverte des métiers, ainsi qu’un ensemble d’ateliers leur permettant d’acquérir les codes et les comportements de l’entreprise.

Deux options sont envisageables pour la prise en charge de cette filière de préparation à l’apprentissage. Ces deux options sont compatibles et non exclusives :

  • Option 1 : octroyer le monopole de cette filière aux missions locales ;
  • Option 2 : transférer cette compétence ainsi que les financements associés aux Conseils régionaux et les laisser libres de choisir les opérateurs de cette préparation à l’apprentissage.  

La mission générale des Conseils régionaux en faveur de l’insertion des jeunes, qui les positionne à la croisée des chemins des différents acteurs impliqués sur le sujet, les rend parfaitement légitimes pour assumer cette compétence. Les régions pourraient externaliser la prise en charge de ces formations via une procédure d’appel à projets. Un tel dispositif permettrait d’exiger des résultats, notamment en termes d’accès à l’apprentissage.

Cette filière de préparation à l’apprentissage représente un coût budgétaire important. Toutefois, elle pourrait être financée pour partie par le redéploiement d’autres dispositifs d’insertion confiés aujourd’hui aux missions locales et pour partie par une part de l’enveloppe budgétaire consacrée au financement des contrats aidés, progressivement supprimés par le gouvernement en raison de leur inefficacité.

Permettre aux jeunes d’effectuer une première année en CFA sans contrat d’apprentissage

Afin de lutter contre le phénomène de déperdition d’apprentis en cours de parcours, il serait souhaitable et logique de créer une première année en CFA, qui serait l’équivalent de la seconde professionnelle en bac pro, et constituerait une année de préparation à l’apprentissage pour tout élève désireux de s’orienter vers cette voie. Toutefois, et sans pour autant se dérouler sous le statut d’apprenti, cette formation comporterait déjà un lien très étroit avec les entreprises, sous la forme de stages professionnels.
La mise en œuvre de cette "passerelle vers l’apprentissage" nécessiterait de légiférer sur la question, afin d’en définir le statut et les modalités de financement.  

3/ Rénover les processus d’élaboration des référentiels de formation et programmes d’enseignement

Le troisième volet essentiel d’une véritable réforme de l’apprentissage repose sur le besoin de refondre les processus d’élaboration et de rénovation des diplômes professionnels pour répondre avec une plus grande réactivité, et en accord avec les besoins des entreprises, aux mutations économiques rapides. Cette mesure ne pourra que renforcer l’employabilité des jeunes.

Rééquilibrer la charge horaire d’enseignement en faveur des compétences "métier"

En France, l’enseignement général occupe une place prépondérante par rapport aux enseignements techniques et pratiques, même pour les diplômes professionnels. Le volume horaire qui y est consacré dans les enseignements est comparable pour l’ensemble des CAP, avec peu de marges de manœuvre possibles. Il représente 55 % du volume horaire global d’enseignement en CFA. À titre de comparaison, en Allemagne, les matières dites générales (apprentissage de la langue, histoire-géographie, sciences, langue étrangère), ne sont pas enseignées en tant que telles dans les modules d’enseignements, car supposées acquises, et s’intègrent à l’enseignement technique de manière transversale.

Bien que justifié par la montée en compétence générale des jeunes, ce poids très important des matières générales en France est problématique. Il est en effet susceptible de contraindre l’acquisition par les élèves des savoirs techniques et des pratiques essentielles en entreprise, et de compromettre leur réussite à l’examen, et par là-même leur motivation à poursuivre dans la formation. Si les compétences de base font défaut, il est sans doute plus efficace de les traiter dans le cadre de dispositifs de type "préparation à l’apprentissage" (cf. supra) plutôt que d’y accorder une place trop importante dans le parcours de l’apprenti.

Impliquer les partenaires sociaux et raccourcir les délais de création et de modification  des diplômes

Pour mettre en cohérence les diplômes avec les besoins des entreprises et l’évolution rapide des technologies, il serait judicieux, d’une part, d’impliquer davantage les branches professionnelles dans le processus d’élaboration et de rénovation des référentiels de diplômes, tout en conservant naturellement leur dimension nationale. Il faudrait, d’autre part, fixer un délai maximum pour l’adaptation des référentiels des diplômes préparés par l’apprentissage, par exemple à 18 mois pour la création d’un nouveau diplôme et six mois pour l’adaptation d’un référentiel existant.

Conclusion

Seule la levée de ces trois verrous que sont la dyarchie du pilotage territorial de la formation professionnelle initiale, l’insuffisance des voies de préparation à l’apprentissage et l’inadaptation d’un certain nombre de référentiels de diplômes professionnels, peut permettre un développement de l’apprentissage sur les niveaux bac et infra dans notre pays.

Il faut ajouter que ce développement serait également bénéfique du point de vue des finances publiques. En effet, le coût annuel de la formation d’un apprenti au niveau du bac professionnel pour les finances publiques (Etat et région) est estimé à 6 300 euros, contre 12 400 euros pour un lycéen professionnel.

Le potentiel d’économies est donc considérable puisqu’à la rentrée 2016, 665 190 lycéens professionnels étaient dénombrés, contre seulement 260 000 apprentis des niveaux bac et infra. Or pour 100 000 lycéens professionnels réorientés chaque année vers la voie de l’apprentissage, l’économie annuelle serait d’environ 600 millions d’euros pour les finances publiques.

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